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"Le ressort de la citoyenneté, c'est l'exercice de la souveraineté donc l'action politique"


Président de la Fondation Res Publica, Jean-Pierre Chevènement participait au débat organisé par le magazine Acteurs Publics sur le thème "L’éducation nationale forme-t-elle des citoyens ?", le 1er octobre 2018, et animé par Bruno Botella, directeur de la rédaction d'Acteurs Publics. Il débattait avec Florence Robine, rectrice de l'académie de Nancy Metz et de la région académique Grand Est, et François Weil, conseiller d'État, historien et ancien recteur d'académie.


Verbatim

  • Est-ce à l'Ecole de former les citoyens ? L'Ecole peut-elle enseigner les fondamentaux, former des jeunes qui trouveront un métier, les éduquer à la citoyenneté ?

    La première mission de l'Ecole est de former des citoyens. Mais qu'est-ce qu'un citoyen ? Dans la République, c'est une parcelle du souverain. L'ensemble des citoyens forment le peuple, qui est le titulaire de la souveraineté. Donc ce sont les citoyens qui doivent être les moteurs de l'action publique et pour ce faire, il faut qu'ils soient éclairés. Or ils ne peuvent l'être que par l'école. Le couple République-Ecole est donc consubstantiel.

    En transmettant des connaissances, l'Ecole forme des citoyens, même si ce n'est pas suffisant : il faut aussi expliquer comment fonctionnent les institutions de la République et comment on les meut.

    J'ai lu le rapport du Conseil d'Etat sur la citoyenneté (La citoyenneté. Etre (un) citoyen aujourd'hui, étude annuelle 2018, La Documentation française). Très heureuse initiative, mais je regrette que l'on prenne trop facilement parti, me semble-t-il, de ce qu'on appelle « la crise de la citoyenneté ». La citoyenneté a toujours été difficile ! Relisez Montesquieu, qui explique que la vertu est le principe des Républiques, et que la citoyenneté ne va pas sans abnégation parce qu'elle implique la préférence pour le bien collectif par rapport à l'intérêt individuel. L'amour des lois et de la patrie est l'essence même de la citoyenneté.

    L'hyper-individualisme ne date pas d'aujourd'hui : dans l'entre-deux guerres, on peut considérer qu'il avait gangrené le pays à un point considérable. La difficulté est toujours là. Il y avait des injustices sous la IIIème République, n'en faisons pas une République modèle, mais on luttait et on y croyait.

    La citoyenneté est indissociable de la foi républicaine. On pourrait dire « mystique républicaine » ? Péguy disait que la mystique républicaine, c'était mourir pour la République. On n'en demande pas tant ! Mais il y a ce dévouement à la chose publique qui peut être le fait d'un instituteur, d'un cheminot, d'un postier, et qui peut être admirable. Nous avons tous le souvenir des professeurs qui nous ont marqués et formés : ils faisaient bien leur métier ! Ils aimaient leur discipline et ils transmettaient cet amour à leurs élèves.

    Le ressort de la citoyenneté, c'est l'exercice de la souveraineté donc l'action politique. Comme le disait Jean Macé sous la IIIème République : « Nous faisons des électeurs mais pas des élections ». Nous formons le citoyen à juger de ce qu'est l'intérêt général en prenant appui sur sa capacité à raisonner. C'est le rôle de l'Ecole publique, ce qui implique qu'elle garde beaucoup de neutralité. L'Ecole ne doit surtout pas faire de propagande, ce qui est haïssable.

  • N'est-il pas plus compliqué aujourd'hui, à l'heure des fake news et de la défiance vis-à-vis des politiques et de l'élite en général, de transmettre ce message civique et moral ?
    L'autorité ne s'est jamais imposée facilement. En République, en principe, elle s'impose facilement puisque, si l'on suit Rousseau, en théorie, la loi est l'expression de la volonté générale. Donc, en obéissant à la loi, les citoyens sont libres puisque ce sont eux qui en sont à l'origine.

    Le Conseil d'Etat parle de « citoyenneté à la recherche d'un nouveau souffle », d'une « perception troublée de la citoyenneté », d'un « essoufflement du couple des droits et des devoirs ». Il faudrait s'interroger sur l'origine de ce « trouble ». Qu'a-t-il de particulier ?

    Aujourd'hui, la loi a vu son champ se réduire sous l'influence de deux facteurs : les transferts de compétences au niveau européen, le droit européen, les jurisprudences des cours nationales – Conseil d'Etat, Cour de cassation, Conseil constitutionnel –, mais aussi les jurisprudences des cours européennes : Cour de justice de l'UE et Conseil européen des droits de l'Homme. Ces jurisprudences envahissantes ont beaucoup restreint le champ de la loi votée par le Parlement. Le citoyen se reconnaît beaucoup moins dans un système producteur de normes sur lequel il n'a pas d'influence, car ces normes sont définies par des personnes non élues : les commissaires européens, les juges. Comment le citoyen pourrait-il se reconnaître dans les normes qui s'appliquent ? C'est le nœud de la question.

    Il est bien de faire appel à la réserve citoyenne, au service civique et à beaucoup d'autres choses. Il est bien également d'apprendre le rôle des institutions et la manière dont on fait les lois, mais si cela ne s'applique plus qu'à un très petit nombre de domaines comme l'euthanasie, la PMA, la GPA ou le code de la route... Le droit économique et social, maintenant, c'est Bruxelles au nom de la concurrence ! Ce sont les directives européennes. Tout cela limite considérablement les marges d'initiative des collectivités locales : il y a beaucoup de choses qu'un maire ne peut pas faire car il est en contradiction avec le principe de la concurrence. En matière économique, on ne peut plus faire grand chose. Tout cela est à l'origine de la crise actuelle de la citoyenneté.

    Enfin, il ne faudrait pas substituer à la citoyenneté traditionnelle, en tant qu'exercice en commun de la souveraineté populaire, c'est-à-dire la politique, une pseudo-citoyenneté. Je pense par exemple à l'enseignement du tri des déchets, ou éco-citoyenneté. Cela consiste essentiellement et presque uniquement à séparer le carton, le plomb, le verre... La citoyenneté ne s'y retrouvera pas !

    La République est la gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. Qu'est devenue la politique industrielle aujourd'hui ? Qu'est devenue la politique d'aménagement du territoire ? Certes, la France a changé mais certaines politiques centrales ne sont plus exercées et il faut aussi que les jeunes s'y intéressent. Quant à nos élites, sont-elles tellement méritoires ? Elles sont tout de même spécialistes de l'exode pour ne pas parler de l'exil fiscal. On ne peut pas culpabiliser le peuple indéfiniment !

    Source : Acteurs Publics


Rédigé par Chevenement.fr le Jeudi 4 Octobre 2018 à 10:44 | Lu 2144 fois



1.Posté par Jean Pierre ROBERT le 05/10/2018 16:16
Bravo Jean Pierre CHEVENEMENT. Je crains que les hauts fonctionnaires ne soient ' trop investis ' dans d'autres choses que la citoyenneté.

2.Posté par Eric NIVIER le 06/10/2018 16:04
Jean-Pierre CHEVENEMENT a pleinement raison d'appeler l'attention sur une dilution possible de la notion de citoyenneté devenue un vaste fourre-tout (dont témoigne le fait que l'adjectif "citoyen" est utilisé dorénavant à tort et à travers). L'Education nationale n'échappe pas à cet effet de mode. Aussi bien pourrait-on rapprocher le consensus au sein de l'institution sur l'écologie (à travers l'éducation à l'éco-citoyenneté) des vifs débats qui ont lieu sur le contenu et l'avenir de l'enseignement des sciences économiques, pourtant essentiel à la formation des futurs citoyens ; la tendance à porter la focale sur les questions sociétales au détriment des connaissances relatives à la question sociale ; la propension à diluer la question de l'art et de la culture dans les mille et un "projets culturels" et la survalorisation des "pratiques créatives" des élèves par rapport à la connaissance des œuvres etc... N'est ce pas là retrouver d'ailleurs le problème des "savoirs" et des fameux "savoir-être" dont un certain courant a exalté la place qu'ils devaient prendre au cœur de l'institution scolaire, avec le cortège des conceptions attenantes ( "l'élève au centre du système éducatif", la construction par l'élève de "ses" savoirs etc...) ? Les inflexions apportées récemment par le ministre BLANQUER sont, à cet égard, plutôt bienvenues mais il convient de ne pas sous-estimer la force du courant dominant où, loi d'airain de la démocratie obligeant, il conviendrait de participer et de "co-construire" en tout... Comme si l'éducation du citoyen ne consistait pas aussi à expliquer, surtout à l'ère des lobbies et des réseaux en tous genres qui saturent la " société horizontale", que soumettre à concertation n'est pas synonyme de co-décider quand bien même il est très souhaitable de trouver les accords les plus larges, que l'intérêt général n'est jamais la résultante arithmétique des intérêts particuliers et ne saurait être le plus petit dénominateur de la décision publique.

3.Posté par Eric NIVIER le 06/10/2018 16:04
Jean-Pierre CHEVENEMENT a pleinement raison d'appeler l'attention sur une dilution possible de la notion de citoyenneté devenue un vaste fourre-tout (dont témoigne le fait que l'adjectif "citoyen" est utilisé dorénavant à tort et à travers). L'Education nationale n'échappe pas à cet effet de mode. Aussi bien pourrait-on rapprocher le consensus au sein de l'institution sur l'écologie (à travers l'éducation à l'éco-citoyenneté) des vifs débats qui ont lieu sur le contenu et l'avenir de l'enseignement des sciences économiques, pourtant essentiel à la formation des futurs citoyens ; la tendance à porter la focale sur les questions sociétales au détriment des connaissances relatives à la question sociale ; la propension à diluer la question de l'art et de la culture dans les mille et un "projets culturels" et la survalorisation des "pratiques créatives" des élèves par rapport à la connaissance des œuvres etc... N'est ce pas là retrouver d'ailleurs le problème des "savoirs" et des fameux "savoir-être" dont un certain courant a exalté la place qu'ils devaient prendre au cœur de l'institution scolaire, avec le cortège des conceptions attenantes ( "l'élève au centre du système éducatif", la construction par l'élève de "ses" savoirs etc...) ? Les inflexions apportées récemment par le ministre BLANQUER sont, à cet égard, plutôt bienvenues mais il convient de ne pas sous-estimer la force du courant dominant où, loi d'airain de la démocratie obligeant, il conviendrait de participer et de "co-construire" en tout... Comme si l'éducation du citoyen ne consistait pas aussi à expliquer, surtout à l'ère des lobbies et des réseaux en tous genres qui saturent la " société horizontale", que soumettre à concertation n'est pas synonyme de co-décider quand bien même il est très souhaitable de trouver les accords les plus larges, que l'intérêt général n'est jamais la résultante arithmétique des intérêts particuliers et ne saurait être le plus petit dénominateur de la décision publique.

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