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Le rôle des instruments militaires et politiques dans la sauvegarde de la sécurité régionale et globale


Discours de Jean-Pierre Chevènement prononcé à Moscou, le jeudi 16 avril 2015.


La « zone euro atlantique  va de « Vancouver à Vladivostok », pour reprendre l’expression du Secrétaire d’Etat américain James Baker en 1990. Elle englobe donc le territoire des Etats-Unis, du Canada de l’Europe et de la CEI. Cette zone n’est pas exempte de conflits. La crise ukrainienne vient immédiatement à l’esprit. Mais elle ne saurait faire oublier les autres « conflits gelés » qui résultent de l’implosion de l’ex-URSS, ni les conflits qui affectent des pays proches, au Moyen-Orient et en Afghanistan ou encore la menace globale du terrorisme djihadiste.

I - Dans cette zone coexistent plusieurs instruments politiques et militaires dont beaucoup remontent à la guerre froide mais pas tous. Ainsi en va-t-il de l’OTAN, une organisation principalement militaire mais aussi politique car il faut distinguer l’OTAN et l’Alliance atlantique conclue en 1949 par douze pays à l’origine.

Notons que le pacte de Varsovie, qui rassemblait autour de l’URSS les démocraties populaires, a disparu en 1990. Un Ambassadeur de France qui a représenté mon pays à l’ONU, M. Dejammet, raconte : « En décembre 1991, les ministres de l’ancien pacte de Varsovie étaient invités à une réunion des ministres de l’Alliance atlantique à l’occasion d’une offre de l’OTAN de créer un « partenariat pour la paix ». A la veille de Noël, un texte était sur le point d’être signé lorsque le représentant russe, après avoir téléphoné à Moscou, déclara : « Je suis désolé. Je ne peux signer ce texte qui mentionne l’URSS, car l’URSS n’existe plus ». Qu’allaient faire les pays qui avaient appartenu au Pacte de Varsovie ? Qu’allait faire l’OTAN ? »

Il me semble que de cette époque date la recherche d’une « architecture de sécurité » qu’en fait nous n’avons pas encore trouvée. Le Président Mitterrand a bien proposé, le 31 décembre 1989, une « Confédération européenne » comprenant la Russie mais cette proposition n’a pas eu de suite parce qu’elle avait oublié les Etats-Unis et que les anciennes démocraties populaires n’en voulaient pas.

1. De sorte que c’est l’OTAN qui progressivement a comblé le vide dans les anciennes démocraties populaires et dans les trois Etats baltes. Ces pays qui entendaient régler ainsi leur problème de sécurité ont également demandé à adhérer, mais pour des raisons économiques, à l’Union européenne.

L’Union européenne avait été créée dans les années 1950 « sous la forme de Communauté européenne » entre six pays, à l’initiative de la France. L’Union européenne en compte aujourd’hui vingt-huit. L’Union européenne n’a pas de vocation militaire, seulement une vocation à gérer des crises, à travers la PESD (politique européenne de sécurité et de défense) mais c’est quand même elle qui définit et applique les politiques de sanctions.

Les Etats-Unis exercent le commandement de l’Organisation militaire de l’OTAN mais ils ne font pas partie de l’Union européenne. Ils y exercent néanmoins leur influence et pas seulement par le biais des PECOs (pays d’Europe centrale et orientale). Notons cependant que l’Alliance atlantique réunit des pays volontaires certes inégalement puissants mais en principe égaux. Les décisions s’y prennent à l’unanimité. Quand un pays ne veut vraiment pas accepter une décision il ne l’accepte pas : c’est ainsi qu’on a vu la Turquie refuser l’utilisation de ses bases aériennes pendant l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis qu’avaient rejoint une « coalition de volontaires ». Mais ce n’était pas l’OTAN, car plusieurs pays dont la France et l’Allemagne étaient opposés à cette invasion. De même, en 2008, au sommet de Bucarest, la France et l’Allemagne n’ont pas souhaité l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie.

2. Je dois maintenant mentionner l’OSCE (Organisation de sécurité et de coopération européenne) qui procède de la CSCE (Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe créée par l’Acte final d’Helsinki en 1975, acte qui a contribué à l’issue pacifique de la guerre froide en 1990). La Charte de Paris pour la nouvelle Europe adoptée au Sommet de la CSCE à Paris en 1990 reprend les principes d’Helsinki et décrit le fonctionnement de l’ensemble des institutions, prenant en compte les transformations intervenues en Europe au lendemain de la chute du mur de Berlin. La CSCE s’est donc transformée en OSCE en 1994. Composée au départ de trente-cinq Etats membres, l’OSCE en compte aujourd’hui cinquante-sept. Elle comporte trois piliers :
  • Un pilier politico-militaire avec le contrôle des armements, les mesures de confiance et les contacts permanents entre appareils militaires. L’OSCE joue ainsi un rôle essentiel et positif en Ukraine dans l’application des accords de Minsk II.
  • Le deuxième pilier de l’OSCE concerne la coopération dans le domaine de l’économie et de l’environnement.
  • Le Troisième concerne la dimension humaine et plus généralement le respect de la démocratie, la surveillance des élections.

    Depuis 2012, le mandat de l’organisation s’est élargi en matière de lutte contre les menaces transnationales (lutte contre le trafic des stupéfiants, activités de police, lutte contre le terrorisme).

    L’organe politique de l’OSCE est le Conseil ministériel, qui se réunit une fois par an en décembre et est organisé par l’Etat assurant la présidence annuelle de l’Organisation. Celle-ci est choisie à l’unanimité et dispose pendant un an d’un pouvoir discrétionnaire important.

    Des sommets se sont tenus périodiquement jusqu’en 1999 (Sommet d’Istanbul), sachant que depuis, un seul a été convoqué par la Présidence kazakhe, à Astana en 2010.

    Les Etats participants se réunissent chaque jeudi, au niveau des Ambassadeurs, et les engagements pris prennent la forme de décisions ministérielles ou de décisions du Conseil Permanent, adoptées par consensus.

    Le Secrétariat général est dirigé par l’Italien Lamberto Zannier depuis juin 2011. Son mandat a été reconduit pour trois ans l’été dernier.

    L’OSCE est ce qui reste du projet avancé jadis par Mikhaïl Gorbatchev d’une « maison commune » européenne. Certes, s’il existe depuis 1997 un « partenariat Russie-OTAN », devenu Conseil OTAN-Russie (COR) en 2002, provisoirement suspendu, même si la suspension de la coopération pratique maintient par ailleurs des canaux de dialogue. La reprise du dialogue politique OTAN-Russie a été proposée par l’Allemagne lors de la ministérielle affaires étrangères du 2 décembre 2014. La tenue d’un Conseil OTAN-Russie pourrait être opportune, à condition que la Russie le souhaite, ce qui n’est pas le cas pour l’heure. Si les Etats-Unis et le Royaume-Uni ne semblent pas être opposés à cette perspective, plusieurs pays-membres continuent toutefois de refuser toute idée d’affichage d’une reprise de la relation OTAN-Russie. La question des moyens de communication militaires d’urgence avec la Russie a par ailleurs été discutée et SACEUR, en plus du président du Comité militaire (CMC), a été autorisé par le Conseil à contacter le CEMA russe en cas d’urgence, afin de gérer au mieux les risques d’incidents aériens et navals, résultant de l’accroissement notable d’activités constaté dernièrement.

    L’OSCE inclut aussi les Etats-Unis et surtout met en valeur l’importance de la relation russo-américaine, bien qu’en principe les problèmes qui se posent aujourd’hui concernent surtout ce qu’on appelle les « conflits gelés » dans l’espace post-soviétique. La crise ukrainienne a constitué une véritable onde de choc pour l’organisation, qui fait face à l’une des crises les plus importantes de son histoire. Si l’OSCE, grâce notamment à l’activisme de la présidence suisse, a su mettre en œuvre sa boîte à outils pour la gestion des conflits (médiation, présence sur le terrain (1000 observateurs) expertise électorale et en droits de l’Homme), des leçons seront à tirer pour améliorer encore ses capacités en matière de gestion de crise, afin qu’elle demeure l’organisation pertinente dans l’architecture européenne de sécurité. La présidence serbe, en 2015, devra faire face à de nombreux défis et sera suivie par celle de l’Allemagne en 2016 et de l’Autriche en 2017.

    Encore une fois l’implosion de l’URSS, en décembre 1991, n’avait pas été prévue. Elle a résulté de l’initiative conjointe de trois pays : la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie lors d’un sommet qui s’est tenu près de Minsk justement.

    L’OSCE a été contestée pendant une période par la Russie qui y voyait un instrument d’influence occidentale mais il semble aujourd’hui que chacun reconnaisse qu’elle joue un rôle très utile, sous la présidence de la Suisse en 2014 et de la Serbie en 2015.

    En 2009, le Président de la Fédération de Russie, M. Dimitri Medvedev, avait proposé un « pacte européen de sécurité » mais je crois savoir qu’il ne visait pas à remplacer l’OSCE, mais seulement à y superposer une instance politique juridiquement contraignante. Le traité de sécurité européen qu’il proposait reposait sur les principes suivants :

    Les parties au TSE ne pourraient pas autoriser l’utilisation de leurs territoires ou ne pourraient pas utiliser le territoire d’une autre partie au TSE pour préparer ou conduire une opération militaire contre un Etat signataire du TSE. Toute partie au TSE considèrerait une attaque contre une autre partie au TSE comme une attaque contre elle-même. Le TSE devrait être ouvert à tous les Etats de l’espace euro-atlantique de Vancouver à Vladivostok ainsi que l’UE, l’OTAN, l’OSCE, la CEI et l’OTSC. Exclusivement centré sur les questions de sécurité militaire et plus particulièrement sur celles du recours à la force, le projet de TSE faisait l’impasse sur la maîtrise des armements et sur les menaces transverses. Il ne contenait aucune référence aux valeurs communes et aux droits de l’homme et aucune proposition sur les instruments de coopération et les mesures de confiance.


    3. Il existe enfin, dans la zone euro-atlantique, des instruments propres à la CEI : le traité de sécurité collective (OISC) et enfin l’« Union économique eurasiatique » (UEE).

    Je n’aurais garde d’oublier l’Organisation de Coopération de Shanghai, créée en 2001 (OCS). Cette organisation englobe la Chine : elle est d’ailleurs co-présidée par la Russie et par la Chine et contribue à la stabilité des pays d’Asie Centrale qui en font partie (Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizistan et Tadjikistan). Chacun comprend que l’évolution de la situation en Afghanistan peut être une source de préoccupations communes. D’autres Etats asiatiques comme l’Inde, le Pakistan, l’Iran, le Vietnam siègent comme « Etats observateurs » à l’OCS.



    II - Je ne veux certainement pas minimiser la crise ukrainienne qui est la plus importante survenue depuis la fin de la guerre froide entre la Russie et les pays occidentaux. Mais il y a dans le monde du XXIe siècle d’autres facteurs de déstabilisation que nous devons garder à l’esprit. C’est une banalité de dire que le centre de gravité du monde se déplace de plus en plus vers l’Asie. Dans cette partie du monde les conflits potentiels ne manquent pas. J’ajoute que le terrorisme djihadiste, qu’il soit inspiré par « Al Quaïda » ou par « Daech », est un défi que nous devons relever ensemble. Il concerne tous les pays et pas seulement ceux affectés par les conflits qu’il attise : dans le monde arabo-musulman, de l’Afrique de l’Ouest en passant par le Maghreb, le Machrek et les pays du Golfe, le Caucase, l’Asie Centrale et jusqu’aux confins de la Chine. Ce sont d’ailleurs les musulmans qui sont les premiers à souffrir du terrorisme djihadiste.

    Les raisons sont nombreuses qui doivent nous conduire à dominer les forces qui ont conduit à la crise ukrainienne. Celle-ci aurait pu être évitée, car il y a certainement des responsabilités partagées comme l’a rappelé récemment à Paris la Présidente de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale, lors d’un colloque qui s’y est tenu en liaison avec l’Institut français des Relations internationales. Tel est aussi mon avis en tant qu’homme politique.

    La crise ukrainienne doit être jugulée par l’application résolue des accords de Minsk II conclus sous la responsabilité des chefs d’Etats de l’Ukraine, de la Russie, de l’Allemagne et de la France. Je voudrais rappeler que c’est la France qui est à l’origine du format quadripartite, dit « de Normandie » puisque c’est à l’occasion des cérémonies commémoratives du débarquement du 6 juin 1944 que les Présidents Poutine, Porochenko ont été amenés à se rencontrer par le Président Hollande et la Chancelière Angela Merkel.

    Cette concertation a été efficace – le cessez-le-feu s’applique – bien que ce cessez-le-feu ait suscité beaucoup de scepticisme, surtout de la part de ceux qui veulent faire de l’Ukraine un brandon de discorde durable entre la Russie et l’Union européenne. Trop de sang a déjà coulé. Encore une fois il eût été possible d’éviter cette crise en ne plaçant pas l’Ukraine devant un dilemme impossible et il est encore possible, selon moi, de la résorber.

    Je n’ignore pas que c’est le volet politique de l’accord de Minsk qui se heurte aujourd’hui aux obstacles les plus grands : il s’agit de la décentralisation et des élections locales en Ukraine orientale et de la révision constitutionnelle à laquelle l’Ukraine s’est engagée. Pour ma part je considère que les accords doivent être appliqués. Comme dit le proverbe latin « Pacta sunt servanda »

    Ce qu’il faut recréer aujourd’hui en Europe, c’est la confiance. Or, la confiance repose toujours sur des principes. Sans doute ne pourra-t-on recréer la confiance si on s’enferme dans une vue purement politique ou purement juridique des choses, je pense bien évidemment à la Crimée. Il n’est de l’intérêt de personne, ni de la Russie et encore moins de l’Ukraine, de s’enfermer dans les districts orientaux de l’Ukraine dans un « conflit gelé » que les extrémistes seuls peuvent souhaiter, parce qu’il contribuerait à exacerber le conflit et à renforcer, croient-ils, leur influence. Mais pour quel résultat ? L’OSCE doit pouvoir jouer tout son rôle dans l’application des accords de Minsk II, y compris en s’en saisissant au niveau politique. Le Président de la République française a déjà fait connaître, comme l’Allemagne d’ailleurs, que l’OTAN n’avait pas vocation à s’étendre à l’Ukraine. Il faut donc se diriger vers un statut de neutralité, sans que cela ne comporte quelque connotation que ce soit qui évoquerait le retour de la guerre froide. Il est vrai que les traités ne valent que si un rapport de forces et surtout une confiance réciproque les sous-tendent.

    D’où l’importance des accords de désarmement.

    Il faudrait donc – je m’exprime à titre personnel – qu’un traité cosigné par tous les Etats, membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, de l’Allemagne, de la Pologne, de l’Union européenne garantisse la neutralité de l’Ukraine. Ce traité serait aussi l’occasion de rappeler solennellement les principes de droit qui fondent l’ordre international, principes qui figurent, je le rappelle, dans la Charte de Paris de novembre 1990.

    Je considère qu’il serait également opportun d’actualiser le traité limitant les forces conventionnelles en Europe en repartant du « compromis d’Istanbul ». Celui qui a été signé quand j’étais ministre de la Défense en 1990 est évidemment périmé. Mais n’est-il pas possible de fixer des plafonds de forces, éventuellement régionalisés, qui décourageraient toute velléité de reprendre en Europe une ruineuse « course aux armements » ?

    La prochaine Conférence d’examen du traité de non prolifération nucléaire va bientôt s’ouvrir. Elle pourrait être ainsi l’occasion de créer un climat de confiance, par l’accomplissement d’une nouvelle étape dans la réduction des têtes nucléaires des puissances les mieux dotées et par une nouvelle impulsion donnée à la ratification du traité d’interdiction des essais nucléaires et du traité prohibant la production de matières fissiles à usage militaire. Telles sont les deux voies prometteuses qui peuvent permettre de plafonner, en qualité et en quantité, les arsenaux nucléaires, étape préalable à l’application intégrale du TNP.

    Je voudrais rappeler enfin qu’il y a une instance qui domine toutes les autres, pour ce qui est de la fixation des règles de droit international : c’est le Conseil de Sécurité de l’ONU. Celui-ci a entériné les accords de Minsk II et serait inévitablement amené à connaître de tous les accords à intervenir qui manifesteraient le retour de la confiance, condition de rétablissement d’un partenariat naturel entre tous les peuples européens, de l’Atlantique au Pacifique. Les bases matérielles et idéologiques d’une nouvelle guerre froide n’existent pas dans le monde d’aujourd’hui. Ne donnons pas de grain à moudre aux nostalgiques d’une période révolue. Il y a mieux à faire pour organiser la paix et le développement sur notre continent. C’est l’intérêt de l’Ukraine encore plus que le nôtre. C’est surtout l’intérêt de la paix.


le Jeudi 16 Avril 2015 à 18:09 | Lu 3492 fois



1.Posté par Olivier BRANDENBURG le 16/04/2015 18:43
La zone Europe Asie NE COMPREND PAS les états désunis!

2.Posté par Patrick LENORMAND le 17/04/2015 22:52
Très bonne analyse .. encore un point commun avec Mr Dupont-Aignan ...
A ce propos ... bientôt les 10 ans du référendum, n'est-ce pas le moment de lancer avec DLF un front républicain ? Mais de grace faites quelque chose..les consultations entre le mrc et le ps quelle honte !
Pour une France libre !

3.Posté par Jp JP le 19/04/2015 12:53
Un front républicain ...contre les troupeaux de moutons et les moulins à vent ? Pourquoi pas ! : il est certainement possible de réécrire Don Quichotte, de façon politique, à la française !!!

4.Posté par Olivier D'AREXY le 19/04/2015 21:34
Voilà encore une fois une excellente analyse de JP Chevènement, homme de paix, avec, à la différence de Don Quichotte, la perception de la réalité et de ce qu'est la grandeur.

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