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Un véritable débat national sur la crise financière


Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat lors du débat sur la crise financière, 8 octobre 2008.


Devant une crise majeure, qui se répercutera immanquablement dans l’ordre international – paix ou guerre entre les nations – sur l’avenir de l’euro et dans la vie de dizaines de millions de Français et d’abord des plus démunis, l’appel à dépasser des clivages devenus secondaires n’est pas à rejeter a priori. Mais on n’a pas le droit de parler d’« union nationale » avant qu’un vrai débat national ait eu lieu, permettant d’aller aux racines de la crise et de dégager des propositions répondant à la fois à l’intérêt du pays et à la justice sociale. Ce bref débat parlementaire ne saurait être que la préfiguration du grand débat national souhaitable. Encore faut-il que le gouvernement et le Parlement définissent un cadre pour ce débat national.

I – Ne nous voilons pas la face : cette crise sera profonde et durable, à la mesure des déséquilibres qui se sont creusés : entre l’économie réelle et la sphère financière d’abord, mais aussi et surtout dans l’habitude qu’ont prise les Etats-Unis, au cœur d’une globalisation qu’ils ont impulsée, de vivre tellement au-dessus de leurs moyens, s’endettant à tout va (316 % du PIB), captant 80 % de l’épargne mondiale, avec un déséquilibre de leurs comptes extérieurs équivalant à 6 points de leur produit intérieur brut. On incrimine à juste titre les dérives du capitalisme financier et notamment la titrisation des prêts qui a déresponsabilisé les prêteurs. Mais ces dérives ont été encouragées ! Elles l’ont été par M. Alan Greenspan, ce grand magicien, hier encensé, et aujourd’hui découronné ! Tout simplement parce que pour sortir de la crise née en 2000 de l’éclatement de la bulle technologique et soutenir les choix dispendieux de l’Administration Bush, il n’a pas trouvé d’autre moyen que de créer une autre bulle, la bulle immobilière en favorisant l’endettement des ménages, le crédit hypothécaire et la titrisation. L’endettement des ménages ne touche certes pas que les Etats-Unis - la Grande-Bretagne et l’Espagne ont suivi leur exemple -, mais pour l’essentiel, la crise est américaine. Elle obéit à une logique qui est d’abord américaine. Notons que les partenaires des Etats-Unis, par suivisme, et les institutions internationales, par inféodation, se sont trouvés incapables d’enrayer cette dérive.

Il faudra du temps pour que les ménages américains se remettent à épargner et pour que les Etats-Unis rétablissent leurs comptes extérieurs et délaissent le rêve impossible d’un Empire universel, en acceptant d’être la grande nation qu’ils sont, dans un monde devenu irréversiblement multipolaire.

Cette crise n’est pas une simple crise psychologique, comme le dit M. Minc.


II - Cette crise clôt un cycle de trente ans qui avait commencé avec l’élection de Mme Thatcher et de M. Reagan et peut-être avant, avec le flottement des monnaies autour du dollar, consacré monnaie mondiale par les accords de la Jamaïque en 1976 : elle clôt le cycle de la finance globalisée, des marchés ouverts « à coup de barre à mine », la fin de toutes les protections avec l’OMC se substituant au GATT en 1994, le cycle des privatisations, la mise en concurrence des territoires et des main d’œuvre, avec son cortège des délocalisations, pour satisfaire aux exigences insatiables de « l’acquisition de valeur pour l’actionnaire », bref la dictature de l’actionnariat, au mépris des exigences du long terme et des entreprises elles-mêmes. Rappelez-vous le marché-roi dont le fonctionnement était censé assurer l’intérêt général, le principe de la concurrence libre et non faussée inscrit dans l’Acte Unique de 1987 et dans le traité de Maastricht de 1992 et repris dans le protocole n° 6 du traité de Lisbonne. Rappelez-vous la vigilance sourcilleuse de la Commission européenne vis-à-vis de toute intervention qui aurait pu fausser le libre jeu du marché !

C’était hier, mais cela paraît soudain dater d’il y a cent ans ! Francis Fukuyama décrétant la fin de l’Histoire et le triomphe définitif du libéralisme, c’était en 1992. Mais l’Histoire, pour le meilleur ou pour le pire, s’est remise en marche. Un débat surréaliste a surgi, il y a quelques jours, aux journées parlementaires de l’UMP, à propos des critères de Maastricht que M. Guaino proposait de relativiser. Les thuriféraires de l’orthodoxie maastrichtienne s’en sont donnés à cœur joie, comme s’il n’était pas évident que les dotations allouées aux banques, comme Dexia, les garanties données aux épargnants, les plans de soutien multipliés n’allaient pas, en dernier ressort, obérer le budget de l’Etat. Ces cris de vierges effarouchées ont été bien vite noyés par l’accélération des évènements. M. Jouyet, le 3 octobre, est obligé de reconnaître que l’Union européenne est revenue sur deux dogmes fondamentaux : l’un concernant les règles de la concurrence, l’autre les aides de l’Etat (les Echos, 3 octobre). Après que l’Allemagne eût rejeté l’idée d’un « plan Paulson à l’européenne », Mme Merkel impose le 4 octobre une simple « coordination de mesures nationales » sous le régime de l’urgence, c’est-à-dire en dehors des règles posées par la Commission. Le lendemain, 5 octobre, elle est la première - non ! la seconde après l’Irlande, qu’elle avait pourtant critiquée ! - à annoncer, sans prévenir, une garantie illimitée à tous les déposants allemands. La réalité de l’Union européenne éclate aux yeux mêmes de ceux qui ne veulent pas voir : c’est le chacun pour soi. Je ne m’en réjouis pas, bien qu’ayant toujours prédit que le fait national ne disparaîtrait pas.


III - La leçon est claire : il faut innover franchement et pour cela se délivrer des mythes, du politiquement correct, de parler faux libéral et pseudo européen. Autant d’Europe que possible oui, notamment par la création d’un gouvernement économique de la zone euro, mais autant de national que nécessaire ! Car nécessité fait loi : Mieux vaut l’Europe des Etats que pas d’Europe du tout. Il faut revenir à un interventionnisme qui redonne aux Etats, c’est-à-dire aux peuples, la possibilité d’encadrer et de réguler le marché, si possible de concert. Oui, il faut que les Etats reprennent leurs droits par rapport à des instances entièrement déconnectées du suffrage universel comme la Commission et la Banque Centrale européenne. Seuls les Etats ont la légitimité démocratique pour agir efficacement, mais ensemble de préférence, cela va de soi.

*

L’urgence impose d’agir dans quatre directions :

1. Il faut, bien sûr, empêcher les faillites bancaires en chaîne et pour cela privilégier les recapitalisations publiques et les conversions de dettes en actions plutôt que la reprise aléatoire, arbitraire et d’ailleurs insuffisante d’actifs toxiques, sur le modèle du Plan Paulson. Le contribuable, à défaut de rentrer dans ses frais, doit trouver des contreparties solides à l’effort qu’on lui demande. Toute garantie publique doit être gagée par des participations publiques. Puisque les contribuables seront contraints de payer, que les financiers soient expropriés ! Ce ne serait que justice que les banques qui remplissent en fait une véritable mission de service public et ont acquis le monopole de fait de la création monétaire, redeviennent, conformément au préambule de la Constitution de 1946, propriété de la collectivité. Et que les conséquences en soient tirées quant au choix des dirigeants et quant à la définition de nouvelles conditions d’octroi des crédits. La recréation d’un grand pôle financier public est d’ailleurs un élément de la solution comme outil d’un plan de relance ciblé.

2. La deuxième urgence en effet est d’enrayer la contraction massive du crédit aujourd’hui observable pour éviter l’approfondissement de la crise. La révision des normes comptables et l’aménagement des contraintes prudentielles ne suffisent pas. Sans doute serait-il souhaitable d’obtenir aussi de la Banque Centrale européenne une baisse des taux d’intérêt et l’allongement sur plusieurs jours de la durée des refinancements qu’elle procure. Mais il faut aller plus loin : il faut que l’Etat garantisse, comme l’a fait l’Allemagne, tous les dépôts, c’est-à-dire en vienne à une renationalisation au moins provisoire du crédit.

3. En troisième lieu, il faut concevoir rapidement un plan de relance économique :

- Orienter l’épargne vers l’économie réelle. Les Français ont une épargne abondante. Il faut la transformer au bénéfice de l’investissement productif.
- Au-delà du rachat de 30.000 logements en déshérence grâce aux excédents du Codevi, il ne faut pas hésiter à utiliser les excédents de collecte du livret A, au moins 12 Milliards d’euros, pour amplifier l’effort sur le logement.
- Aider par priorité les PME et les collectivités locales par des prêts bonifiés en utilisant les fonds d’épargne en gestion financière de la Caisse des Dépôts.
- Mettre en œuvre un programme d’aides aux industries en difficulté comme l’automobile pour favoriser la recherche sur les véhicules électriques et hybrides, la pile à combustible et l’économie de l’hydrogène, avec obligation de localisation ou de relocalisation.
- Aider la mutation énergétique à investir dans la sûreté nucléaire et les économies d’énergie.
- Bref remettre la politique industrielle à l’ordre du jour.
- Lancer un grand plan d’infrastructures ferroviaires : nouvelles lignes TGV et de fret ferroviaire, modernisation et fiabilisation du réseau.

Est-ce témoigner de trop d’audace que de préparer le lancement d’un grand emprunt d’Etat d’équipement de 30 Milliards d’euros ? Enfin, on ne devrait pas faire l’économie d’une relance concertée du pouvoir d’achat en Europe et au plan international. Cela aiderait d’ailleurs les Etats-Unis à rétablir leurs comptes.

4. Le quatrième axe d’une politique anticrise efficace consiste à agir internationalement :

- pour mettre un terme à la croissance incontrôlée de l’endettement et maîtriser, sous l’égide du FMI, les mouvements de capitaux spéculatifs ;
- pour rétablir les équilibres financiers mondiaux en stimulant la demande des pays excédentaires et aider ainsi au rétablissement d’un taux d’épargne positif aux Etats-Unis.

C’est seulement si ces conditions sont réunies qu’on pourra fixer des fourchettes à la fluctuation des parités monétaires.

Il faut donc frapper vite et fort sans faire l’économie du débat. Voilà le défi !


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mercredi 8 Octobre 2008 à 23:48 | Lu 11179 fois



1.Posté par Elie Ari� le 09/10/2008 02:07
Mis en ligne sur LePost (site interactif du Monde):

http://www.lepost.fr/article/2008/10/09/1283696_la-crise-les-raisons-et-les-solutions-par-jean-pierre-chevenement.html

2.Posté par furaxauboulot le 09/10/2008 09:40
"l’appel à dépasser des clivages devenus secondaires n’est pas à rejeter a priori" nous dit JPC. Voila une déclaration qui en réjouira plus d'un.
Quant à l'analyse à cette tribune du Sénat de la crise actuelle , elle est en tous points remarquable.

3.Posté par henri 34 le 09/10/2008 12:31
Quel rabâchage mais quel plaisir car celà fait des années que JPC tire la sonnette d'alarme sur le décalage entre la spéculation financiére et l'économie réelle.Les faits lui ont donné raison.
Merci au RDSE qui lui permet de s'exprimer loin de toute pression électorale du PS.Ouvrons les yeux:deux "socialistes" français,DSK et Lamy sont les complices du pataqués actuel.Alors à bas l'alliance des nostalgiques du CERES avec les sociaux libéraux pour tripatouiller des congrés ou des aprés congrés.
Merci à JPC de faire des propositions concrétes comme l'emprunt d'état à la différence de la LCR et du PC qui se contentent de crier au loup.
Je souscris tout de suite comme j'ai souscrit il y a quelque temps sur ALSTOM quand il a échappé à Siemens.Ce sont mes seules actions et je ne regrette pas car JPC a été alors sans le savoir mon conseiller financier en menant sur Belfort une politique industrielle la seule réaliste avec la recherche.
Le reste n'est que du vent et du vent mauvais car quand quelqu'un doit 100000 euros à sa banque c'est son probléme.Quand il doit 10 millions d'euros c'est le probléme de la banque

4.Posté par BA le 09/10/2008 16:02
Vue de France, l’information est passée relativement inaperçue. Mercredi 8 octobre, Henry Paulson, le secrétaire d’Etat au Trésor, a annoncé au cours d’une conférence de presse, que le plan de sauvetage voté la semaine dernière lui donnait le droit de nationaliser partiellement les banques. Et, selon la presse américaine, il va très probablement le faire.

“Nous allons utiliser tous les outils qui nous ont été donnés à leur efficacité maximale, y compris en renforçant la capitalisation des institutions financières de toute taille”, a déclaré Paulson mercredi. “La loi autorise le Trésor à acheter ou assurer les actifs en difficulté, à fournir des garanties, ou à injecter du capital”.

Selon le New York Times, ” le plan du Trésor n’est pas encore abouti, et la manière dont le processus va être mis en place n’est pas encore claire. Les banques devraient être volontaires, à l’image du plan annoncé mercredi en Grande-Bretagne.” Cela serait un nouveau pas dans l’escalade des mesures prises par les autorités financières américaines pour rétablir la stabilité du système bancaire.

Pour ceux qui avaient suivi les débats sur le plan Paulson, cette annonce est néanmoins surprenante. Il s’agit d’un retournement total de la position qui avait été tenue publiquement par le gouvernement et par les parlementaires américains. Tout le monde disait que le plan de 700 milliards de dollars était destiné uniquement à racheter les actifs des banques. Que s’est-il passé, alors ?

La réponse est simple. Henry Paulson et quelques parlementaires démocrates complices ont fait un tour de passe-passe législatif, comme rapporté ici et là. Explication :

1) Paulson sait que le mot nationalisation va faire peur aux parlementaires républicains, ainsi qu’aux banquiers. Il exclut toute mention de ce mot épouvantail dans son plan.

2) Il rédige un texte assez flou, qui laisse ouvert certaines interprétations, notamment en ce qui concerne le rachat “d’actifs” bancaires.

3) Un parlementaire démocrate, lors de la discussion publique du texte, demande au président de la Commission des finances de la Chambre des représentants, ce que “actifs” veut dire. Le président - il s’agit de Barney Frank - lui répond alors qu’il peut s’agir d’actions de banques. Déclaration de Barney Frank : ” Comme le député le sait, le Département du Trésor est d’accord avec cela, et nous devons être clairs, c’est l’une des choses que la Chambre et le Sénat ont ajouté au projet de loi, le pouvoir d’acheter des actions. Il ne s’agit pas simplement d’acheter les actifs, il s’agit d’acheter des actions, et pour acheter des actions d’une manière que le gouvernement fédéral sera en mesure d’en tirer un profit, si ces actions voient leur cours progresser “.

4) Cette interprétation, donnée en séance publique, a donc force de loi.

Bravo l’artiste ! Grâce à ce coup d’Etat législatif, le gouvernement Bush va pouvoir nationaliser toutes les banques et l’Amérique devenir un pays socialiste

http://cordonsbourse.blogs.liberation.fr/cori/2008/10/finalement-les.html

5.Posté par hélène le 09/10/2008 19:47
J'apprécie vos propositions pour la relance de l'économie.

Les propositions sont un fait si rare chez les politiques français, que j'en suis à me demander si un discours aussi convaincu et convainquant que le vôtre ne serait pas un excellent statert pour "la confiance".

Continuez à aider à sortir la tête de la France et des Français de l'eau et merci pour cela.


6.Posté par Claire Strime le 10/10/2008 09:29
Frapper fort et vite...une des premieres mesures à prendre pour sauver des entreprises du bâtiment et de services (souvent des PME-TPE) est de s'affranchir du carcan des directives européennes sur les procédures des marchés publics et d'attribuer les comandes publiques en fonction de l'utilité sociale et du maintien de l'emploi et de l'activité.

7.Posté par BA le 10/10/2008 16:49
Un article publié sur le site du journal La Tribune, tout simplement passionnant :

Ci-gît le libéralisme, 1979 - 2008.

Des banques nationalisées, en Europe et aux Etats-Unis. Des dirigeants européens qui réhabilitent l'intervention publique et suspendent les règles communes qui proscrivent les aides d'Etat, tout comme celles qui promeuvent la concurrence. Les salaires des patrons encadrés, la finance stigmatisée, l'économie de marché critiquée : la crise a provoqué un gigantesque tête-à-queue idéologique. Comme si, avec les craquements du système bancaire mondial, se terminait un grand cycle libéral. Un cycle comme le capitalisme en a connu plusieurs, qui s'interrompent toujours de la même façon, avec un krach financier retentissant.

Voilà près de trente ans que l'économie de marché sans limites était célébrée sur tous les continents, et qu'on lui attribuait non sans raison l'extraordinaire emballement de la croissance économique des dernières années, qui a vu le PIB américain progresser de moitié entre 1994 et 2006 et la Chine sortir du Moyen Age. C'est au nom de cette efficacité que nous avons organisé le retrait de la puissance publique dans la plupart des pays du monde. Qu'on a déréglementé les secteurs de l'énergie, des télécommunications, des transports, en exaltant les vertus de la concurrence.

Cette grande vague libérale naît durant les années 1970, dans le monde anglo-saxon. En 1979, Margaret Thatcher conquiert le pouvoir au Royaume-Uni. En quelques années, elle remet sur pied ce grand pays épuisé, en ouvrant les frontières, en taillant dans la dépense publique, en baissant les impôts et en cassant les syndicats. Quinze mois plus tard, l'Amérique élit à la présidence un vieil acteur au rencart reconverti dans la politique, Ronald Reagan. Ce républicain fera lui aussi merveille, en rétablissant une Amérique qui avait été considérablement affaiblie. Il réussira avec les mêmes recettes que son homologue britannique : moins d'impôts, moins de règles, moins d'État.

En 1989, la chute du mur de Berlin décuple la vague libérale, parce qu'elle ouvre au commerce et à l'économie de marché un continent qui aspire à la liberté politique et économique. Russie, Pologne, Tchécoslovaquie, nouveaux Länder allemands, tous se précipitent pour renier le plan et adorer le marché, avec le zèle du converti. La Communauté économique européenne accueille ces nouveaux catéchumènes avec enthousiasme. L'Europe est elle-même engagée dans une entreprise de vaste envergure, le marché unique. Le projet est inspiré, là encore, par la grande vague libérale qui balaye la planète : ouverture des frontières, démantèlement des politiques industrielles nationales au profit de la concurrence, contention de la sphère publique.

La ferveur libérale est à son comble au début des années 1990, grâce à l'irruption des nouveaux pays industrialisés, celle de la Chine en particulier, qui adoptent eux aussi l'économie de marché. Les entreprises occidentales profitent des nouvelles libertés d'investissement et des bas coûts de transport pour étendre leur terrain d'action. Le commerce mondial change subrepticement de nature : les échanges intrafirmes deviennent prépondérants, l'organisation des entreprises se love dans la nouvelle géographie de la croissance, profitant des considérables différences de salaires dans un monde où les règles du jeu économiques s'universalisent.

La première rupture intervient en 1997-1998, avec la crise asiatique, qui infléchit la trajectoire folle des «dragons» d'Asie du Sud-Est. Trois ans plus tard, c'est l'éclatement de la bulle Internet, puis le scandale Enron. Celui-ci jette une ombre sur la sincérité des comptes publiés par les entreprises. La croissance mondiale reprend pourtant à vive allure, grâce aux médications d'Alan Greenspan, qui soutient la croissance américaine en baissant ses taux d'intérêt.
Il s'ensuivra la plus grosse bulle spéculative de l'histoire, avec l'explosion des prix de l'immobilier dans le monde entier, et la progression inouïe de l'endettement - la liberté économique stimule les « instincts animaux », pour reprendre les termes de l'économiste John Maynard Keynes.

La dette totale des Américains (tous agents confondus) atteint 350 % du PIB en 2007 — même en 1929, elle n'avait fait que frôler les 300 %. La crise des subprimes intervient en juillet 2007, et s'amplifie au cours de l'année 2008.

On connaît la suite. Le marché a produit une catastrophe qu'il est incapable de régler tout seul. D'où l'incroyable succession de nationalisations d'établissements financiers depuis quelques mois. Comme toujours, les autres nations suivent, et se mettent à prêcher aussi pour le retour de l'Etat, le contrôle des rémunérations, le retour à la réglementation...

Et les conversions idéologiques se multiplient. Celle de Paul Krugman, par exemple, économiste réputé et naguère défenseur de la mondialisation heureuse, et aujourd'hui bien plus circonspect.

Ou celle de Giulio Tremonti, lieutenant de Silvio Berlusconi, qui a publié, début 2008, un livre qui fait un tabac, la Paura e la Speranza ("La Peur et l'Espoir"). Naguère maître à penser de la droite libérale, il conteste aujourd'hui le marché, «idéologie totalitaire», et appelle à la construction d'une Europe « avec des portes, à condition qu'elles ne soient pas toujours ouvertes ». Autant de signes du gigantesque retournement idéologique qui est à l'œuvre sous nos yeux, dans le monde entier.

Nicolas Sarkozy lui-même a d'ailleurs fait l'apologie du rôle de l'Etat dans l'économie, lors de son discours de Toulon, fin septembre 2008.

Jusqu'où peut aller cette inclination régressive ? Rien n'est désormais impossible. La mondialisation entre très probablement dans une phase d'éclipse. Car sa cause première n'est ni la technologie, ni la baisse des coûts de transport, ni même l'organisation des entreprises, mais le degré de tolérance des sociétés à l'ouverture internationale et leur aspiration à la liberté. Sentiment qui varie sensiblement d'une époque à l'autre, en fonction de la conjoncture et de la confiance dans l'avenir. En temps de crise, les citoyens ne demandent pas plus de liberté, mais plus de protection.

Dans les mois qui viennent, nos sociétés vont donc rétablir les frontières nationales. En Europe, nous avons commencé, avec la multiplication des mesures dispersées et contradictoires que les gouvernements ont prises pour lutter contre la crise. Et, dans peu de temps, le libéralisme nous semblera ce qu'il est : une belle idée de beau temps, complètement inadaptée lorsque l'âme collective s'inquiète d'une tempête inhabituelle.

Une consolation, toutefois. Durant ce cycle qui s'ouvre, la France, viscéralement antilibérale, sera en accord avec son temps, en vertu d'une loi éternelle : une pendule arrêtée donne l'heure deux fois par jour.

Auguste Detoeuf, le 1er mai 1936 : "le libéralisme est mort ! "

Dans les années 1930 aussi, on s'interroge sur les moyens de sortir de la crise, et sur la nécessité de revenir à l'intervention économique au détriment de l'économie de marché. En France, un petit groupe d'esprits éclairés, polytechniciens, crée alors un groupe de réflexion, «X-Crise». Le 1er mai 1936, X-Crise reçoit un grand dirigeant d'entreprise, Auguste Detœuf, patron de Thomson-Houston, qui prononce une conférence intitulée « La fin du libéralisme ». Extraits : « Le libéralisme est mort ; il a été tué, non pas par la volonté des hommes ou à cause d'une libre action des gouvernements, mais par une inéluctable évolution interne. Je crois que la fausse mystique libérale, les déclarations libérales sans sincérité, toute cette démagogie à l'intention des classes dirigeantes et d'un peuple qui confond la liberté économique avec la liberté tout court, sont des dangers publics. »

François Lenglet, rédacteur en chef Economie, politique, international à La Tribune.

http://www.latribune.fr/opinions/20081009trib000181654/ci-git-le-liberalisme-1979-2008.html

8.Posté par Naradatta le 10/10/2008 18:05
Excellente analyse, dont les conclusions et prises de positions en faveur du volontarisme rejoignent celles que d'aucun défendent chez NDA, de même que ce dernier a proposé d'accoler poste et caisse des dépots pour en faire une banque nationale.

9.Posté par Jacques Kotoujansky le 10/10/2008 20:18
Bravo à JPC pour ce beau discours, profond et réaliste, proposant des solutions !
Puisse JPC trouver les voies et moyens de jouer un rôle national décisif, et pas seulement un rôle dans les querelles intestines du Parti socialiste !
JK

10.Posté par escobar le 12/10/2008 09:31
Plus fort!

Un tel discours ne doit pas rester lettre morte M. Chevènement, il épouse ce que pense une majorité du pays, faites-vous entendre auprès de la Présidence, diffusez vos idées, elles en valent la peine, elle vont dans le bon sens, celui de la raison et de l'espoir.

11.Posté par furaxauboulot le 14/10/2008 19:43
On nous laisse à penser qu'à force de recapitalisations , le problème de la crise financière est résolu. Nous avons échappé grace aux pompiers pyromanes à un 1929 bis. JPC doit dénoncer avec son talent didactique cette imposture. Son raisonnement est à double détente. Un état des lieux post-crise serait le bien venu.

12.Posté par furaxauboulot le 23/10/2008 17:57
Post-crise....c'était un peu optimiste. Il s'avère que rien n'est résolu que la crise va durer.

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