Le passage de Jean-Pierre Chevènement peut être écouté en replay (début à 1h06min34sec)
Verbatim
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- Olivier Truchot : Bonsoir Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de la Défense. Merci d’avoir accepté notre invitation. Vous avez apporté votre soutien à Emmanuel Macron hier, dans les colonnes du Journal du Dimanche. Est-ce pour saluer sa gestion de la crise ukrainienne ?
Jean-Pierre Chevènement : Plus généralement, je considère qu’Emmanuel Macron a montré les qualités qui sont nécessaires à un chef d’État dans les périodes de crise comme celle que nous traversons. Par ailleurs, Emmanuel Macron a évolué dans le bon sens. Prenons par exemple la gestion de la crise du coronavirus. Il est souvent critiqué mais, en réalité, son mot d’ordre de la vaccination, qui ne tourne d’ailleurs pas le dos à la scientificité, était juste. Il a permis de passer au-delà de la cinquième vague, en s’appuyant sur les personnages soignants et sur les « premiers de corvée » qui nous ont permis de tenir. Par son action, Emmanuel Macron a montré qu’il était capable de contenir cette pandémie.
Deuxièmement, sur le plan économique, je constate que les moyens mis en œuvre au nom du « quoi qu’il en coûte » ont été efficaces : l’aide au chômage partiel et les subventions versées aux entreprises ont permis au tissu entrepreneurial de tenir. Le chômage a reflué. Il est plus bas aujourd’hui qu’il n’a jamais été depuis 2007. La production en France a retrouvé son niveau d’avant la crise. Ce sont des résultats satisfaisants. Et j’observe qu’Emmanuel Macron a su tourner le dos aux premières impulsions qu’il avait données. C’est une gestion extrêmement sérieuse et raisonnable de la crise qui a prévalu. Je pense que les Français doivent faire preuve de civisme. Plus que jamais, notre pays est devant des échéances difficiles.
- Olivier Truchot : On va parler de la Russie. Vous avez toujours dit que la Russie faisait partie de la grande famille des pays européens. Est-ce toujours le cas ?
Jean-Pierre Chevènement : Cela fait partie des données de la géographie et de l’histoire, bien que ça n’excuse en rien l’agression russe caractérisée, celle-ci violant les principes d’intégrité territoriale et de souveraineté des États. Par conséquent, il faut condamner très fermement, comme a su le faire le Président Macron, tout en maintenant le dialogue pour favoriser un jour une désescalade qui serait dans l’intérêt de toute l’Europe.
Pour répondre à votre question, la Russie procède du christianisme byzantin. C’est un pays orthodoxe dont les racines sont chrétiennes, comme celles des pays d’Europe occidentale qui, eux, procèdent de Rome. Ce schisme qui oppose l’Ouest et l’Est de l’Europe remonte à 1054. C’est donc une vieille affaire. Mais, en l’occurrence, nous sommes cette fois en présence d’une violation caractérisée des principes qui fondent l’ordre international. La France lui apporte la réponse qui convient.
- Olivier Truchot : Mais vous l’avez rencontré Vladimir Poutine ?
Jean-Pierre Chevènement : Je l’ai rencontré et je suis surpris car il m’avait donné l’impression d’être quelqu’un qui argumentait, qui était rationnel. Nous avons discuté en tête à tête, quatre heures d’affilée, en 2014 pour jeter les bases du format Normandie. Il me semblait qu’on pouvait raisonner avec lui. Même si je connais la psychologie russe, leur nationalisme obsidional, le sentiment qu’ils ont d’être toujours menacés, assiégés. Peut-être y’a-t-il aussi eu des fautes commises par les Occidentaux ?
- Olivier Truchot : Lesquelles ?
Jean-Pierre Chevènement : Après l’effondrement de l’URSS, il fallait concevoir un ordre de sécurité stable apportant à chaque pays des garanties qu’il pouvait estimer légitimes. Cela n’a pas été fait dans certaines circonstances. Je ne vais pas rappeler le Kosovo, l’Irak, la Libye, etc. La Russie a pu à un certain moment se sentir menacé. Excessivement évidemment.
- Olivier Truchot : Est-ce une réaction paranoiaque du président russe ?
Jean-Pierre Chevènement : Oui. Le mot peut paraître fort, mais je crois qu’il est malheureusement juste. Je dis bien « malheureusement » car c’est un malheur immense pour l’Ukraine, pour la Russie, pour l’Europe. Nous allons en payer durement le prix.
- Olivier Truchot : Quel sera le prix à payer ?
Jean-Pierre Chevènement : Regardez le gaz. Pour l’Allemagne, c’est plus de 50% de son électricité. Si les gazoducs ne fonctionnent plus, que fera l’Allemagne ? Où va-t-elle s’approvisionner. On peut s’attendre à un choc sur les prix. L’inflation est déjà forte. Elle le sera plus encore. C’est un exemple que je prends un peu au hasard. Tous ces réfugiés représentent par ailleurs une terrible misère humaine.
- Olivier Truchot : Vous avez souvent critiqué l’Union européenne. Aujourd’hui, celle-ci réagit très fort. L’Allemagne annonce sa volonté de mettre beaucoup d’argent dans son budget militaire. La Suisse sort même de sa neutralité et adopte des sanctions économiques contre la Russie.
Jean-Pierre Chevènement : Permettez-moi d’être un peu plus réservé pour commenter la portée des décisions prises par la Suisse et même par l’Allemagne. Son premier réflexe était, je rappelle, de maintenir la Russie dans le système Swift. Quant aux annonces du nouveau chancelier allemand Scholz de faire passer le budget allemand de défense à plus de 2% du PIB, souvenons-nous qu’Angela Merkel avait déjà pris cet engagement sans qu’il ne se traduise dans la réalité. Attendons de voir comment les choses vont évoluer et évitons les surenchères inutiles. L’Europe affirme sa solidarité avec la résistance ukrainienne. C’est bien. Il faut maintenir cette solidarité d’une manière avisée, comme je crois qu’on le fera avec le président de la République qui a su, comme vous l’avez remarqué, maintenir ouverts les canaux de la communication.
- Benjamin Duhamel : Considérez-vous, M. Chevènement, comme Valérie Pécresse, que certains candidats à l’élection présidentielle (Éric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, etc.) sont disqualifiés dans la course du fait de leurs propos passés, jugés complaisants à l’égard de Vladimir Poutine et de la Russie ?
Jean-Pierre Chevènement : Non. Ce sont des propos de candidats. Madame Pécresse est candidate et peut donc tenir ces propos. Quant à moi, je ne les tiens pas pour une raison très simple. Certains discours pouvaient se tenir dans un certain contexte, mais le contexte a changé. L’invasion de l’Ukraine était difficile à imaginer il y a encore quelques semaines. Moi-même je n’y croyais pas. Il faut éviter, par conséquent, de faire parler les gens en dehors du contexte où ils se plaçaient eux-mêmes.
- Olivier Truchot : Vous avez reçu une médaille de l’amitié de la part de Vladimir Poutine en 2017. Allez-vous garder cette médaille ou la lui rendre ?
Jean-Pierre Chevènement : J’ai accepté cette médaille avec l’accord des plus hautes autorités de l’État. Je l’ai fait pour servir les intérêts de la France, la seule chose qui compte pour moi. Avant de prendre une décision, je demanderai conseil et je ferai ce qu’on me dira de faire.
- Olivier Truchot : Merci à vous, M. Chevènement, d’être venu sur notre plateau ce soir.
Source : BFM STORY - BFM TV