Grands textes

La gauche doit savoir où elle habite


Intervention de Jean-Pierre Chevènement en clôture de l'université d’été du MRC, Saint-Pol sur Mer – 9 septembre 2007.


Jean-Pierre Chevènement lors de son discours de clôture de l'université d'été du MRC, dimanche 9 septembre 2007
Jean-Pierre Chevènement lors de son discours de clôture de l'université d'été du MRC, dimanche 9 septembre 2007
Merci d’abord à Christian Hutin, député-maire de Saint-Pol sur Mer, à Claude Nicolet et aux équipes du Nord, pour leur accueil qui contribue au remarquable succès de cette Université d’été. Merci également à nos invités, à Vincent Peillon dont nous avons apprécié l’acuité républicaine du discours. Merci aussi à Bernard Cassen qui a fait se lever des générations nouvelles de militants. Merci à nos trois rapporteurs, Claude Nicolet, Sami Naïr et Patrick Quinqueton pour leur travail et leurs exposés remarquables. C’est l’absence d’un projet véritable qui a conduit, pour la troisième fois depuis 1995, la gauche à la défaite aux élections présidentielles. Cette défaite n’a rien d’inéluctable.

I – Une gauche républicaine capable d’élaborer un projet à la hauteur des défis du temps demain peut l’emporter.

A) Pour ma part, je reste fondamentalement optimiste pour l’avenir d’une telle gauche républicaine, mais je ne crois pas que le parti socialiste puisse trouver seul la force d’un sursaut salvateur. Il peut le favoriser ce qui serait déjà beaucoup. Et cela demande à ses dirigeants une certaine hauteur de vues. C’est ce que semble proposer François Hollande aux partenaires du parti socialiste avec la tenue d’ « Assises » avant même les prochaines municipales. Il faudra aller beaucoup plus loin dans la refondation si on veut que la gauche revienne au pouvoir avant dix ans. Il faudra un « événement » aujourd’hui indescriptible (de type 1936 ou 1968) et surtout une structure politique capable d’accueillir cet évènement, structure dans laquelle puissent se retrouver les jeunes générations, se brasser des militants issus des couches populaires aussi bien que des couches nouvelles et surtout s’élaborer un nouveau logiciel. Là est l’essentiel. Car le logiciel élaboré à Epinay en 1971 a été déclassé par les socialistes eux-mêmes, à partir de 1983, au profit d’une politique social-libérale qui les a mis en porte-à-faux avec leur électorat. Ils ne lui ont pas substitué un nouveau logiciel, j’entends par là à la fois une grille de lecture du monde cohérente prenant en compte les défis extérieurs et l’évolution de la société française, et une feuille de route permettant de dépasser les réponses au coup par coup, sans principes. Ce nouveau logiciel ne peut se réduire à la conversion libérale entamée en 1983, aboutissant, au prétexte de l’Europe, à une ringardisation de la nation que celle-ci n’accepte plus. Ce nouveau logiciel doit signifier une conversion républicaine capable de réconcilier la gauche et la France et de mettre la première en phase avec les besoins et les intérêts essentiels de la seconde. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, pour opérer cette conversion républicaine et revaloriser le rôle de la nation pour mettre la gauche au service de la France, selon une expression employée par François Hollande lui-même à La Rochelle. C’est un immense travail, tout à fait exaltant pour ceux qui sont prêt à s’y engager. Et le MRC est prêt pour cette refondation républicaine. François Hollande m’a indiqué qu’il souhaitait que nous participions à un Comité de liaison de la gauche. Pour ma part je ne vois pas a priori d’inconvénient à accepter cette proposition à condition bien entendu de préserver la liberté de nos analyses et nos intérêts politiques essentiels. Et il faudra que les Assises soient précédées et suivies de débats décentralisés où vous aurez à prendre toute votre place. Ensuite doit venir un congrès de refondation et pas un simple congrès socialiste.


B) Notre identité est claire. Le MRC doit savoir ce qui le rapproche et ce qui le distingue du Parti socialiste.

Issu historiquement du CERES, de « Socialisme et République », puis du Mouvement des Citoyens, le MRC n’est pas seulement un rameau du socialisme français. Il a entendu constituer dès l’origine un courant républicain civique qui est nécessaire à la gauche et au pays. De ce point de vue, nous devons mieux préciser notre rapport historique au courant socialiste auquel nous appartenons sans pour autant nous confondre avec lui. Ce n’est pas seulement la guerre du golfe et le traité de Maastricht qui nous ont éloignés du parti socialiste. C’est plus profondément notre conception républicaine, dont les racines, à bien y réfléchir, sont déjà présentes dans la pensée de Jaurès et qui ont fait du CERES dès sa création un « empêcheur de tourner en rond ». Notre regard sur l’Histoire nous différencie du courant socialiste traditionnel auquel nous appartenons cependant.

1. D’abord le combat socialiste nous paraît plus nécessaire aujourd’hui que jamais. En effet, le socialisme a d’abord été, selon le mot de Durkheim, un « cri de douleur ». Face à l’exploitation sans frein des travailleurs par le capitalisme naissant, ceux-ci ont cherché et réussi à s’organiser pour améliorer leur sort. A ce travail d’organisation près de deux fois séculaire revient le mérite d’avancées sociales que l’augmentation de la productivité seule n’aurait pas assurées.

Sans l’organisation et la combativité des organisations ouvrières, aucun progrès social n’eût été possible. Il est de l’essence même du capital d’aller au bout de sa logique : celle de l’exploitation maximale de la force de travail. Résistance, équilibre, progrès enfin, ces trois mots résument la vocation du socialisme face à cette logique d’exploitation toujours à l’œuvre dans l’Histoire : ce qu’on appelle « mondialisation libérale » aujourd’hui ne se manifeste-t-il pas d’abord par la mise en concurrence, à l’échelle mondiale, des territoires et des mains d’œuvre par les multinationales et les fonds d’investissement ?

Pour contrarier la logique du capital, plusieurs voies ont été explorées : action syndicale, réformes parlementaires, tentatives révolutionnaires, dont je ne prétends pas refaire la théorie.

Il y a plusieurs manières de combattre la logique d’exploitation inhérente au système capitaliste, mais quelles qu’en soient les formes, le combat est nécessaire. Cela ne suffit pas, pour autant, à définir le socialisme.

2. Le socialisme c’est d’abord une critique du capitalisme.

Que reste-t-il de l’ambition démiurgique affirmée par Marx il y a cent cinquante ans, de faire du prolétariat l’acteur d’une Histoire rompant avec des siècles d’oppression ?

Le succès du révisionnisme bernsteinien en Allemagne, à la fin du XIXe siècle c’est-à-dire d’un réformisme au jour le jour, l’effondrement du communisme en Russie et la conversion du parti communiste chinois à un capitalisme d’Etat sans contrepoids, à la fin du siècle dernier, ont sonné trois fois le glas de la prophétie marxiste visant à ériger le prolétariat, non seulement en acteur indépendant et conscient de l’Histoire de l’Humanité, mais en légataire universel de toutes les traditions et avancées progressistes. On a pu décrire Marx ironiquement comme le dernier des grands prophètes juifs. Du mouvement socialiste ne restent aujourd’hui que les organisations qui s’en réclament, à tort ou à raison, et souvent plus à tort qu’à raison. Un réformisme au jour le jour est l’horizon borné où les partis socialistes européens inscrivent aujourd’hui leur action.

Historiquement, le socialisme a été et doit rester une analyse critique du capitalisme à travers une méthode à certains égards aujourd’hui encore inégalée : Il n’y a rien d’autre à retenir de Karl Marx, mais c’est l’essentiel – et ce n’est pas rien - : à travers la théorie de la valeur travail, l’analyse dite « matérialiste » du rapport entre l’évolution des classes sociales et celle des forces productives, la définition lumineuse enfin de « l’idéologie dominante », comme étant, en dernier ressort, celle des classes dominantes. Cette méthode d’analyse peut être affinée et développée, mais elle reste incontournable. Elle est la contribution éminente de Marx à la science des sociétés. Cette méthode n’implique nul prophétisme. Ce socialisme baptisé « scientifique » n’est pas un système de prévision. Il est simplement une incitation à comprendre le mouvement global du capitalisme, et précisément ce qu’on appelle aujourd’hui mondialisation ou mieux « globalisation ». Nul ne peut se dire socialiste aujourd’hui s’il n’inscrit pas son action dans une analyse critique de la « globalisation ». C’est ce qui fait défaut aux lointains disciples contemporains d’Edouard Bernstein, Michel Rocard par exemple dont le socialisme ne se définit qu’à l’aune de quelques valeurs morales coupées de toute analyse concrète, thuriféraire du « marché », depuis trente ans que l’Ecole de Chicago sert de feuille de vigne au triomphe du néolibéralisme à l’échelle mondiale ! Le « rocardisme » n’aura ainsi été que le reflet de l’idéologie dominante. Nous devons, au contraire, affirmer un réformisme ambitieux, en « pensant mondial ».

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Est-ce que l’adoption d’une méthode d’analyse peut suffire pour autant à définir le socialisme ? Certainement pas !

D’abord parce que cette méthode, conçue dans la deuxième partie de l’avant-dernier siècle, est nécessairement imparfaite. Ses limites ont été rendues très visibles sur quelques sujets essentiels : la nation, l’Etat, les cultures non européennes et cela à la lumière même des échecs historiques du mouvement ouvrier :
- l’incapacité de la IIe Internationale à empêcher l’éclatement de la première guerre mondiale ;
- l’impuissance devant la montée du fascisme dans les années 1930 ;
- l’européocentrisme, aussi bien face à la colonisation qu’à la décolonisation ou plus récemment au « nouvel ordre mondial » proclamé par George Bush père en 1990 et poursuivi aujourd’hui par son fils au nom de la « guerre contre la terreur » ;
- l’incapacité enfin à opposer une digue face à la « globalisation » et notamment à imposer, dans les institutions européennes et cela va sans dire dans les institutions économiques mondiales (OMC, FMI), un compromis « social » aux forces du capital. Je reviendrai tout à l’heure sur ces moments où l’Histoire a basculé.

Une méthode d’analyse, si affûtée soit-elle, ne définit pas une direction. Les valeurs du socialisme sont celles des Lumières, telles qu’elles se sont développées en Europe au dix-huitième siècle. Ces valeurs sont-elles toujours actuelles ? Valent-elles pour d’autres cultures et sur d’autres continents ?

3. Nous restons fidèles aux valeurs intellectuelles et morales des Lumières.

Nous avons appris à nous méfier des prophéties et des religions de substitution. On a pu ainsi décrire le socialisme comme la dernière « hérésie judéo-chrétienne », mais j’inclinerais pour ma part à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Les Lumières n’ont pu se développer que sur le riche substrat de valeurs morales qu’on appelle « laïques », mais dont beaucoup ne sont que des valeurs chrétiennes laïcisées.

A bien y regarder, ces valeurs (égalité, justice notamment) sont présentes à des degrés divers dans presque toutes les civilisations : même celles où n’existe pas un mythe de « l’Age d’or ». De là ne s’ensuit pas que l’idée de liberté, héritée de l’ancienne Grèce, l’autre source majeure de la civilisation occidentale et sans doute sa source principale, se soit partout frayée un chemin. Or, c’est une des leçons de l’Histoire que le socialisme tourne à la caricature s’il dissocie la liberté de l’égalité. Le socialisme de caserne n’est tout simplement pas socialiste. C’est l’originalité de Jaurès et de beaucoup de socialistes français qu’ils ont toujours lié étroitement le socialisme et la République : l’un comme l’autre de ces deux concepts ne vont pas sans une part d’utopie. Mais la République ne se résume pas aux valeurs inscrites dans sa devise. Elle ne va pas sans exigence : elle implique le citoyen, la responsabilité, le civisme, comme nous n’avons cessé de le rappeler depuis le début des années quatre-vingts.

Le socialisme, tel qu’il s’est réellement développé, a été trop souvent confondu avec une technique d’organisation économique ou sociale : nationalisation des moyens de production, planification dite démocratique, assurance sociale généralisée, etc. Et quand il a dépéri, ce n’est pas seulement sous les coups de boutoir de ses adversaires, c’est par l’oubli des valeurs qui le fondent : esprit de service public, civisme inséparable d’un sain patriotisme, volonté de comprendre, rigueur intellectuelle et morale, amour des valeurs de la connaissance, refus des idéologies anti-science, solidarité. C’est la spécificité du courant républicain civique que nous incarnons de marquer l’importance de ces valeurs « républicaines » que certains courants du PS ont abandonnées.

Pour autant nous savons que nous appartenons à la famille socialiste. Le mouvement socialiste démocratique, en dehors des réformes sociales dont nul ne contestera qu’il les a inspirées, s’il ne les a pas toujours réalisées lui-même, peut, à la lumière du dernier siècle écoulé et malgré ses échecs, garder la tête haute, au regard des autres courants de pensée et d’action qui ont structuré la vie démocratique dans les pays industrialisés.

4. Tête haute mais lucide.

a) Les socialistes ont vu venir la première guerre mondiale. Ils l’ont combattue en paroles. Ils prétendaient l’empêcher. S’ils n’y sont pas parvenus, ils n’y ont au moins pas contribué.

b) Le socialisme démocratique a pris d’emblée ses distances avec la révolution bolchevique. Le discours de Léon Blum au Congrès de Tours (1920) est le texte fondateur du socialisme français maintenu dans la « vieille maison ». Que certains courants socialistes aient ensuite versé dans un anticommunisme de principe qui a pu conduire certains d’entre eux à faire le jeu du fascisme, ne détruit pas la justesse de l’intuition fondamentale des socialistes quant à l’évolution du communisme soviétique. Cela ne veut pas dire que la tentative communiste n’ait pas eu sa grandeur. Continuons à essayer de promouvoir, sur une base de principes, les réconciliations nécessaires.

c) Les socialistes ont su aussi d’emblée combattre et dénoncer le péril fasciste même s’ils se sont avérés impuissants à l’enrayer, prisonniers du pacifisme né de la boucherie de la Première guerre mondiale, ensuite de la logomachie abstraite qu’ils avaient eux-mêmes introduite au sein de la SDN (désarmement, arbitrage, sécurité collective), et enfin d’une vision de la politique étrangère qui les mettait à la remorque des bourgeoisies occidentales et d’abord britannique, c’est-à-dire d’un anticommunisme et d’une volonté d’« appeasment » avec Hitler, que beaucoup d’entre eux, d’ailleurs, partageaient par pacifisme.

C’est le drame du socialisme français que, maître du pouvoir en 1936, il n’ait pas su susciter en son sein un Robespierre ou un Carnot. C’est De Gaulle, en 1940, qui a incarné la Résistance. Toute notre Histoire en a été durablement et profondément marquée. Au moins, beaucoup de socialistes (pas tous) se sont-ils retrouvés dans la Résistance, derrière Léon Blum et Daniel Mayer. Le mérite de Léon Blum fut, en particulier, de faire accepter aux socialistes l’autorité du général de Gaulle. Dans la lutte contre le fascisme, les socialistes n’ont pas tenu le premier rôle, mais leur rôle a été honorable.

Comme l’a dit cruellement Kautsky, « L’internationale socialiste n’était pas faite pour les temps de guerre ». Ce fut vrai pour la seconde guerre mondiale comme pour la première. Comme si, par essence même, le socialisme démocratique n’était pas taillé pour faire face aux crises dont pourtant le développement du capitalisme est et reste gros. Cela reste hélas vrai face à ce que Samuel Huntington a appelé le choc – certains disent la guerre – des civilisations.

d) Il y a là une tache aveugle du « socialisme démocratique » : son européocentrisme.

Si les socialistes ont souvent dénoncé les méfaits de la colonisation, ils n’en ont jamais fait un thème central de leurs luttes. A bien des égards, certains voyaient même dans la colonisation un progrès, ou une promesse d’avenir, pour les peuples colonisés.

Le même européocentrisme a caractérisé l’attitude des socialistes devant les mouvements de libération nationale qui ont conduit à la décolonisation.

En France, de Marius Moutet, en Indochine, en 1946, à Guy Mollet en Algérie dix ans plus tard, la cécité semble avoir été la règle, si on met à part la notable exception des lois Defferre en Afrique Noire.

Le socialisme démocratique se retranche volontiers derrière l’argument voire le prétexte de la démocratie pour prendre ses distances avec les nationalismes du Tiers-Monde, voire épouser les croisades impérialistes, ainsi à l’occasion de la première guerre du Golfe. Tout se passe comme si le socialisme démocratique était prisonnier de l’aire culturelle européenne. Il n’a pu ainsi prendre que de faibles racines sur les autres continents : dans certains pays d’Amérique Latine comme le Chili, ou au Japon, où les socialistes sont toujours restés minoritaires. Face à l’hégémonie américaine, la démarche du socialisme démocratique se caractérise par le suivisme.

Au sein de la IIe Internationale, un Hilferding avait quand même pu faire la théorie du capital financier en 1910, apportant ainsi une contribution remarquable à la théorie de l’impérialisme. Aujourd’hui on ne voit rien de tel chez les sociaux-démocrates ou se prétendant tels, dont la réflexion sur la mondialisation reste étroitement prisonnière de l’horizon du marché. Pascal Lamy, à l’OMC, œuvre à la libéralisation complète et sans condition du marché mondial. Quant à Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI son mandat sera celui que définiront les Etats-Unis, le Japon et les grands Etats européens qui détiennent une majorité écrasante dans l’institution. Les pays du Sud sont en bout de table. Le problème de l’impérialisme sous-tendu par l’hégémonie de l’Hyperpuissance est délibérément tu. A nous de le faire prendre en compte.

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Si globalement les socialistes ont ainsi discerné avant les autres les périls qui menaçaient la civilisation, la lucidité leur commande néanmoins la modestie car ils n’ont pas été, dans leur ensemble et malgré des exceptions notables, à la hauteur des défis de l’Histoire, faute sans doute d’une analyse suffisamment englobante de ce qu’était le capitalisme de leur époque. Mais certains, tel Léon Blum, restent de belles figures morales. Il appartient au MRC de conduire des analyses approfondies et de faire des choix courageux, particulièrement par rapport aux dérives de la globalisation financière et à la fuite en avant de l’Hyperpuissance américaine. Le MRC mettra ainsi dans la gauche plus qu’un grain de sel.


C) Notre rapport actuel au PS : alternance ou alternative ?

Soyons clairs : la gauche a naturellement vocation à l’alternance dans le système institutionnel qui est le nôtre, mais suffit-il d’attendre un succès électoral des échecs de la droite ? Le PS l’a cru en 2004. C’était une illusion. L’alternance, pour être crédible, doit comporter une dimension d’alternative. L’effet « essuie-glace » est épuisé. Si, à l’occasion des trois dernières élections présidentielles – 1995 – 2002 – 2007 – le candidat du parti socialiste a été défait, c’est faute d’un projet réellement alternatif et crédible à la fois. En 1995 la gauche n’était pas encore remise de la Berezina de 1993. Et en 2002 comme en 2007, elle a cru pouvoir l’emporter grâce surtout au rejet de Jacques Chirac, puis de Nicolas Sarkozy. Certes, Ségolène Royal a avancé quelques mots d’ordre forts et reconquis une partie des couches populaires. On trouve dans sa campagne l’écho de notre discours. On le trouve d’ailleurs aussi – soit dit en passant - dans les propos de campagne de Nicolas Sarkozy, inspirés par Henri Guaino. Le chevènementisme, comme discours républicain, a heureusement ou malheureusement vocation à être récupéré ! L’accord politique MRC-PS du 9 décembre 2006, que je vous invite à relire, a été globalement respecté par Ségolène Royal, sur la réorientation de l’Europe notamment. Mais il a manqué une traduction vigoureuse et convaincante des valeurs proclamées au niveau des propositions concrètes et du scénario permettant à la France de desserrer les mâchoires de la mondialisation libérale. Là où je suggérais, dans mon discours du 13 novembre 2006 à Japy, l’envoi de deux « mémorandum » aux institutions et aux gouvernements européens, seules ont été ouvertes des perspectives trop timides de renégociation.

Je ne critique pas Ségolène Royal. Certains socialistes s’en chargent, avec souvent beaucoup d’excès et quelquefois une rare inélégance. Faut-il le rappeler ? Ségolène Royal était leur candidate désignée à plus de 60 % des voix. Sa candidature traduisait la crise du parti socialiste après le rejet de la « Constitution européenne » pour laquelle il s’était prononcé naturellement, puisque cette Constitution, lancée en 2000, était – je vous le rappelle - un enfant de la cohabitation. Ségolène Royal n’a pas été la candidate des sondages comme on le prétend mais la candidate à travers laquelle le parti socialiste a espéré pouvoir surmonter sa crise. Ceux qui l’accablent aujourd’hui avaient-ils un meilleur candidat ? Je n’en suis pas sûr. Les fulminations de Claude Allègre ne parviennent pas à dissimuler la pauvreté de sa réflexion politique. Si Ségolène n’a pas été élue, c’est que les socialistes, à mon sens, étaient encore loin d’avoir mis leurs idées au clair sur la nation, sur l’Europe, sur la mondialisation aussi bien que sur les exigences d’une politique républicaine de sécurité, ou encore sur la nécessaire revalorisation du travail, dans un pays où les taux d’activité sont trop faibles, comme nous l’avions relevé dans l’accord MRC-PS. J’observe avec plaisir que ces réorientations que nous prônions sont clairement mentionnées dans le discours de La Rochelle de François Hollande. Mais Ségolène a dû faire avec ces contradictions du parti socialiste. Ses intuitions, souvent justes, paraient au plus pressé, mais elles venaient trop tard ou trop tôt. Le parti socialiste n’était pas en phase avec elles, faute d’avoir su, à travers un projet cohérent, opérer à temps les synthèses nécessaires, y compris en tranchant entre ses différentes sensibilités.

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Rendons à Nicolas Sarkozy cet hommage qu’il a su mieux exploiter les contradictions de la gauche - sur l’assistanat, la sécurité ou l’immigration - que la gauche n’a su exploiter les siennes, pourtant bien réelles (sur l’atlantisme, le libéralisme, la complaisance à l’égard des privilégiés de la fortune).

Ségolène Royal n’a pas été battue que par certains socialistes, mais nombreux sont ceux qui y ont contribué, notamment en soutenant l’opération Bayrou. La pluie de livres critiques qui s’abat sur celle manifeste de la part de tous leurs auteurs à quel point ceux-ci restent enfermés dans les choix politiques européistes et libéraux effectués depuis tant d’années et qui ont conduit le parti socialiste à trois défaites successives. Aucun de ces brûlots ne dépasse l’horizon d’un libéralisme borné ou simplement teinté de remords social, sauf peut-être Marie-Noëlle Lienemann qui, venue du rocardisme, fait aujourd’hui du chevènementisme, apparemment sans le savoir, et en revendiquant, pour la gauche socialiste du « non », le bénéfice des inflexions positives que nous avons apportées à la campagne de Ségolène sur l’Europe. Ne chipotons pas : ces chicaias traduisent paradoxalement un certain remords : ceux qui nous donnent raison aujourd’hui sur Maastricht, l’Irak ou la Corse, nous en veulent surtout de s’être trompés eux-mêmes hier. Notre combat était d’avant-garde. Nous avons été courageux, mais nous n’en recueillons pas toujours les fruits. Nous avons ainsi passé un accord politique avec le PS que pour notre part nous avons respecté. Je n’en dirai pas autant de notre partenaire, s’agissant notamment du volet électoral, notamment dans les Ardennes, le Territoire de Belfort et l’Indre. Il faudra en tirer les leçons. Je l’ai fait, à ma manière, à Belfort où je confesse qu’il est difficile de se faire élire à la fois contre la droite et contre le parti socialiste local. Un nouveau maire, Etienne Butzbach, MRC mais élu par toutes les composantes de la gauche belfortaine, a pris le relais depuis le 29 juin. J’espère encore que, malgré des déclarations imprudentes de ses dirigeants, le parti socialiste local ne prendra pas la responsabilité, comme il l’a fait aux législatives, en maintenant un candidat contre moi, et à la présidentielle qu’il a délibérément sabotée, d’une nouvelle défaite qui ferait perdre à la gauche la mairie de Belfort, la communauté d’agglomération, le Conseil général et le siège de sénateur. Excusez-moi d’avoir pris un exemple local. Ce n’est pas mon genre – j’ai toujours préféré rester au niveau des idées générales - mais il a valeur de test. Il faut savoir si le parti socialiste préfère la droite au MRC, comme cela a été souvent le cas jusqu’à présent, y compris quand nous avons été marginalisés au gouvernement, au détriment des intérêts bien compris de la gauche tout entière. Pour notre part, nous ne changerons pas de cap. Nous maintiendrons au sein de la gauche et pour la gauche l’exigence républicaine. C’est ainsi que nous espérons la faire réussir un jour.



II – La droite et ses contradictions.

Je vous propose donc de nous tourner délibérément vers l’avenir. La droite est naturellement plus en phase avec la globalisation libérale que la gauche. Cela rendait plus facile la victoire de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle mais celui-ci est aujourd’hui prisonnier des mêmes entraves que la droite puis la gauche ont acceptées, depuis la fin des années 1970 : la globalisation libérale et l’européisme paralysant.

A) Le rétrécissement des marges de manœuvre.

Le budget 2008 est basé sur une hypothèse de croissance irréaliste. Les cadeaux fiscaux aux riches seront financés par l’endettement de l’Etat. La réduction du nombre des postes d’enseignants sera payée par celle des heures de cours, notamment de français. C’est le moment que choisit le gouvernement pour stigmatiser l’Ecole primaire. Il ferait mieux d’incriminer la politique des ministres de l’Education Nationale, de droite comme de gauche, qui ont réduit le nombre des heures de français. Là est en effet une des causes du pourcentage élevé d’élèves arrivant au collège sans savoir lire ni écrire. Il est plus facile de créer une « mission sur les enseignants » dont la « personnalité phare » sera Michel Rocard, sous le gouvernement duquel a été votée la loi d’orientation scolaire de 1989, créant les IUFM. Le pédagogisme a encore de beaux jours devant lui ! La lettre de Nicolas Sarkozy aux enseignants pose d’excellents principes – retour au savoir et à l’autorité des maîtres – mais le poids de la gestion – la réduction des postes et donc des horaires – flanque par terre ces beaux principes. Sur l’autonomie des établissements et la suppression de la carte scolaire, les ambiguïtés sont immenses.

Le nouveau Président de la République est l’homme de la diversion permanente : les déclarations tonitruantes, ainsi la proposition de castration chimique des pédophiles, occultent - mais pour combien de temps ? – les problèmes aggravés de la vie quotidienne : persistance d’un chômage de masse, vie chère, remise en cause par les directions des entreprises de la durée du travail sans contrepartie salariale, ainsi chez Goodyear dans l’Aisne : il ne s’agit plus de « travailler plus pour gagner plus », mais pour gagner la même chose ou, à défaut, voir fermer l’usine. Le processus insidieux des délocalisations se poursuit – ainsi les stylos Reynolds à Lyon - et si on peut approuver certaines mesures d’organisation dans le domaine de l’Université, de la recherche, de l’aéronautique ou de l’énergie compte tenu des décisions d’ouverture des marchés de l’énergie prises à Barcelone il y a cinq ans, rien n’indique que nos multinationales vont cesser d’investir à l’étranger plutôt qu’en France, bien au contraire. Je ne critique pas l’implantation de Renault à Tanger, encore que la réduction de la production d’automobiles en France par Renault et PSA me paraisse très préoccupante : c’est une part essentielle de notre industrie qui « fout le camp ». Notre épargne n’est pas canalisée vers l’industrie française. Le rêve sarkozien de faire de la France un pays de petits propriétaires de leurs logements nous fait retomber dans un travers historique du capitalisme français, la préférence pour l’investissement dans la pierre. Cette politique nuira à la mobilité de la main d’œuvre. Elle est mauvaise. S’agissant enfin des investissements étrangers en France dont Mme Lagarde se flatte à l’excès, on oublie de dire que les investissements français à l’étranger sont deux fois plus importants. Notre épargne fuit. Nous perdons notre substance. Les pôles de compétitivité sont trop souvent des usines à gaz. Notre compétitivité se dégrade. Notre commerce extérieur est déficitaire de 30 milliards d’euros (deux fois plus qu’en 1982), tandis que l’Allemagne, bien positionnée sur des créneaux porteurs, dégage un excédent annuel de 160 Milliards d’euros. Quelle Europe sommes-nous en train de construire sur des bases aussi déséquilibrées ? On me répondra que l’euro le permet – jusqu’à quand ? – mais cette situation nous empêche aussi de réformer le système de l’euro. Nous sommes ainsi « au rouet » comme disait Montaigne. Bref, nous sommes sur un toboggan, prisonniers d’un cercle vicieux, entraînés vers le déclin, faute d’une volonté politique remettant en cause les règles du jeu biaisées de la mondialisation et d’une construction européenne qui la relaye.

Le nouveau Président de la République a de l’énergie à revendre, mais il risque de s’épuiser dans des effets d’annonce, tandis que certaines réformes, quelques fois bien inspirées (elle ne le sont pas toutes) ne porteront leur effet que dans la longue durée (ainsi le crédit-impôt sur la recherche). Nous sommes des républicains. Nous avons l’habitude de parler clair. J’ai toujours dit qu’il faudrait juger Nicolas Sarkozy sur ses actes. Prenons donc de la hauteur pour mieux prendre la mesure de la réduction de ses marges de manœuvre. Nous verrons mieux ensuite quelles sont les conditions d’une refondation républicaine de la gauche.


B) La crise s’approfondit.

Le capitalisme financier globalisé, qui s’est installé depuis les années quatre-vingt-dix, nous conduit de bulle financière en bulle financière, le crédit alimentant la spéculation, sans qu’aucun mécanisme de régulation interne n’intervienne. La finance est livrée à elle-même. Les fonds spéculatifs tiennent le haut du pavé. Les Banques Centrales réagissent au coup par coup, sans vue d’ensemble. Tout a été sacrifié à la préservation de la valeur des actifs financiers. L’actionnaire l’a emporté sur le manager. La recherche de la rentabilité à court terme domine tout. Une intense pression concurrentielle s’exerce sur les produits comme sur la main d’œuvre. Les multinationales mettent les territoires en concurrence.

Un modèle asiatique fondé sur l’exportation, des monnaies sous-évaluées et la limitation de la demande intérieure, a inversé le sens des mouvements de capitaux entre pays anciennement développés et pays émergents. Ainsi entre la Chine et les Etats-Unis, qui ont instauré entre eux un régime de complicité ambiguë. La Chine s’industrialise aux dépens des Etats-Unis mais ceux-ci achètent en payant en monnaie de singe, avec des bons du Trésor libellés en dollars. Dans cet étau, l’Europe souffre. Son tissu industriel s’érode.

Comme je le déclarais Place de la République, le 13 novembre 2006, il y a moins d’un an : « le marché européen est un ventre mou, offert à tous les coups, avec des inégalités de salaires structurelles qui vont de 1 à 20. L’euro cher - 50 % de plus qu’en l’an 2000 - pénalise nos exportations, décourage l’investissement, précipite les délocalisations. Il n’y a pas de politique de change. Il n’y a plus de pilote dans l’avion ! (…) Même si ceux qui vivent de la mondialisation voient leurs revenus, notamment financiers, s’envoler, la France et notamment le monde du travail souffre : le chômage de masse touche en réalité trois à quatre millions de personnes. La précarité s’étend. Il y a 7 millions de travailleurs pauvres. Le pouvoir d’achat des salariés stagne, voire régresse. Les classes moyennes sont touchées à leur tour. Les jeunes, y compris les diplômés, vivent un véritable appauvrissement. L’ascenseur social ne fonctionne plus. L’intégration des jeunes issus de l’immigration est de plus en plus difficile. La société française est bloquée (…) Il est temps de réagir L’Europe avec les peuples peut être en effet la meilleure réponse au piège qui se resserre si nous en avons la volonté opiniâtre et si nous savons la faire partager autour de nous. La volonté de la France sera un encouragement pour tous ceux qui, peu ou prou, partagent la même situation que la nôtre. (…) Pour faire rebondir la France, il faut réorienter l’Europe qui pèse sur la plupart de nos choix et remettre en marche le modèle républicain. (…)D’un autre côté, une concurrence entièrement faussée offre nos marchés aux produits à bas prix. Notre tissu industriel se délite sous l’effet des délocalisations. »

Avec le recul on ne peut pas dire que ce discours n’ait pas trouvé d’écho dans la campagne présidentielle. Mais où est aujourd’hui le plan cohérent que je réclamais pour réorienter la construction européenne, faire rebondir la France et remettre en marche le modèle républicain ? Il y a un fossé entre les discours et les actes.

En fait, sur le fond, rien n’a changé depuis un an. Au contraire l’horizon s’est assombri.

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La crise financière dite des « subprime » illustre les déséquilibres d’une globalisation qui repose en dernier ressort sur le dynamisme artificiel de la consommation américaine.

C’est « le système qui marche sur sa tête », que nous avons maintes fois dénoncé. Déséquilibre de la consommation par rapport à l’épargne : les ménages américains sont poussés à s’endetter par les banques, en particulier dans l’immobilier, le crédit hypothécaire représente 9000 milliards de dollars aux Etats-Unis, 80 % de l’endettement des ménages, lui-même égal au PIB américain. Déséquilibre global de la consommation américaine et du commerce extérieur : déficit de plus de 700 Milliards par an. Endettement exponentiel de l’Etat vis-à-vis de l’extérieur (2.500 Milliards de dollars au moins).

La croissance de l’économie mondiale se fait à partir d’un Etat et d’une population qui ont appris à vivre à crédit et à s’endetter, au risque de fragiliser l’ensemble de l’économie mondiale

Le système financier est un cheval fou. Les règles de transparence édictées par la BRI de Bâle sont dépassées. Ces règles ne s’appliquent aussi bien pas aux fameux « hedge funds ». Les Anglo-Saxons ne veulent pas qu’on réglemente le secteur financier. De cette opacité résulte une grave crise bancaire.

Il est trop tôt pour évaluer l’ampleur de la crise et ce qui vient déjà de partir en fumée : non seulement la chute des valeurs immobilières, mais la baisse substantielle de la capitalisation boursière, avec les conséquences prévisibles sur la consommation, en Amérique d’abord, mais aussi en Europe et au Japon.

Ce ralentissement ne peut manquer d’influer sur la croissance chinoise, le cours des matières premières, à commencer par le pétrole. C’est une récession qui se profile à l’horizon aux Etats-Unis avec un PIB qui ne croit plus que de 1,9 %, d’autant que le Federal Reserve Board est pris dans une énorme contradiction : s’il baisse trop ses taux, il ne corrige pas le déséquilibre extérieur US et affaiblit le dollar. Quant à la BCE, elle s’est empêtrée dans un conformisme qui lui fait privilégier des risques inexistants (l’inflation) par rapport aux risques réels (le déséquilibre financier et le risque de récession). Il faut craindre qu’à l’horizon des prochains mois, elle ne continue à augmenter ses taux.

Le gouvernement de Mme Merkel enfin s’est refusé à intervenir en réunissant le G7 alors que toute évidence une forte pression politique serait nécessaire pour assouplir la politique des taux au niveau des banques centrales et pour durcir les réglementations.

Il y a donc une crise de la volonté politique. En 2007 comme en 2002, le problème posé par la volatilité des marchés financiers et les fonds spéculatifs n’a pas été abordé pendant la campagne présidentielle. La France se provincialise. Elle a désappris à « penser global ». Nicolas Sarkozy a tiré de son chapeau une déduction fiscale qui est déjà effacée par la hausse des taux d’intérêt réels des prêts immobiliers.

Ce sont les Anglo-Saxons qui sont aux manettes. On ne peut guère attendre d’eux qu’ils prennent l’initiative de contrôler un système financier qu’ils utilisent pour se refinancer et encore moins un système monétaire international qui est à leur service. Les Etats-Unis ne sont pas à la veille de renoncer au privilège du dollar !

Le Président de la République malgré son volontarisme affiché ne peut rien sur les taux d’intérêt, rien sur la politique du change. Il peut parler de préférence communautaire (mais la Commission européenne – M. Mandelson en l’occurrence – veut utiliser l’OMC pour libéraliser davantage le commerce extérieur). Il parle de politique industrielle, mais c’est la Commission, là encore, qui édicte les règles de la concurrence. Il peut multiplier les exonérations fiscales, mais c’est sous l’œil vigilant et réprobateur des instances de Bruxelles. Bref, il peut peu, et on doit s’interroger sur les gages qu’il donne aussi bien à Angela Merkel qu’à George Bush.


C) Nicolas Sarkozy : des discours aux actes.

La suractivité médiatique du Président et les succès qu’il lui arrive de remporter sur certains terrains ne peuvent dissimuler qu’il reste dans la main des marchés financiers, que sa politique va subir le contrecoup de la crise immobilière américaine - et maintenant financière et bancaire - et que pour y répondre il se trouve en butte aux contraintes européennes, notamment monétaires et commerciales qu’il n’a pas cherché à lever. Car le traité simplifié dont il se targue, bien imprudemment, reprend la substance de la Constitution européenne, plus de 90 % selon M. Giscard d’Estaing. Seul le mot n’y figure pas. Tout le reste y est, et il n’y a pas de contrepartie négociée, s’agissant notamment des statuts de la BCE et de la politique économique et monétaire.

Extension de la majorité qualifiée, rupture de l’égalité France-Allemagne dans les votes au Conseil, prérogatives accordées au Haut Représentant de l’Union pour la politique extérieure, alignement de la politique européenne de défense et de sécurité sur l’OTAN, poids croissant de la jurisprudence de la Cour de Justice, tout cela limitera encore plus les marges de manœuvre de la France. Entre le discours de Strasbourg de Nicolas Sarkozy sur l’Europe et la réalité du traité simplifié, il y a un gouffre !

1. Le recul sur l’Europe

Avec le traité simplifié, Mme Merkel a obtenu gain de cause : une Europe plus fédéraliste, avec l’extension de la majorité qualifiée et de la jurisprudence européenne de plus en plus germano-centrée prête à s’ouvrir davantage encore vers la Turquie. On peut bien sûr s’interroger : à quoi bon une Europe indépendante, si la France elle-même revient dans le giron atlantique ? Si la France se dissout dans la mondialisation, elle peut bien se dissoudre dans l’Europe ! Il est vrai que ce n’est pas le discours que Nicolas Sarkozy a donné à entendre pendant la campagne présidentielle. Mais si le vrai discours, c’était le discours d’avant ? Je veux dire avant qu’Henri Guaino prenne la plume … Sur le recul européiste de Nicolas Sarkozy, on n’entend guère s’exprimer le parti socialiste.

2. L’inflexion atlantiste.

La récente adresse de Nicolas Sarkozy devant les Ambassadeurs manifeste de même une inflexion atlantiste préoccupante. Le premier défi de notre politique étrangère, à en croire le Président de la République, serait celui d’une « confrontation Islam-Occident ». Les responsabilités de la politique américaine au Proche et au Moyen-Orient sont diluées. C’est une vision « huntingtonienne » du monde – en terme de conflits de civilisations - qui semble prévaloir : la volonté de maîtriser les sources d’approvisionnement en pétrole et l’incapacité à faire prévaloir une solution juste au problème israélo-palestinien sont passées sous silence. Le temps des choix difficiles avec la Turquie est repoussé. Il n’est pas question du rôle de la France comme membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. L’Europe de la sécurité n’est pas celle de la défense et celle-ci reste l’apanage de l’OTAN « fondement de la défense collective et instance de sa mise en œuvre » pour les vingt-et-une nations sur vingt-sept qui en sont membres, selon le texte de la « Constitution européenne » dont il faudra voir s’il sera maintenu par la CIG préparant le « traité simplifié ».

Il est préoccupant que ce soit le Président de la République française qui évoque un « bombardement de l’Iran ». S’agissant de l’Irak, la visite de Bernard Kouchner était d’autant plus inopportune que lui-même a déclaré à son retour ne pas reconnaître la représentativité du gouvernement de Bagdad. Quelle pantalonnade ! Si on peut approuver une reprise du dialogue avec la Syrie, nécessaire à la solution des problèmes de la région, on peut quand même s’inquiéter du manque de volontarisme et des risques de confusion que porte la parole présidentielle dans cette région du monde. Qu’y a gagné Nicolas Sarkozy sinon une citation dans la bouche d’Oussama Ben Laden, qui le met sur le même plan que Bush, Blair et Brown ? L’interprétation qui s’impose est celle d’un rapprochement avec les Etats-Unis qui friserait l’alignement, si n’avait pas été mise en avant opportunément l’exigence d’un calendrier de retrait des troupes américaines d’Irak. L’Union de la Méditerranée enfin apparaît de plus en plus comme une sorte de sous-traitance par l’Hyperpuissance des tâches qu’elle ne considère pas comme prioritaires, pour elle, notamment au Maghreb.

Le rôle dévolu à l’Europe à vingt-sept et au Haut Représentant de l’Union pour la politique extérieure n’est pas moins inquiétant : que dira le Haut Représentant si un bombardement de l’Iran, illégal au regard des règles du Conseil de Sécurité, devait intervenir ? Qu’aurait-il dit à propos de l’invasion de l’Irak en 2003 ? Poser la question c’est y répondre ! Le droit international comme le droit au développement sont étrangement absents du discours présidentiel. Or, la France peut-elle rester une grande puissance écoutée si elle ne s’appuie pas d’abord sur le droit ?

On a l’impression que la dynamique de l’Hyperpuissance – cette course en avant qui est à l’origine de la crise financière aussi bien que du bourbier moyen-oriental – échappe au Président de la République. Prudence excessive ou aveuglement volontaire, ou encore volonté de rompre avec son prédécesseur ? Il est sans doute trop tôt pour décider mais l’impression d’ensemble est bien celle d’un alignement qui serait, à mon sens, préjudiciable aux intérêts véritables de la France. Il est vrai que la situation, pour la France, est difficile. La grande coalition de Mme Merkel penche vers l’Amérique. Mais pourquoi le Président de la République stigmatise-t-il particulièrement la Russie ? L’Europe n’a pas intérêt à la jeter dans les bras de l’Asie, de la Chine, de l’Inde ou de l’Iran. Et pourquoi gaspiller l’avantage moral que nous a valu la position de Jacques Chirac sur l’Irak en 2003 ? La lecture du monde que propose Nicolas Sarkozy n’est pas enthousiasmante pour la France. Celle-ci, en effet, n’a pas intérêt à se confondre avec « l’Occident », c’est-à-dire les Etats-Unis. Il est souhaitable que l’Occident reste pluriel. C’est seulement si la France garde une voix distincte qu’il existe une chance de voir s’affirmer un jour une « Europe européenne ». Plus que jamais, nous avons besoin d’une « France libre »


III - La gauche doit devenir audible en prenant position sur le fond.

1. La nécessaire critique du capitalisme globalisé.

La gauche doit offrir une autre perspective. Pour représenter une alternative, elle ne peut faire l’économie d’une critique du capitalisme globalisé. Le Président de la République s’est présenté devant l’université d’été du MEDEF comme un excellent « directeur des ressources humaines », capable de mobiliser les talents et les compétences des socialistes. Il n’y réussirait pas aussi bien si beaucoup de ceux-ci ne se vivaient pas comme « hors d’eau », promis à une opposition de longue durée et si conceptuellement, ils n’avaient pas déjà acquiescé à l’inéluctabilité de la globalisation libérale. Naturellement je distingue les membres du PS qui ont porté à leur camp un coup très rude avant même l’élection législative en rejoignant le gouvernement Fillon et les autres, en particulier les auteurs de rapports qui dans certains cas peuvent jouer un rôle utile : je pense par exemple au rapport d’Hubert Védrine sur la mondialisation et la politique extérieure de la France. Je constate, cependant, que certains sociaux-libéraux – ainsi Bernard Kouchner -finissent par avouer qu’ils ne voient plus beaucoup de différence entre le pareil et le même. Pour retrouver la vue, il leur faudrait sortir de leur vision, bref fermer la parenthèse libérale !

Le succès relatif de l’ouverture pratiquée par Nicolas Sarkozy traduit ainsi la démoralisation de la gauche social-libérale.

Bien entendu cette critique de la globalisation libérale – qui définit le socialisme – ne suffit pas. Il faut bâtir, à partir de là, un projet républicain pour la France et bien sûr élaborer une vision pour l’Europe et le monde, sachant que la réalité ne correspond jamais spontanément au désir qu’on en a. Mais enfin, il ne suffit pas pour le PS d’avoir Pascal Lamy à l’OMC et Dominique Strauss-Kahn au FMI ! On ne peut qu’être inquiet, quand on lit Bernard Poignant qui ne propose rien moins que de « prendre acte » de la globalisation et préconise un parti socialiste à l’avant-garde de la ratification du traité simplifié. Le parti socialiste n’aurait rien à gagner à courir toujours plus à droite, sous prétexte de rattraper le centre. Il ferait de plus en plus difficilement entendre sa différence avec la droite. Sur l’Europe et la politique étrangère le parti socialiste doit s’exprimer d’une voix distincte.

Je sais bien que Bernard Poignant n’est pas tout le parti socialiste : son expression reflète le poids en son sein des tendances gestionnaires. Je sais qu’il y a encore des socialistes qui comprennent ce que signifie la République.

2. Le test de la réforme constitutionnelle sur le traité simplifié.

Il dépend du parti socialiste de refuser la réforme constitutionnelle nécessaire à l’adoption du traité simplifié par la voie parlementaire. Le parti socialiste ne doit pas régresser par rapport à la position définie par sa candidate à l’élection présidentielle. Ce qu’un référendum a rejeté, seul un autre référendum pourrait le faire accepter. Encore faudrait-il que le PS accepte de discuter librement. J’espère que les Assises de la gauche serviront à cela. Pour rebâtir la gauche, on ne peut pas faire l’impasse sur tout ce qui s’est passé depuis vingt-cinq ans. Ce courage élémentaire est nécessaire. Mais bien sûr il faut surtout, à partir de l’analyse du monde globalisé, faire des propositions tournées vers l’avenir.


Conclusion : le combat du MRC

La République est un combat. La refondation républicaine de la gauche ne peut se faire que si les objectifs sont clairement fixés, le reste étant évidemment affaire de moyens et de calendrier.

Portons le débat sur le fond. Evitons les critiques stériles. Il faut dépasser les querelles personnelles, mettre tout le monde autour de la table, faire des analyses exigeantes, aussi bien pour le passé que pour l’avenir. La gauche doit se placer au niveau de l’Etat et pas simplement du point de vue de ses intérêts partisans.

Bernard Poignant a écrit : « les amis de Jean-Pierre Chevènement n’ont plus qu’un temps restreint devant eux ». A soixante-huit ans, j’estime avoir encore quelques belles années pour élaborer avec vous le logiciel dont la gauche et la France ont besoin et pour préparer les redressements nécessaires. L’élection de 2012 se prépare dès aujourd’hui et nous devons être capables, demain comme hier, s’il le faut, de faire entendre notre voix et de peser, directement ou indirectement entre les candidats en lice. J’appelle surtout à la tenue d’Assises de toute la gauche dans les délais les plus rapides. Ensuite il faudra prendre les moyens d’une vraie refondation, sur des bases républicaines au sein d’une organisation unique de toute la gauche. Je partage tout à fait l’opinion de Vincent Peillon : l’organisation d’un Congrès de refondation de toute la gauche et pas d’un simple Congrès socialiste sera le test d’une vraie volonté de rénovation. Nous verrons alors si nous en serons ou si nous n’en serons pas, hypothèse que nous ne saurions exclure. Car le MRC n’est pas prêt à mettre la clé sous le paillasson et je vous mets en garde contre les appels du pied démagogiques de certains socialistes qui n’aspirent à rien d’autre qu’à nous réduire et à nous désarmer.

Si j’ai décidé de prendre quelque recul avec mon engagement local c’est pour mieux me recentrer sur l’effort politique national qui reste à accomplir. Je le ferai avec la Fondation Res Publica sur le plan de la recherche, à travers un Centre d’Education qui doit irriguer toute la gauche, et bien sûr avec le MRC. En affirmant son identité, celui-ci doit occuper toute sa place dans la refondation républicaine de la gauche. Ceux qui, il y a quelques années, ont voulu nous marginaliser, n’y ont rien gagné. L’intérêt de la gauche c’est de se réunir, avec toutes ses sensibilités et dans toutes ses composantes en prenant pleinement en compte l’exigence républicaine. C’est à ce prix seulement qu’elle pourra constituer une alternative véritable. Nous pouvons y apporter beaucoup. Un modèle républicain remis en marche, la citoyenneté et la fraternité retrouvées, une relation forte avec l’Allemagne mais également avec les autres grands pays européens, une « Europe européenne », alliée mais non vassale des Etats-Unis, la volonté de maintenir ouvert le dialogue des cultures et de faire progresser ensemble la justice et la paix, un multilatéralisme équilibré avec les pays émergents qui doivent faire droit au besoin de leurs peuples pour trouver toute leur place dans un monde plus juste, une Afrique redressée et dynamisée, son droit au développement reconnu, voilà un beau projet digne de la France et digne d’une gauche républicaine authentique ! Bref un projet qui se distingue du projet libéral et atlantiste.

En tout état de cause, le MRC, à travers toutes les péripéties à venir, doit savoir préserver son identité, sa mémoire et sa vision du monde, à vrai dire irremplaçables et bien sûr ses intérêts locaux essentiels. Comme je vous l’ai dit l’an dernier, aux Ulis, il y a quelque chose qui est au-dessus de l’intérêt. C’est l’honneur. Tenons bon, ensemble, camarades citoyens. Pour ce qui me concerne, ma résolution est totale. Nous avons eu raison de mener tant de combats ! Ils éclairent et éclaireront longtemps l’avenir. Ils porteront de beaux fruits si nous restons mobilisés au service de la République, au service de la France.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Dimanche 9 Septembre 2007 à 12:30 | Lu 8904 fois



1.Posté par DUBOIS le 10/09/2007 09:40
Bonjour,

Votr exposé est bien fondé, mais pour pouvoir remettre la gauche en avant, il faut que les électeurs retrouve la confiance, le discours est toujours le même depuis trop longtemps et personne ne croit plus à rien puisque la situation des citoyens ne fait qu'empirer de jour en jour.
Ce que nous pouvons constater c'est qu'à part quelque cas dont vous faites partie les élus et les dirigeants politique ne menent que les actions qui peuvent favoriser leur réelection ils se foutent éperduement de l'intérêt général et ont tendancent à freiner les actions qui meme si elles sont bonnes pour le pays tendent à défavoriser leur position.
Pour l'élection présientielle Ségolène ne pouvait pas gagner puisque ses proches ne souhaitaient pas qu'elle soit élue ses propositions inovantes leurs ont fait peur elle les métaient trop en contradiction.
Le seul moyen de pouvoir faire changer ce qui tourne en rond est comme vous le dites si bien un mouvement du style 1936 ou 1968 qui aura le courage de le favoriser ou le lancer ?

2.Posté par FRANCOIS jean M.R.C. 62 le 12/09/2007 14:55
les rapports, les photos et les articles presse vont nous permettre de ''pérenniser'' notre université d'été
cependant, rien ne peut remplacer le fait de vivre des moments importants. c'est ce que j'ai ressenti une fois de plus et c'est ce que j'ai lu sur le visage des fidèles de notre mouvement.
malgré les invitations qui nous ont été lancées pour relayer les messages, il me sera difficile d'y parvenir et je suis à la recherche de quelques pistes car le problème reste entier du fait que l'on s'adresse aussi (voir surtout) aux absents


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