Tribune de Jean-Pierre Chevènement parue dans Libération le 9 juin 2005


Monsieur Giscard d'Estaing a raconté la scène où en 2003, il a remis à M. Berlusconi, alors Président en exercice du Conseil européen, le projet de « Constitution » issu des travaux de la « convention », relié en cuir bleu. Une mouche passait : son entêtant bourdonnement nuisait à la solennité de la scène. M. Berlusconi, s'étant saisi de l'exemplaire relié en cuir bleu, d'un geste prompt, écrasa la mouche et laissa tomber : « Au moins cette Constitution aura-t-elle servi à quelque chose ! » Cette scène prend aujourd'hui toute sa saveur : Cette Constitution mort-née était-elle bien nécessaire ? Le président Chirac avait-il besoin, après Joschka Fisher, d'en agiter l'idée devant le Bundestag en juin 2000 ? Je lui ai posé la question à son retour en France : « Pourquoi avoir proposé à vingt-cinq peuples une Constitution, alors que seul un Peuple peut se donner une Constitution et, qu'entre eux, vingt-cinq peuples passent un traité ? » Le président Chirac dont l'idée d'un « Peuple européen » ne hante sans doute pas les nuits, à la différence de nos « fédéralistes », me rétorqua : « C'est pour répondre à la question : "Qui fait quoi en Europe ?" C'est une sorte de règlement intérieur. » S'il ne s'agissait que de cela, point n'était alors besoin d'une « Constitution » !

M. Giscard d'Estaing a reconnu lui-même que la convention qu'il présidait s'était « faufilée » à travers « un membre de phrase glissé à la fin du texte [de Laeken... qui] entrebâillait une porte en posant la question de savoir si cette simplification et ce réaménagement des traités ne devaient pas conduire à terme à l'adoption d'un texte constitutionnel ».

Ainsi, ce qui a été rejeté à travers la Constitution, c'est la prétention à « constitutionnaliser » au nom d'un « peuple européen » qui n'existe pas, un corps de règles paralysantes qui ont installé en Europe un chômage de masse et dont les peuples réellement existants ne veulent pas.

Une seule attitude réaliste consisterait à modifier ce qui dans les textes en vigueur fait obstacle à une relance keynésienne à l'échelle européenne, seule manière de faire reculer rapidement le chômage.

Mais la droite comme le Parti socialiste entendent que le processus de ratification de la Constitution se poursuive comme avant. Deux France se regardent en chiens de faïence : le peuple, c'est-à-dire la majorité des actifs et des jeunes et par ailleurs l'ensemble des élites coalisées, profondément offusquées par l'incorrection du premier. Au coeur de cet abîme d'incompréhension : la nation. Celle-ci est pour le peuple le cadre naturel de l'expression démocratique. Or, la nation vient de révéler encore une fois pour les élites qu'elle était bien la source du mal. Ce que veulent les élites, c'est dépouiller le peuple de sa souveraineté. Evidemment pour son bien. Car les élites savent ce qui est bon pour lui. Cramponnées à leur réflexe aristocratique, au sens étymologique du terme, nos oligarchies n'entendent rien changer à leur politique. Qu'il s'agisse de la droite ou du PS, elles vont chercher à ramener le « non » à un mouvement d'humeur irrationnel. Elles vont continuer à décrier le peuple, à le ringardiser, à le culpabiliser dans le secret espoir, jadis révélé par Bertold Brecht, de pouvoir enfin le dissoudre. Elles vont tenter encore une fois de l'enfermer dans le « système du pareil au même », au risque d'un nouveau 21 avril. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir comment traduire le formidable signe de santé que vient de donner notre peuple dans un système politique dont la fonction est d'étouffer sa volonté. Ce qui n'a pas été possible en 2002 le sera-t-il en 2007 ?

Le paysage ravagé de la gauche française actuelle n'est pas sans évoquer l'aspect « ruiniforme » qui était le sien dans les années 60. Comme après 1969, la direction du Parti socialiste n'imagine pas qu'il y ait d'autre recette pour revenir au pouvoir que l'immobilisme : hier la « troisième force », aujourd'hui le « social-libéralisme ». Elle a choisi de traiter le rejet de la Constitution comme une simple péripétie : nulle autocritique de cette direction mise en place en 1998 et qui s'accroche à sa ligne sociale-libérale comme à une bouée de sauvetage, n'attendant son salut que du naufrage de la galère gouvernementale. Pas davantage, n'y avait-il eu d'autocritique au congrès de Dijon, après l'échec de la présidentielle. C'était jadis « la faute à Rousseau, la faute à Voltaire ». Ce fut celle de Chevènement après 2002 et c'est aujourd'hui celle de Fabius. La recherche d'un bouc émissaire permet de cimenter l'unité de la tribu. Elle dispense de s'interroger sur ses responsabilités. Elle vise surtout à maintenir le cap inchangé, censé conduire au port : le retour aux délices et poisons d'un Pouvoir devenu à lui-même sa propre fin.

Ainsi, le PS a-t-il tenu le 4 juin un conseil national pénitentiaire, incapable de répondre au désaveu de l'électorat de gauche et même de l'électorat socialiste autrement que par une sanction dérisoire au manquement à la sacro-sainte « discipline » dont le peuple souverain vient de s'affranchir. Quelle illusion de penser que la politisation en profondeur permise par la campagne référendaire pourrait déboucher en 2007 sur l'oubli et sur un simple rapetassage !

La refondation de la gauche implique à l'évidence une autre vision de l'Europe : que celle-ci devienne, comme l'a dit Robin Cook, « une protection contre la mondialisation ». Le monde du travail en Europe n'est pas prêt à sacrifier un siècle et demi de conquêtes sociales sur l'autel d'une mondialisation libérale qui, appuyée sur les immenses armées des réserves industrielles des pays de l'Asie, ne tend à rien d'autre qu'à restaurer dans toute sa pureté le schéma marxiste de l'exploitation maximale de la force du travail.

La gauche, dont l'électorat a très majoritairement voté « non », se doit d'élaborer un projet républicain exigeant et réellement alternatif. Elle doit donc combattre les tendances à la facilité qui conduiraient le Parti socialiste à s'accrocher à sa ligne sociale-libérale comme à un arbre pourri, le Parti communiste à se remettre dans la roue d'un tel Parti socialiste, et les gauchistes à se contenter d'une simple fonction tribunitienne. C'est toute la gauche qui doit se réorganiser pour se mettre à la hauteur des défis qui l'attendent en 2007. Rien ne viendra du PS laissé à lui-même. Il serait inconcevable que celui-ci présente à l'élection présidentielle un candidat qui aurait prôné le « oui » à la Constitution. Qui peut croire qu'un tel candidat, quel qu'il soit, pourrait rassembler l'électorat populaire ?

Un recours républicain pourra-t-il s'imposer d'ici à 2007 sur la base d'un projet rompant clairement avec le social-libéralisme ? Un tel projet implique clairement la vision d'une Europe réconciliée avec ses peuples, dotée d'une organisation souple associant, à géométrie variable, ceux qui veulent avancer vers une Europe démocratique, solidaire et indépendante.

La gauche doit pour cela rompre avec le réflexe conditionné, mais myope, qui trop souvent la conduit à opposer la nation et l'Europe. Celle-ci doit se bâtir dans le prolongement des nations démocratiques. Le Peuple français s'est fait entendre. Il ne disparaîtra pas. Au contraire. Il a recommencé à affirmer son rôle que Karl Marx définissait comme celui de la « nation politique par excellence ».

François Mitterrand disait jadis : « A partir du PS, on peut faire des choses. Du PS, on ne peut rien faire. » Cette stratégie ne peut plus fonctionner. C'est toute la gauche qu'il faut rassembler, dans un même mouvement, sans exclusive et sans tabou, sur un projet qui redonne son sens à l'idée de progrès. Des états généraux de la gauche devraient permettre la confrontation des idées d'où pourrait surgir un projet qui soit à la hauteur des espérances et des défis.

Le principal défi qui s'impose aujourd'hui est celui de la relance économique de la zone euro. Nous demandons au Conseil européen des 16 et 17 juin d'en faire le coeur de son ordre du jour. Il serait opportun qu'un Conseil des Douze (les douze de la zone euro) se réunisse sans tarder pour mettre sur pied un « gouvernement économique » de ladite zone.

C'est par le dialogue des nations et d'abord entre la France et l'Allemagne, mais sans exclusive à l'égard des autres, que passera la réorientation de la construction européenne. Une Europe des peuples, respectueuse de la souveraineté populaire, autorise des délégations de compétences dès lors qu'elles sont ciblées et démocratiquement contrôlées : ainsi la compétence monétaire peut être exercée conjointement par la Banque centrale et par l'Eurogroupe (ou « gouvernement économique » de la zone euro). Encore faudrait-il que les statuts de la Banque centrale soient revus : que la croissance et l'emploi figurent parmi ses objectifs et que sa sacro-sainte indépendance soit remise en cause. Toutes les composantes du « non » pourraient se retrouver sur cet objectif

Le « gouvernement économique » pourrait aussi statuer à la majorité qualifiée sur les questions relatives à la politique budgétaire, à l'harmonisation fiscale et à la mise en place de certains critères sociaux appelés à converger. Il est temps de remettre la charrue derrière les boeufs. Si la gauche n'est pas capable de le faire, c'est la droite qui, en définitive, le fera.

Cette révolution copernicienne permettra de faire surgir l'acteur européen stratégique dont nous avons besoin en tous domaines (scientifique, technologique, industriel, militaire, diplomatique, etc.). Ce retournement mettra la France en avant, son peuple à l'avant-garde et la gauche à l'offensive pour peu qu'elle sache dépasser les réflexes de boutique et se mettre à l'écoute des peuples.
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Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le 9 Juin 2005 à 17:28 | Permalien

Voici la vidéo de la réaction de Jean-Pierre Chevènement à l’annonce des résultats à 22 heures (selon les premières estimations, le "Non" réunit 55% des suffrages exprimés).


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Rédigé par Chevenement.fr le 29 Mai 2005 à 23:00 | Permalien

Communiqué de Jean-Pierre Chevènement le 29 mai 2005


La victoire du non est une magnifique victoire dont le Peuple français peut être fier. Un mouvement puissant venu des profondeurs vient d’apporter un cinglant désaveu à des élites paresseuses et aveugles qui, depuis trois décennies, ont installé la France dans un chômage de masse. Il a fallu beaucoup de courage et de caractère aux Français pour en arriver là. Pour avoir mené depuis 1983 le combat pour une autre politique, je me sens moins seul ce soir.

Ce « non » retentissant est aussi un moment historique pour l’Europe. Aujourd’hui les peuples s’approprient enfin une construction qui s’était jusqu’à présent faite sans eux. C’est un premier pas décisif pour sa réorientation.

La volonté du Peuple devra être respectée. Le Président de la République est le premier interpellé : Il lui appartient de proposer un grand plan de redynamisation de l’économie et de lutte contre le chômage à l’échelle européenne et d’abord au niveau des Douze de la zone euro. Il faut pour cela renégocier les dispositions des textes européens qui y font obstacle.

Pour la gauche, la seule question qui se pose désormais à elle est celle de son rassemblement et de sa refondation sans tabou ni exclusive sur la base d’un projet rompant avec l’adaptation à la mondialisation libérale, enraciné dans la République et redonnant son sens pour la France, et pour l’Europe, à l’idée de progrès social.

Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le 29 Mai 2005 à 17:26 | Permalien

Actualités



Communiqué de Jean-Pierre Chevènement, 25 mai 2005


Chers Concitoyens,

Ayant été privé d’expression dans la campagne officielle, je souhaite m’adresser à celles et ceux d’entre vous qui hésitent encore quant à leur choix sur le projet de « Constitution européenne » sur lequel vous avez à vous prononcer le 29 mai prochain.

Si vous votez oui, vous prenez un billet sans retour pour une destination que vous ne contrôlez pas. N’écoutez pas les hommes politiques de droite ou se disant de gauche qui vous demandent de constitutionnaliser des règles qui nous désarment face à une concurrence faussée. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ces règles nous enfonceraient toujours plus dans la régression économique et le chômage. Vous enfermeriez les générations futures dans un véritable carcan et vous ne pourriez rien changer en 2007.

Si, au contraire, résistant aux pressions qui s’exercent de tous côtés, vous votez non, alors vous préservez votre liberté et vous ouvrez l’avenir.

L’Europe, avec 10 % de chômeurs, détient le ruban bleu du chômage parmi les pays avancés. La zone euro, dans le même temps, est la lanterne rouge de la croissance mondiale : les orientations de la construction européenne ne sont pas si parfaites qu’elles ne puissent être revues ! Et pour cela vous n’avez pas d’autre moyen que de voter non.

Le 29 mai, le peuple français votera par procuration pour tous les autres peuples qu’on a pris soin de ne pas consulter. La France ne sera pas seule : ces peuples ont les mêmes problèmes que nous : délocalisations industrielles, chômage, précarité. C’est donc la voix du Peuple que vous ferez entendre le 29 mai dans toute l’Europe.

Ceux qui nous dirigent devront bien en tenir compte. Il est ridicule de prétendre qu’on ne pourra plus rien négocier. C’est le contraire qui est vrai : L’Europe tout entière a besoin d’un grand plan de relance économique, que cette « Constitution », telle qu’elle a été fabriquée, interdirait.

En rejetant ce projet de « Constitution » qui nous enfermerait, la France ne sera pas isolée. Elle sera encore une fois en avance. Elle ouvrira le chemin vers une autre Europe, démocratique, solidaire et indépendante, car s’appuyant sur la volonté des peuples, épris de justice et de paix.

Le « non » sera immensément utile : il permettra de redresser à la fois les orientations de la politique française et celles de la construction européenne. S’abstenir ce serait renoncer : vous le regretteriez toujours, si le piège devait se refermer.

A la France, à la République, à l’Europe des peuples, pas une voix ne doit manquer le 29 mai : dites « non » avec résolution et confiance. Vous ouvrirez ainsi par votre détermination une nouvelle et grande page de notre Histoire !

Croyez, chers concitoyens, à mes sentiments républicains dévoués.
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Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le 25 Mai 2005 à 17:52 | Permalien

par Jean-Pierre Chevènement, Libération, 6 avril 2005
Le non s’installe dans l’opinion et les pauvres arguments du oui n’y changent rien.


Jacques Chirac n’est pas crédible quand il prétend que la « Constitution » permettrait de « sauvegarder le modèle social européen ». Les critères de gestion qu’elle fixe sont tous récessifs : interdiction de la relance par l’investissement du fait d’un pacte de stabilité absurde qui n’a été que cosmétiquement assoupli (la règle des 3 % figure toujours dans le traité et aucune déduction des dépenses de recherche, par exemple, n’est autorisée). Seule au monde dans ce cas, la Banque centrale indépendante n’a pas à se soucier de la croissance et de l’emploi. La Commission interprète le primat de la concurrence comme l’interdiction de toute politique industrielle. Un enfant peut comprendre que sans croissance économique l’équilibre du régime des retraites, de l’assurance maladie ou de l’assurance chômage est inévitablement compromis. C’est pourquoi, même en choisissant des interlocuteurs très jeunes, le président de la République prend des risques.

La directive Bolkestein n’est évidemment retirée que jusqu’au 29 mai. La « Constitution » qui met la liberté d’établissement au rang des libertés fondamentales (article I-4) renforce les bases sur lesquelles elle a été prise (article III-133 à 150). La Commission peut s’appuyer sur l’article III-148 pour imposer le principe du pays d’origine. Un enfant encore peut comprendre que, entre des pays où les rémunérations brutes moyennes varient de un à quinze, la règle de l’unanimité en matière sociale (article IV-210) interdira toute harmonisation par le haut et favorisera la course au moins-disant social.

François Hollande n’est pas plus crédible en prétendant qu’il n’y a pas de rapport entre la politique gouvernementale et les contraintes de la politique européenne qu’il nous propose de constitutionnaliser et qui seraient bien entendu les siennes, s’il venait au pouvoir. D’Amsterdam à Barcelone en passant par Lisbonne, l’opinion se souvient que les sociaux-libéraux ont contresigné le pacte de stabilité budgétaire et surenchéri dans son application, ouvert les services publics à la concurrence, accéléré les privatisations et entériné les projets de « flexibilisation » du marché du travail. M. Raffarin est certes très critiquable mais François Hollande n’est pas le mieux placé pour le faire. Il n’y a pas de « oui de gauche » pas plus qu’il n’y a de « oui gaulliste ». Il y a un oui libéral. Point à la ligne.

Parce que leur dossier est mauvais, les propagandistes du « oui » qui confisquent les moyens d’expression, en n’hésitant pas à détourner effrontément l’argent public, vont développer de plus en plus les arguments de la peur. Ceux qui ont signé le traité de Nice en 2000, en nous le décrivant alors comme « le meilleur texte européen depuis le traité de Rome » (Jacques Chirac), nous expliquent aujourd’hui qu’il serait une épouvantable régression.

Certes, le traité de Nice n’est pas bon, mais il est infiniment moins mauvais que le texte dit de « Constitution » et d’abord parce qu’il ne prétend pas en être une. Il n’affirme pas le primat de la Constitution et du droit européen sur le droit national et donc sur la Constitution française (article I-6). Il n’étend pas davantage les immenses pouvoirs de la Commission désormais chargée de « promouvoir l’intérêt général de l’Union » (article 26) alors qu’elle n’est encore que « chargée d’exercer ses fonctions dans l’intérêt général » (article 213 TCE). Nuance de taille.

Le traité de Nice ne marginalise pas autant la France qui pourrait n’avoir, à partir de 2014, plus aucun commissaire, en vertu du principe de rotation égale entre les Etats posé par la Constitution. Celle-ci met la France au même rang que l’île de Malte !

Le traité de Nice, contrairement à la Constitution, ne rompt pas avec la parité dans les votes au Conseil entre la France et l’Allemagne dont, depuis les années 50, les « pères fondateurs » considéraient que, nonobstant les poids de la population, elle seule pouvait fonder un partenariat de longue durée entre nos deux pays. Légèreté coupable !

Le traité de Nice n’étend pas les délégations de compétences non ciblées et non contrôlées démocratiquement et cela dans des domaines ultrasensibles : l’asile, l’immigration. Il maintient la clause de sauvegarde de Schengen que la « Constitution » supprime et qui m’a été bien utile pour arrêter à nos frontières casseurs et hooligans pendant la Coupe du monde de football en 1998 ! Le traité de Nice maintient l’« exception culturelle » (article III-315) que la Constitution supprime.

Le traité de Nice ne reprend pas les objectifs de l’AMI : suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers (article III-314). Victoire des libéraux qu’entérinent les directions du PS et des Verts. Tristesse !

Le traité de Nice n’inscrit pas dans les textes la comptabilité obligatoire de la défense européenne commune avec l’Otan, consacrée comme « fondement de la défense collective et de sa mise en œuvre » (article I-41). Il ne fait pas de la Cour de justice européenne une véritable Cour suprême fédérale qui serait compétente en tous domaines, puisque les trois « piliers » ont été fusionnés.

Les contempteurs du traité de Nice font valoir qu’il rend la formation de majorités qualifiées au Conseil plus difficile pour mettre au pas les nations récalcitrantes. J’y vois pour ma part un grand avantage : le traité de Nice obligera à la multiplication de coopérations spécialisées à géométrie variable. Celle-ci est l’avenir d’une Europe refondée dans la démocratie.

L’erreur de M. Giscard d’Estaing, pur produit de la cohabitation, est d’avoir concocté avec sa « Convention » une sorte de Meccano institutionnel dont il est, paraît-il, très fier. Il a constitutionnalisé au passage, en 325 articles sur 448, toutes les politiques qui figeraient un rapport de forces totalement déséquilibré entre le travail et le capital dont la liberté souveraine est affirmée de manière quasiment irréversible (article III-157). M. Giscard d’Estaing n’a oublié que les peuples : que vaut la « liberté de chercher un emploi et de travailler » (article II-75) dans une Union où le nombre de chômeurs dépasse 10 % de la population active ?

M. Giscard d’Estaing n’a pas traité le vrai sujet : comment sortir la zone euro qui, avec ses 300 millions d’habitants, est le coeur de l’Europe, de la stagnation économique où elle s’enfonce ? Les règles libre-échangistes que la Constitution cristalliserait nous désarment dans une mondialisation dont les paramètres nous échappent. L’euro, dont la Banque centrale indépendante a laissé la valeur en dollars s’apprécier en cinq ans de 60 % (le dollar qui valait 0,8 euro en vaut aujourd’hui 1,3), asphyxie nos exportations, décourage l’investissement, accélère les délocalisations. Le pacte de stabilité budgétaire et le principe de la « concurrence libre et non faussée » conduisent à une absence presque totale de réactivité en matière d’investissement public, de politique industrielle et scientifique.

Pour remettre l’Europe en marche, il faut doter la zone euro d’un véritable « gouvernement économique », modifier les statuts de la Banque centrale, en lui assignant la croissance et l’emploi comme objectifs (et pas seulement la lutte contre l’inflation), réformer le pacte de stabilité budgétaire en autorisant la déduction des dépenses de recherche, harmoniser enfin la fiscalité et assurer la convergence en matière sociale, toutes choses que la « Constitution » rend impossibles. On me fera valoir que cela impliquera des décisions prises à la majorité qualifiée au sein des Douze.

Aux yeux d’un républicain, des délégations de compétences sont acceptables, dès lors qu’elles sont ciblées (harmonisation sociale par le haut ­ suppression de la course au moins-disant fiscal) et que, décidées dans un espace économique et politique relativement homogène, elles restent démocratiquement contrôlées. Tout le contraire des abandons de souveraineté qui — via la Commission de Bruxelles et son principe de « concurrence libre et non faussée » — n’ont fait que transférer d’immenses pouvoirs au marché, au seul bénéfice des multinationales, enfin libres dans le poulailler mondial libre ! Les pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie au premier chef) sont confrontés aux mêmes difficultés : délocalisations, chômage de masse, remise en cause des acquis sociaux. C’est ensemble que nous devons inventer une réponse : relance par l’investissement, politique monétaire active, pari sur l’intelligence en matière de formation et de recherche, politique industrielle et de développement technologique à géométrie variable, etc. La France ne sera pas seule : elle trouvera des alliés.

Dès lors que la zone euro aurait été redynamisée, il ne sera pas difficile de trouver un code de bonne conduite, dans le grand marché à vingt-cinq, avec les autres pays membres pour refuser la course au moins-disant fiscal et social, moyennant des aides régionales substantielles. Et, bien entendu, il faudrait dépasser le cadre de l’Europe à vingt-cinq où les gouvernements pro-Bush sont majoritaires, pour nouer des partenariats stratégiques du Maghreb à la Russie. Jacques Chirac ne démontre-t-il pas l’inadéquation du cadre à vingt-cinq pour mener une politique étrangère indépendante, quand il réunit à Paris MM. Schröder, Zapatero... et Poutine ? Ce qu’il fait aujourd’hui demain ne le serait plus avec la « Constitution » qui nous obligerait à des consultations préalables avant toute initiative de politique étrangère (article III-297, alinéa 3) et nous ferait parler par la voix de M. Solana, déjà consacré comme futur « ministre des Affaires Etrangères de l’Union ». L’Europe parlerait certes d’une seule voix mais elle parlerait yankee.

Décidément, la copie que nous présente M. Chirac est mauvaise. Le peuple français a le moyen de la lui renvoyer, avec la mention : « A refaire. » Il suffit de dire « non ».
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Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le 6 Avril 2005 à 20:23 | Permalien

Derniers essais



Par Jean-Pierre Chevènement, Fayard, 2005, 192 pages


Pour l'Europe, votez non !, Jean-Pierre Chevènement, Fayard, 2005
Pour l'Europe, votez non !, Jean-Pierre Chevènement, Fayard, 2005
Présentation de l'éditeur
Êtes-vous pour ou contre l'Europe ? et non pas : Êtes-vous pour ou contre le texte dit de " Constitution européenne " ? Voilà le subterfuge imaginé par ceux d'" en haut " pour faire approuver, à l'esbroufe, par ceux d'" en bas " un noyau dur de règles contraignantes, tirées d'un credo libéral dogmatique, sous un magma de procédures illisibles et paralysantes. Qui pourrait être contre une Europe organisée et pacifique ? Tout est dans la méthode utilisée. Or, les propagandistes du " oui " se réfugient dans l'incantation et la dénonciation de ceux qui osent leur porter la contradiction sur le fond. Ils agitent toutes les peurs. Jean-Pierre Chevènement, au contraire, démonte, avec rigueur et de manière percutante, les dispositions de ce texte et sa logique dans le contexte de la " globalisation ". Il ouvre surtout la voie d'une Europe indépendante et solidaire, refondée dans la démocratie des nations. Pour construire " un acteur européen stratégique " dans le monde multipolaire du XXIe siècle, il n'y a nul besoin de cette " Constitution ", bien au contraire.

Cet ouvrage est disponible à l'achat dans la boutique en ligne de ce site
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Rédigé par Chevenement2007 le 2 Avril 2005 à 00:38 | Permalien

Actualités



par Jean-Pierre Chevènement, Le Figaro, 23 mars 2005


Le non ? « Une connerie ! », selon M. Chirac. Pour M. Raffarin : « l’affaissement de la France » ! Et pour les premiers responsables du 21 avril, « un nouveau 21 avril » ! Bref, le oui ou le chaos. Air connu.

Mais, si la victoire du non, à l’inverse, marquait, après les « trente piteuses » (Nicolas Baverez) et l’encalminage, depuis 2001, de la zone euro tout entière dans une stagnation de longue durée, un sursaut salutaire du pays et un nouveau départ pour une construction européenne intelligemment redressée ? La victoire du non en France signifierait simplement que les Français souhaitent que la construction européenne serve la croissance et l’emploi, signifie un progrès social et non une régression, préserve notre tissu industriel plutôt que de le détricoter et permette enfin l’épanouissement de la démocratie républicaine plutôt que son étouffement, au profit d’oligarchies sur lesquelles ils n’ont aucune prise.

Les Français ne souhaitent pas que, par élargissements successifs, le centre de gravité de la construction européenne se perde dans les lointains. Ils ne veulent pas d’un marché ouvert à tous les vents et offert à tous les coups. Ils veulent, à juste titre, la croissance, une monnaie compétitive et une politique propre à retenir le tissu industriel en France et en Europe.

Ces exigences, parfaitement raisonnables, sont incompatibles avec les règles qu’on nous propose de figer dans le marbre de la « Constitution » : dictature de la Commission au nom du primat de la concurrence, pacte de stabilité budgétaire absurde, Banque centrale déconnectée de toute influence du suffrage universel, etc. A l’inverse, l’exigence de redressement correspond à l’intérêt bien compris des peuples européens ; qui ne voit en effet que nos deux principaux voisins, l’Allemagne avec 5,2 millions de chômeurs et l’Italie, confrontée au déclin de son industrie, souffrent des mêmes maux que la France : stagnation du marché intérieur, euro asphyxiant, délocalisations, austérité budgétaire redoublée ?

Les pays nouvellement adhérents, sans parler de nos partenaires au Sud et à l’Est, du Maghreb à la Russie, ont besoin que l’Europe ait un coeur dynamique. Or, ce coeur c’est la zone euro à douze. En son sein, le noyau fondateur des Six représente 75% de la population de l’ensemble, soit 225 millions sur 300. Voilà le coeur du coeur. Il est puissant et relativement homogène. C’est l’architecture de la zone euro qu’il faut donc réformer en priorité, et de fond en comble, ce que n’ont pas vu les pseudo-« constituants » de M. Giscard d’Estaing et que ne pouvaient pas décider les dirigeants de l’Europe à vingt-cinq.

Une victoire du non en France permettrait de mettre sur la table les réformes nécessaires :

révision des statuts de la Banque centrale avec l’objectif assigné de la croissance ;

assouplissement non cosmétique du pacte de stabilité, autorisant notamment la déduction des dépenses de recherche du montant plafonné des déficits : ce serait le meilleur moyen pour l’Europe de relancer son économie sur des bases saines et de combler son retard scientifique et technologique sur les Etats-Unis et le Japon ;

création d’un véritable gouvernement économique à douze, capable de décider à la majorité qualifiée d’une harmonisation fiscale et d’une convergence sociale progressive.

Pour muscler le coeur de l’Europe, il faut rompre avec les critères absurdes et paralysants que les zélotes du oui nous proposent de « constitutionnaliser ».

L’euro est un canard sans tête qui vole dans tous les sens, affaiblit notre compétitivité et ne s’affirme pas comme une nouvelle monnaie de réserve internationale (sa place est grosso modo celle qu’occupait le deutschemark). Il est temps de mettre un pilote dans l’avion et de confier la politique monétaire et de change au « gouvernement économique » autant qu’à la Banque centrale, comme cela se fait dans tous les pays démocratiques normaux (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Japon, etc.).

Au sommet d’Essen, en 1994, une politique de « grands travaux » a été décidée. L’Europe n’est même pas capable d’emprunter et les critères du pacte de stabilité budgétaire ont freiné la réalisation de grandes infrastructures de transport et empêchent toute relance par l’investissement public.

La zone euro, intelligemment redressée et dynamisée, peut et doit être le moteur de toute l’Europe. Ensuite, nous pourrons fixer un « code de bonne conduite » avec les autres pays partenaires, reposant sur des aides régionales substantielles et comportant, en contrepartie, une raisonnable convergence en matière fiscale et sociale.

Dès lors que le coeur de l’Europe battra plus vite, tous les autres problèmes trouveront leur solution.

A l’inverse, la « Constitution », si elle était adoptée, fonctionnerait comme une souricière. Elle nous enfermerait dans des règles absurdes et paralysantes : ce serait la régression et le déclin assurés.

Refuser d’approuver la « Constitution », ce serait retomber dans le calamiteux traité de Nice : c’est que ce que nous disent ceux qui l’ont négocié, de M. Chirac à M. Moscovici. Mais ce traité est loin d’être aussi calamiteux que le projet de « Constitution » qu’ils nous vantent maintenant : d’abord il ne prétend pas être une « Constitution » qu’à vingt-cinq et bientôt à trente on ne pourra plus réformer puisqu’il y faut l’unanimité. C’est un point décisif. Ensuite, le traité de Nice maintient la raisonnable parité qui existe entre la France et l’Allemagne depuis le début de la construction européenne, gage d’un partenariat équilibré dans la durée. C’est sagesse. Sur maints sujets, « l’exception culturelle », par exemple, il est sans ambiguïté, contrairement au projet de « Constitution » qui implique qu’on fasse la preuve d’une atteinte à la « diversité culturelle ». Ses détracteurs nous disent enfin que le traité de Nice rendra plus difficile la mise au pas des nations récalcitrantes. Est-ce un mal ? La démocratie implique que chacun puisse progresser à son rythme. Le traité de Nice conduira naturellement à des « coopérations spécialisées » à géométrie variable, en dehors même du cadre du traité, comme l’a d’ailleurs proposé Edouard Balladur, compte tenu des conditions draconiennes dont il reconnaît qu’elles interdisent de fait, dans la « Constitution », le développement de « coopérations renforcées » (il y faut non seulement le tiers des Etats membres mais l’accord de la Commission, du Parlement et du Conseil européens !).

Nous irons naturellement vers ces « groupes pionniers » qu’a évoqués le président de la République, en janvier 2004, après l’échec du sommet de Rome. La rencontre, il y a quelques jours, à Paris de MM. Schröder, Poutine, Chirac et Zapatero a constitué, en politique étrangère, une heureuse préfiguration d’une « Europe européenne » qui pourrait s’étendre demain à l’Italie, dès lors qu’elle le voudra. Quelle meilleure démonstration, soit dit en passant, de la nécessité de sortir du cadre à vingt-cinq pour conduire une politique indépendante ? Une certaine différenciation interne, elle-même évolutive, est indispensable au progrès de l’Europe. Celle-ci prendra appui sur la démocratie qui vit dans les nations et qui ne doit pas mourir. Evidemment cela signifie la rupture avec la chimère d’une « nation européenne » qui n’existe pas et ne peut pas exister.

L’Europe est d’abord une civilisation. Elle juxtapose une trentaine de nations qu’il s’agit de solidariser et non d’effacer. Pour cela, nous n’avons pas besoin de recréer une nouvelle « prison des peuples » : il suffit de se mettre à leur écoute pour traduire en actions leurs aspirations, ce que sont incapables de faire les oligarchies régnantes, retranchées dans une forteresse d’orthodoxie dont elles veulent encore élever les murs. Nous irons ainsi vers une Europe à plusieurs cercles, avec un coeur dynamique qui entraînera l’ensemble, les treize pays non membres de la zone euro, mais aussi nos partenaires associés de l’Est et du Sud.

La redynamisation de l’économie européenne tout entière favorisera le développement des coopérations scientifiques, technologiques et industrielles à géométrie variable entre les Etats volontaires. L’Europe à vingt-cinq fonctionnera ainsi comme un grand marché avec les correctifs indispensables.

La victoire du non ne mettrait pas un terme au mandat du président de la République qui court jusqu’en 2007. Elle le conduirait à prendre appui sur la volonté populaire pour remettre à plat la construction européenne en provoquant la réunion de deux conférences parallèles, l’une à douze avec les pays membres de la zone euro, l’autre à vingt-cinq. Un non français provoquerait un immense débat dans toute l’Europe. Celle-ci, en définitive, en sortirait redressée et renforcée, comme à l’occasion de toutes les crises du passé. Le Parti socialiste devrait changer de direction politique, au-delà des hommes qui peuvent évoluer. La belle affaire ! Le débat politique en France retrouverait un sens.

Et qui peut croire que, dans le grand jeu européen, les autres pays pourraient ne pas tenir compte de l’avis politique de la France, pays fondateur de l’Europe par excellence, alors que nulle part ailleurs ne s’est déroulé un tel débat ? Dès lors que notre pays avancerait des propositions réellement novatrices et répondant à l’intérêt d’une Europe redressée, nous trouverions partout des alliés. Voilà pourquoi il faut voter non : l’Europe pourrait se recentrer sur l’essentiel et, selon l’heureuse formule d’Hubert Védrine, « laisser les peuples respirer ».
Mots-clés : europe non tce

Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le 23 Mars 2005 à 13:28 | Permalien

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Communiqué de Jean-Pierre Chevènement, 12 novembre 2004


« Yasser Arafat a incarné pendant près d’un demi-siècle la lutte du peuple palestinien pour que lui soient reconnus, une patrie, une terre, un Etat.

Le MRC exprime à sa veuve, à sa famille, et au peuple palestinien tout entier, sa sympathie et sa solidarité.

Le nationalisme palestinien est dans l’épreuve.

Le MRC, solidaire de sa juste lutte, souhaite qu’il surmonte cette épreuve pour maintenir envers et contre tout la perspective d’une Palestine indépendante et laïque, qui est la chance d’une réconciliation véritable et d’une paix définitive avec son voisin israélien. »
Mots-clés : arafat israël palestine

Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le 12 Novembre 2004 à 13:38 | Permalien


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