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Face à la crise, le retour du politique


Article de Jean-Pierre Chevènement, paru dans la revue "Hors les murs" des anciens élèves de l'ENA, avril 2009.


Face à la crise, le retour du politique
Finie l’ère du tout marché, du principe de la concurrence libre et non faussée, de l’interdiction des aides d’Etat, de la prohibition des déficits et des endettements excessifs ! Depuis l’automne 2008, la « main invisible » censée réaliser l’optimum social pourvu que l’autorité publique ne s’en mêlât point n’inspire plus confiance. Les dieux du Marché sont tombés de leurs autels. Les grands prêtres se sont tu. La foule qui se prosternait à l’énoncé de vérités éternelles qui tombaient de leurs bouches a déserté leurs temples.

L’Etat est revenu avec ses gros sabots pour assurer plans de refinancement et plans de relance face à la dépression. C’est celle-ci qui a conduit, en catastrophe, les politiques, libéraux de doctrine ou fraîchement convertis, à changer de pied devant les foules éberluées.

« A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ». C’est par centaines de milliards de dollars ou d’euros que s’énoncent les plans destinés à sauver les banques de la faillite. Les pays anglo-saxons ne reculent pas devant les nationalisations. D’autres, de tradition moins libérale, comme la France, se bornent paradoxalement à prêter à leurs banques à des taux presque usuraires pour qu’elles continuent de financer l’économie à des taux bien inférieurs. Comprenne qui pourra : La plus grande de nos banques par exemple qui continue de déclarer des bénéfices, s’endette à grands frais auprès de l’Etat et rachète dans le même temps des activités bancaires dans les pays voisins. Dans tout cela flotte comme un air d’improvisation. Les doctrinaires du désendettement public viennent maintenant expliquer qu’il y a « la bonne dette » à côté de la mauvaise, et que l’explosion des déficits n’est en fait qu’une illusion d’optique. Après les plans de refinancement viennent les plans de relance, dont l’effet paraît nul, tant le bruit sourd d’un effondrement continu monte des profondeurs de l’économie : deux millions et demi d’emplois supprimés aux Etats-Unis en quelques mois. Un million de chômeurs supplémentaires en Espagne en moins d’un an. En un trimestre, les ventes et la production d’automobiles plongent presque partout de 40 %.

Une chose cependant devrait frapper les esprits : si leurs effets ne sont pas encore visibles, les plans de relance ont été annoncés partout par les autorités nationales, à l’instar des Etats-Unis. En Europe, c’est le Président en exercice de l’Union Européenne, Nicolas Sarkozy, qui a pris l’initiative de lancer son plan à travers une instance qui ne s’était jamais encore réunie, le G4, c’est-à-dire les quatre principales économies européennes, puis le G16, instance tout aussi improvisée puisqu’elle consistait à faire entrer la Grande-Bretagne dans l’Eurogroupe. Il en a résulté deux choses : un montage qui juxtaposait les plans nationaux et qu’approuva in fine l’Union à vingt-sept, et enfin l’initiative d’un G20 imposée à un G.W. Bush finissant. Il est vrai qu’une relance coordonnée répondait à l’intérêt bien compris des Etats-Unis. Dans cette affaire, non seulement Nicolas Sarkozy, mais aussi Gordon Brown et l’Administration américaine elle-même, ont donné l’exemple d’une réactivité inattendue de la part de dirigeants présumés libéraux. C’est en tout cas dans le cadre national que des décisions d’une ampleur jamais vue depuis des décennies ont été prises. L’Union à vingt-sept et le G20 n’ont été que de vastes mises en scène. De bout en bout, les décisions ont été nationales, y compris dans l’Allemagne de Mme Merkel, au départ la plus réticente à agir dans un cadre européen ou même tout simplement multilatéral. Les décisions ont été nationales pour une raison toute simple : la nation reste le seul cadre démocratique où des gouvernants appuyés sur l’opinion publique et sur le Parlement ont la légitimité pour agir avec force à l’échelle requise. La Commission européenne a disparu dans un trou de souris. Le FMI fait des communiqués. Les textes européens ont été « suspendus ». Le retour du politique s’est donc fait dans un cadre national. Seuls jusqu’alors des responsables politiques portés sur la théorie, c’est-à-dire isolés, avaient osé soutenir que les marchés financiers n’étaient pas l’horizon de l’humanité mais que les peuples et les nations restaient les permanences de l’Histoire. Depuis près de trois décennies, la « doxa » libérale avait réussi à diaboliser l’intervention de l’Etat dans l’économie et à ringardiser l’idée même d’une politique industrielle. Mais dans l’immense désarroi qui s’est emparé des esprits après la chute des géants de la finance de Wall Street, on s’est tourné d’emblée et comme instinctivement, vers les pouvoirs qui trouvaient leur source dans le vouloir-vivre des nations. Celles-ci qu’on avait démonisées comme l’origine des pires fléaux, retrouvaient leurs couleurs. Certes il ne s’agit pas d’un retour au nationalisme, perversion de l’idée de nation, mais simplement de la réaffirmation du rôle démocratique des nations qui, au début du XXIe siècle, partagent d’ailleurs les mêmes valeurs et les mêmes principes.

Le retour à la nation a des raisons plus prosaïques : C’est qu’il allait falloir payer. On se tournait vers le citoyen. On se tournait aussi vers le contribuable. Seul l’Etat en effet pouvait offrir une garantie pour les prêteurs. Lui seul paraissait assez armé pour tirer des traites sur l’avenir.

Mais quel avenir ? Arrivés à ce point, les thuriféraires du libéralisme hésitent. Leur voix tremble. Ils veulent se rassurer. Il ne saurait, bien évidemment, à leurs yeux, n’être question que d’ouvrir une « parenthèse interventionniste » comme il y eut pour d’autres, jadis, en 1983, une « parenthèse libérale ». Ils se refusent encore à réglementer, à prendre des participations publiques au capital des entreprises, à fixer des plafonds aux rémunérations. Ils préfèrent s’en remettre aux codes de bonne conduite qu’on laisse aux patrons le soin d’élaborer. La faiblesse de cette position commence à apparaître.

Car on devine que la crise sera longue et profonde. Immenses sont les problèmes qui restent irrésolus : réglementation des hedge funds et des banques en général, prohibition des paradis fiscaux, politique des revenus, parités monétaires, programmes publics et politiques industrielles capables de soutenir une relance enfin efficace, etc.

Le retour du politique prendra du temps, lui aussi. Il s’avance à tâtons et ne sait encore la forme qu’il prendra. Une chose est sûre : il faudra inventer ou réinventer l’Etat, développer les capacités d’anticipation, de prévision et de programmation, articuler le renouveau du civisme à de nouvelles formes de patriotisme, trouver des formes de coordinations encore inédites à l’échelle internationale, penser une Europe à géométrie variable, des institutions économiques et monétaires mondiales, associant aux vieux pays riches les puissances émergentes, sans oublier – espérons-le – les pays qui n’émergent pas.

Surtout il faudra donner forme humaine au retour du politique : recréer l’espoir en pensant le monde avec trente ans d’avance. Déjà on devine que d’immenses investissements sont nécessaires pour préparer l’après-pétrole, limiter l’émission de gaz à effet de serre, nourrir l’humanité, économiser les biens rares : eau, air, sols, et que l’idée de service public garde toute sa force pour faire de la santé, de l’éducation, de la culture et de la recherche les vraies priorités du développement humain. Ces priorités, pourtant incontestables, ne s’imposeront pas d’elles-mêmes. Pour dépasser les concurrences et les tensions inévitables et préparer un monde réellement meilleur, on ne fera pas l’impasse des luttes et de la conscience, bref de ce qu’on appelle « la politique ».

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Voir le sommaire de la revue de l'ENA, dont le dossier est "Le monde face à la crise".


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mardi 7 Avril 2009 à 17:16 | Lu 5206 fois



1.Posté par BA le 10/04/2009 22:08
Aux Etats-Unis, le Congrès a adopté une nouvelle norme comptable le 2 avril, le jour même où le monde entier avait les yeux tournés vers le G20 de Londres.

Cette nouvelle norme comptable permet aux banquiers américains de présenter des résultats en hausse de 20 % en moyenne !

Cette nouvelle norme comptable FAS 157-e commence à produire ses effets : comme par magie, les banques américaines présentent des résultats trimestriels en hausse miraculeuse !

C'est de la magie !

Aujourd'hui, les patrons des plus grandes banques françaises vont rencontrer Sarkozy à l'Elysée.

Aujourd'hui, les patrons des grandes banques françaises vont se plaindre à Sarkozy.

Ils vont lui dire que ce n'est pas du jeu ! Ils vont lui dire que l'Union Européenne doit elle-aussi adopter cette nouvelle norme comptable !

Ils vont lui dire que les banquiers européens doivent eux-aussi pouvoir mentir sur l'état réel de leurs banques !

Pourquoi se gêner ?

Les banquiers américains ont obtenu que le Congrès change les normes comptables, donc les banquiers européens veulent magouiller eux-aussi !

Un article à lire absolument :

2.Posté par BA le 15/04/2009 11:44
Samedi 11 avril 2009, le journal économique La Tribune publie un éditorial explosif en page 7 : « Banques : le grand mensonge ».

Cet éditorial de Philippe Mabille est tellement compromettant pour les banques qu’il n’apparaît pas sur le site internet de La Tribune. Les autres éditoriaux de Philippe Mabille sont tous sur le site de La Tribune, y compris son éditorial du mercredi 15 avril 2009, mais l’éditorial du 11 avril a été censuré.

Je recopie donc la fin de cet éditorial censuré :

« Banques : le grand mensonge.

Par un curieux retournement du destin, le climat boursier est, dans le même temps, redevenu favorable pour les banques. Un exemple frappera les esprits : le cours de la Société Générale s’est apprécié de 45 % par rapport au cours de 24,5 euros qui avait été proposé pour le plan de stock-options qui a tant scandalisé l’opinion. En déduire que la crise financière est derrière nous serait toutefois une grave erreur. Bien au contraire, le pire est encore à venir.

Le calcul est assez simple à faire : en janvier 2009, le Fonds Monétaire International prévoyait 2 200 milliards de dollars de pertes mondiales pour les bilans bancaires. Ce chiffre a été réévalué à 4 000 milliards de dollars, dont un tiers seulement a été comptabilisé. La conclusion coule de source : les banques ne disent pas la vérité sur la réalité de leur situation. Et les autorités financières sont complices de ce grand mensonge, pour éviter de créer la panique.

On le voit avec la forte tension qui règne aux Etats-Unis à propos des « stress tests » réalisés sur la solidité des banques américaines. Mentir pour la bonne cause, on retrouve là un peu le même scénario que celui du Crédit Lyonnais, où la Commission Bancaire et le Trésor avaient été accusés d’avoir fermé les yeux sur les comptes truqués de la banque publique.

Mais, cette fois, ce n’est pas une seule banque qui est en cause, mais toutes les banques mondiales en même temps. De sorte que celle qui saura masquer ses pertes le plus longtemps sortira grande gagnante du jeu de poker menteur qui va maintenant succéder au théâtre du G20. »

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