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Nucléaire: non à l'idéologie de la peur!


Une tribune de Jean-Pierre Chevènement parue dans Le Monde, édition du 22 novembre 2011.


Nucléaire: non à l'idéologie de la peur!
Si je sais gré à François Hollande d'avoir tenu bon sur la poursuite de la construction du réacteur EPR de Flamanville qui conditionne les exportations françaises vers la Grande-Bretagne, la Chine, l'Inde, etc., comment ne pas s'alarmer de la volonté des Verts de condamner l'usine de retraitement de la Hague, la fabrication du combustible mox nécessaire à nos réacteurs et de fermer le laboratoire de stockage des déchets retraités de Bure, etc. La logique des Verts est claire : c'est la "sortie du nucléaire". C'est le triomphe du dogmatisme. Mais quelle cohérence y a-t-il à vouloir, en pleine crise, fermer vingt-quatre réacteurs qui marchent, bref à se priver du tiers de notre potentiel de production électrique ?

Cette mesure coûterait au moins 250 milliards d'euros qu'il faudra bien trouver dans le budget de l'Etat, des entreprises et chez les contribuables. Outre le démantèlement de réacteurs qui marchent, il faudrait construire un nombre équivalent de nouvelles centrales thermiques, subventionner des énergies renouvelables, moderniser notre réseau électrique afin de répondre aux contraintes d'une production plus complexe et plus intermittente, sans parler du coût social de telles mesures.

Casser une infrastructure très rentable (le nucléaire) et la remplacer par une autre, plus polluante et moins rentable (gaz, charbon, énergies renouvelables) entraînera une augmentation du prix de l'électricité de 40 % à 50 %. Les chiffres sont têtus et connus. Le coût du MW/h du parc nucléaire français est de 42 euros (chiffre inscrit dans la loi sur la nouvelle organisation du marché de l'électricité en France de 2011). Le gaz revient entre 60 et 70 euros/MWh (le prix du gaz va progresser dans l'avenir). Le coût de l'éolien terrestre s'élève à 90 euros/MWh, l'éolien marin est à 150 euros/MWh et le solaire photovoltaïque à 250 euros/MWh. Seul le charbon est aussi compétitif que le nucléaire mais il est beaucoup plus polluant.

Notre déficit extérieur s'aggraverait de trois façons : la réduction de nos services nucléaires exportés (6 milliards d'euros par an en moyenne), l'importation ensuite de 4 milliards d'euros de gaz supplémentaire chaque année, et enfin, la disparition progressive de nos exportations d'électricité (2,3 milliards d'euros par an) au fur et à mesure de la fermeture des réacteurs français. Enfin, les entreprises françaises, qui bénéficient d'une électricité 40 % moins chère que dans le reste de l'UE, perdraient cet avantage comparatif, ce qui aggraverait leur problème de compétitivité. L'image d'un monde éclairé par la seule grâce du soleil et du vent que nous présentent les partis écologistes est un leurre. L'éolien et le solaire sont non seulement chers, mais ils produisent trop peu. Une éolienne terrestre ne produit que 20 à 25 % du temps, une éolienne maritime 30 à 35 % et le solaire photovoltaïque en France 10 à 15 %. Les éoliennes en France ayant en moyenne une puissance nominale de 2 MW, il faudrait en construire 2 500 à 3 000 pour obtenir une puissance produite équivalente à celle d'un seul EPR de 1 650 MW qui, lui, fonctionnera 90 % du temps. Belle perspective !

Nous assistons au triomphe de "l'idéologie de la peur" formalisée en Allemagne au lendemain de la seconde guerre mondiale par le philosophe Hans Jonas ("l'heuristique de la peur") et plus récemment par le sociologue Ulrich Beck ("la société du risque"). Cette idéologie a déjà contaminé notre Constitution avec un "principe de précaution" qui n'a rien de scientifique. Or, le risque zéro n'existe nulle part. L'Allemagne va construire dix centrales thermiques au charbon pour remplacer les réacteurs nucléaires qu'elle ferme. Or, l'industrie charbonnière fait 2 500 à 3 000 morts par an (contre deux à Fukushima).

Cet accident nucléaire très grave n'a pas été "l'apocalypse" annoncée par certains dans la panique des premiers jours. Le déplacement de 80 000 personnes et la contamination disséminée dans un rayon de 20 à 30 kilomètres autour de la centrale sont des événements dramatiques. Mais les effets de cette catastrophe sont réversibles. Dix ou vingt ans seront nécessaires pour dépolluer les zones contaminées et y rétablir une situation normale. L'effort sera long et lourd, mais le peuple japonais, admirable de volonté, y parviendra.

En obéissant à la dictature de l'émotion, en se laissant imposer un choix idéologique et contraire aux intérêts du pays, en se mettant enfin à la merci des chantages des Verts auxquels un groupe parlementaire de quinze à trente-cinq députés vient d'être concédé, le Parti socialiste s'éloigne de ses racines républicaines et des valeurs des Lumières héritées du rationalisme cartésien (croyance en la Raison, liberté de la recherche, volonté de progrès, etc.).

Ce serait un tournant culturel grave pour la France et pour l'Europe, car le triomphe de "l'idéologie de la peur" sur notre continent contrastant avec la confiance en eux des pays émergents tournés vers la science et la technologie, ne manquerait pas d'accélérer notre déclin. Ce destin n'a rien d'irréversible : les "forces de progrès" sont encore puissantes dans la gauche et dans le pays.

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Source : LeMonde


Rédigé par Jean Pierre Chevenement le Lundi 21 Novembre 2011 à 14:43 | Lu 3287 fois



1.Posté par J R le 21/11/2011 16:01
Je ne me battrai pas à coup de centimes d'euros du KW/h ni de milliers de morts en plus ou en moins pour justifier telle ou telle énergie. Le fait est que l'opinion publique a peur du nucléaire, et c'est certainement du, en grande partie, aux dizaines d'années de mensonges d'Etat qui ont entouré et protégé le nucléaire. Les nucléocrates ne sont plus crédibles car ils ont trop menti, de Tchernobyl à Fukushima en passant par Brennilis. Il faut en tenir compte. Les Allemands en tiennent compte et bien d'autres avec eux. Une majorité veut manifestement sortir PROGRESSIVEMENT du nucléaire. Et c'est tant mieux pour les oeufs du même panier. Les français choisiront en 2012, démocratiquement.

2.Posté par Tran DO NGOC le 21/11/2011 16:14
Article à méditer par F.Hollande, pour décider en homme d'Etat.
Utopique de sortir du nucléaire dans des conditions actuelles de la consommation et du coût des énergies renouvelables. Il ne faut pas fixer un horizon à 20, 30 ou 50 ans, car tout dépend de:
1. l'évolution de la consommation, que l'on espère en baisse, avec incitation aux économies d'énergie, lesquelles peuvent créer des emplois en remplacement de ceux supprimés.
2. l'évolution technologique sur les principales énergies renouvelables: l'éolienne, qui ne profite guère à l'industrie française, en est au Moyen-Age, avec nuisances et d'un coût trop élevé; la photovoltaïque, bientôt aux intérêts chinois dans le monde entier, est d'un rendement si médiocre.
En fait, en matière d'énergie renouvelable, la France doit investir dans la RECHERCHE, au lieu de la laisser aux autres, et c'est seulement en mobilisant nos ressources dans ce domaine que l'on pourra demain investir de plus en plus dans le renouvelable par l'industrie française.

3.Posté par Jack SIMONNET le 21/11/2011 16:17
germinal
Mesdames Messieurs les écologistes bonsoir
Doux réveurs irréalistes irresponsables etc....
Certes dans aucun domaine il n'y a de risque zéro
Renoncerez vous à vos téléviseurs, ordinateurs et le reste
sauf à installer chez vous une centrale électrique à pédales !!!!
Notre pays réussit à produire l'électricité à bon compte cela grace au nucléaire
Certes il ne faut pas exclure les recherches sur d'autres moyens de production à trouver
Pour le moment solaire et éolien ne sont que des gadgets à rentabilité négative
Pourquoi vous focaliser sur la production d'énergie,alos que d'autres atteintes à l'environnement
sont autrement plus graves
La quasi disparition des cultures maraichéres autour des grandes villes entraine une inflation des transports routiers,avec les nuisances que cela entraine en même temps que se dégrade le fret ferroviaire pourtant plus économe en énergie

4.Posté par Michel PILLIER le 21/11/2011 18:10
La peur, l'irrationalité et l'ignorance, qui sont les ressorts des tenants de la sortie, même progressive, du nucléaire n'ont jamais été des valeurs de gauche. On n'attendait pas mieux des Verts. Mais que le PS se soit laissé aller sur cette pente fatale est proprement stupéfiant..
Bricoler sur un coin de table un accord aussi irréaliste est une faute grave, qui relève à la fois de l'incompétence et du mensonge.
Malheureusement, le PS n'est pas seulement soumis aux oukases des Verts : il est aussi incapable de penser la résistance aux diktats des marchés financiers.
Il faut faire renaître la gauche de progrès que le candidat PS ne représente plus et dont il ne peut plus être le fédérateur . Si la candidature de Jean-Pierre sert à cela, alors elle est 100% nécessaire.

5.Posté par Philippe MANET le 26/11/2011 04:02
j'ai lu sur ce blog un nombre de contre-vérités hallucinant. Avant de continuer, merci de vous documenter, par exemple sur des scénarios de sortie du nucléaire comme négawatt
http://www.negawatt.org/

lire que le site de fukushima sera réhabilité dans 10-20 ans... un peu de sérieux monsieur le Che, vous perdez toute crédibilité ! Puis-je me permettre de vous rappeler que la situation des réacteurs n'est pas encore stabilisée (interview cette semaine du directeur de la centrale) ? La principale inquiétude est qu'il semble qu'une bonne partie du plutonium (notre si merveilleux MOX...) soit parti dans la mer... Mais pour l'instant, difficile de savoir ce qui se passe réellement !

pour moi, la principale épreuve de vérité pour le nucléaire, serait de l'obliger à assurer ses centrales, ce dont elles sont actuellement dispensées. Chiche ? Fermeture assurée dans l'année...

6.Posté par J R le 26/11/2011 11:46
Philippe MANET a raison. Et je ne redirai pas ce qu' a écrit au sujet de Fukushima un intervenant habituel aveuglé par l'inocuité du nucléaire : "Tout le monde sait bien que les morts à Fukushima ont été seulement provoqués par le raz de marée". ...
Et à Tchernobyl, c'était quoi ? Une hallucination collective ?

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