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Le lycée, un système complexe qu'il faut réformer intelligemment


Intervention du sénateur Jean-Pierre Chevènement lors du débat du 21 octobre au Sénat sur la « réforme du lycée ».


Le lycée, un système complexe qu'il faut réformer intelligemment
C’est un fait nouveau que le Président de la République s’exprime lui-même sur le lycée et c’est un fait heureux tant il est vrai que les 2 200 000 lycéens sont une partie importante de l’avenir de la France.

La réforme du lycée, dont le Président de la République a tracé les grandes lignes est ce qui reste du projet de lycée modulaire imaginé par votre prédécesseur, c’est-à-dire entre nous pas grand-chose. Je souhaite qu’à travers la concertation dont vous êtes chargé, vous puissiez donner à cette réforme la substance qui lui manque.

1. Je m’étonne tout d’abord que les besoins du pays ne soient pas évoqués dans l’intervention du Président de la République sinon au détour et comme par raccroc, à propos de la réforme de la section du bac technologique « sciences et techniques pour l’industrie » (STI). Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur la baisse constante du nombre d’étudiants inscrits dans les filières scientifiques de nos universités. Quand j’ai fixé, en 1984-85, à l’Ecole publique de nouveaux objectifs – porter 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, et non pas au bac comme l’a dit Mme Morin-Desailly, créé le baccalauréat professionnel et régionalisé la construction des lycées, je l’ai fait sur la base d’une étude prévisionnelle sur les besoins du pays à l’horizon 2000, l’évolution des catégories socioprofessionnelles, étude commandée à la filiale d’études économiques de la CDC.

Dans la compétition mondiale où les pays asiatiques forment toujours plus d’ingénieurs, de techniciens, de chercheurs, c’est une grave lacune. Le handicap qui résulte de ce manque d’ambition pour le pays, du fait de la mauvaise orientation des élèves et des étudiants vers des filières sans débouchés, n’en sera pas corrigé. Le Président de la République vous a chargé de poursuivre la consultation. Je souhaite que vous le fassiez avec le souci républicain de l’intérêt général, avec la volonté de former les citoyens et les producteurs, j’entends par là les ouvriers qualifiés, les techniciens, les ingénieurs, les chercheurs dont a besoin un pays moderne pleinement engagé dans la compétition mondiale.

(l'intégralité de l'intervention de Jean-Pierre Chevènement en vidéo)


2. Je relève une seconde contradiction dans les discours du Président de la République : il déclare vouloir préserver l’excellence, le niveau d’exigence, mais en même temps s’étonne, voire s’indigne, du nombre de redoublements au lycée - 28 % - du fait que 35.000 lycéens à la fin de la terminale n’ont pas le bac et qu’enfin 80.000 bacheliers n’obtiennent pas un diplôme d’enseignement supérieur. Mais c’est le principe même de l’élitisme républicain que le Président de la République met en cause, un principe qui vise à la fois à la démocratisation des études et au maintien de l’exigence intellectuelle et de la qualité de l’enseignement. Si on suit le Président de la République, il faut donner le bac à tout le monde et un diplôme d’enseignement supérieur à tous les bacheliers.

Je veux rappeler le discours d’Henri Wallon à la Libération : « L’école républicaine a pour but la promotion de tous et la sélection des meilleurs ». La sélection est dans la nature des choses ; le problème des savoir si elle se fait sur des critères démocratiques.

3. Le Président de la République pointe à juste titre l’inégalité des chances selon l’origine sociale. Mais croyez-vous qu’on corrigera cette inégalité par un rabais de l’exigence ! L’Ecole ne peut corriger à elle seule l’inégalité sociale sauf à prendre le risque de la démagogie et de l’égalitarisme niveleur. Il faut pour cela, et dans tous les domaines de l’action politique, une énergie républicaine que je ne discerne pas dans les choix fiscaux et autres du gouvernement.

4. On peut certes améliorer l’orientation des élèves mais je ne crois pas qu’on puisse instituer une orientation permanente et efficace avec des stages passerelles et des remises à niveau pendant les vacances. Etendre la seconde dite « de détermination » à la classe de première risque de casser les filières de deux ans qui permettent un certain approfondissement des matières. Une classe de terminale spécialisée ne suffit pas.

5. Prélever deux heures sur les horaires de cours pour un soutien des élèves en difficulté alors que baisse le nombre de postes de professeur, c’est aller au-devant du lycée « light » qu’on a reproché à votre prédécesseur. On ne compensera pas non plus la baisse du nombre de professeurs par le recrutement d’assistants de langues parmi les étudiants étrangers.

6. Pour tenir compte de la diversité des élèves liée à la démocratisation des études longues, il faut évidemment diversifier les filières. Le Président de la République déclare vouloir casser la hiérarchie imposée des voies et des séries.

a) Ne faisons pas de la section S le bouc émissaire de ce qui ne va pas au lycée. Elle est justement ce qui marche ! Elle a le grave défaut certes d’attirer les bons élèves mais que faut-il faire de ces bons élèves ? C’est pour vous un véritable casse-tête. On a l’impression que votre tâche, si vous n’aviez que des cancres, serait plus facile … Vous suggérez, à juste titre, qu’il y ait des bons élèves partout et d’abord dans la filière littéraire, la fameuse section « L ». La revalorisation de la filière littéraire est une bonne chose Je l’avais moi-même prévue en 1986 dans la réforme des lycées que mon successeur a malheureusement suspendue. Vous voulez y introduire des langues étrangères, du droit, un enseignement culturel et artistique, mais où sont les moyens ? Et surtout vous oubliez le grec et le latin qui sont au cœur de notre langue, de notre culture et de notre civilisation ! L’apprentissage des langues anciennes est la base même de la revalorisation de la série « L ». On ne peut pas imaginer un professeur de français qui ne sache pas le latin.

b) Par ailleurs vous évoquez la réforme de la filière technologique mais seulement à travers la série « sciences et techniques industrielles ». Vous proposez de réserver des places pour les élèves de cette section dans les IUT et les BTS. Sur quelles bases ? Ne risquez-vous pas de porter atteinte au principe du concours ? Y aura-t-il au moins deux concours séparés ? Je vous ferai observer que les IUT sont de moins en moins des formations courtes et de plus en plus un mode d’acheminement vers des formations longues. L’enjeu de la formation d’un plus grand nombre de scientifiques et d’ingénieurs est crucial pour le pays. Vouloir l’atteindre à travers la seule section STI est réducteur.

c) C’est l’ensemble de la filière technologique et de la filière professionnelle qui mérite votre sollicitude. La généralisation du bac pro en trois ans ne suffit pas pour revaloriser le lycée professionnel. Il y faut des moyens en hommes et en matériels. Et ce n’est pas, soit dit en passant, avec une cagnotte scolaire qu’on luttera contre l’absentéisme des élèves ! Ce serait la négation même des principes de l’Ecole républicaine ! Mettez donc un terme à ces expérimentations choquantes. Je suis surpris que le mot « Région » n’apparaisse pas dans le discours présidentiel alors que c’est des régions que dépend l’investissement en matériel et le recrutement des personnels techniques, laborantins et autres. Il vous faudrait réunir l’ensemble des régions pour définir en commun un plan ambitieux de développement et de modernisation de ces filières technologiques et professionnelles.

7. Le Président de la République dit souvent une chose et son contraire. Cela vous facilitera la tâche. Je vous souhaite très sincèrement, parce que c’est de l’avenir de notre jeunesse et du pays tout entier qu’il s’agit, de tenir bon les deux bouts de la chaîne : le souci de la démocratisation et le maintien de l’exigence de qualité.

Notre lycée ne marche pas si mal. Il faut le réformer intelligemment. On ne peut agir autrement avec des systèmes complexes.

Il est trop simple d’opposer la conquête de l’autonomie – sixième axe de la réforme – à « l’encadrement » trop pesant dont nous aurions hérité.

Je m’étonne qu’il n’y ait pas un mot dans le discours du Président de la République sur la violence scolaire. Jack Lang a relevé que les propositions de Nicolas Sarkozy s’inscrivent dans le droit fil des réformes du lycée de 1992 et 2000 qu’il a lui-même conduites. On ne saurait mieux dire.


Un mot pour conclure : la conquête de l’autonomie sera d’autant plus facilitée que seront maintenus des cadres solides. La conquête de l’autonomie passe par la conquête du Savoir. Et ce sont les enfants des classes les moins favorisées qui ont le plus besoin d’une école structurée et sûre de ses valeurs. La transmission des savoirs dont la parfaite maîtrise fonde l’autorité du maître passe par un bon encadrement. C’est la meilleure garantie d’un lycée qui marche à Clichy sous Bois comme à Neuilly. Ne vous laissez pas égarer, Monsieur le Ministre, par des comparaisons statistiques trompeuses sur le nombre d’heures de cours dispensées dans d’autres pays aux élèves de quinze ans. Chaque système éducatif a sa spécificité. Il n’est pas souhaitable de réduire le nombre des heures de cours au lycée car ce n’est pas en travaillant moins que nos lycéens apprendront mieux.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mercredi 21 Octobre 2009 à 22:02 | Lu 4747 fois



1.Posté par Porphyre le 23/10/2009 07:41
Tout à fait d'accord en ce qui concerne la réforme de la filière L. Il est sans doute inévitable et nécessaire de revaloriser des sections littéraires par des contenus littéraires avant tout! La pratique des langues anciennes est centrale et devrait être obligatoire en L, en ce qui concerne le choix d' au moins une de ces deux langues. C'est un soutien indispensable pour l'apprentissage des langues romanes; il me semble que certains concours de recrutement pour l'enseignement de ces langues ont conservé l'usage du latin. Par ailleurs, c'est parfaitement compatible avec une formation qui sensibiliserait aux arts plastiques et dramatiques avec une formation complémentaire en informatique nécessaire aux métiers de la communication. A ce prix, on rendra sans doute à la classe de L un véritable attrait et une spécificité qui n'en fera plus un choix par défaut! Bien sûr, ce n'est pas d'un allègement des programmes qu'il s'agit, prétexte trop facile pour orchestrer en fait une baisse drastique des moyens. Cela supposerait des heures d'enseignement supplémentaires (et des moyens) et les L ne sont pas surchargés d'heures d'enseignement. Que je sache, l'esprit humain n'a pas régressé au point que nos jeunes ne puissent absorber qu'un programme "light", même si les sources d'information variées et les tentations médiatiques, appuyées d'un marché puissant de la distraction, exercent une vraie pesanteur. C'est là un autre débat et c'est valable pour tous les jeunes, toutes sections confondues.
Il reste donc une politique volontariste du législateur pour mettre réellement et efficacement en œuvre ces réformes. Cela a certes un prix et ne peut sans doute s'accomplir qu'avec un retour sur certains choix gouvernementaux catastrophiques en matière de fiscalité pour l'intérêt public.

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