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François Furet, le passé d’une illusion


Intervention de Jean-Pierre Chevènement à l’IUFM de Franche-Comté, mardi 20 mai 2008.
L’Histoire de la Révolution française reste un objet chaud, comme l’a montré la commémoration du bicentenaire, en 1989.


Certes, dès 1978, François Furet la déclarait-elle « terminée », depuis qu’à la fin du XIXe siècle, la IIIe République avait été instituée sur des bases solides. Mais l’historiographie de gauche ne partageait pas ce point de vue : qu’elle fut communiste, socialiste, radicale et même mitterrandienne. 1989 fut aussi l’année de la chute du mur de Berlin, deux ans avant celle de l’URSS. Et la tentation était grande de faire de la défaite de la révolution d’octobre 1917, une défaite de la révolution française dans sa phase jacobine et terroriste. Un grand publiciste français dans la mouvance de François Furet déclara ainsi : « Je suis pour la Révolution française, jusqu’aux « Feuillants »».

Dans les années précédentes, le Professeur Ernst Nolte, dont je salue la présence, avait cherché à montrer que le national-socialisme ne pouvait se comprendre dans son époque que comme réplique au bolchevisme. A travers le concept de guerre civile européenne, il européise le national-socialisme en le rattachant au fascisme et même à l’Action française, omettant le fait que celle-ci n’a jamais pu l’emporter en France par la voie électorale, mais seulement de façon d’ailleurs partielle à la faveur d’une défaite et d’une capitulation, auxquelles elle s’était résignée de bon cœur, derrière son maître, Charles Maurras. Ce faisant Ernst Nolte évacue trop vite, à mon sens, la question de la filiation pangermaniste du national-socialisme. Il réduit celui-ci à un antibolchevisme et fait la part trop belle aux émotions bourgeoises et petites-bourgeoises qui pouvaient le faire comprendre, sinon le justifier.

Or il ne serait pas difficile de montrer que les principaux ingrédients du national-socialisme étaient déjà présents dans l’Allemagne d’avant 1914 bien que séparément : pangermanisme, désir de conquêtes quasi coloniales à l’Est de l’Europe perçues comme une légitime compensation à l’éviction de l’Allemagne du partage du monde, racialisme, antisémitisme, etc.

Certes ces éléments étaient séparés avant 1914 et leur cristallisation dans une idéologie totalitaire n’a pu s’opérer qu’à la faveur de la guerre, de la défaite et de l’ardent désir de revanche qui en était né, sans parler de la crise économique du début des années trente, qui éprouva particulièrement l’Allemagne, et fournit l’occasion de l’accession de Hitler au pouvoir.

Le rapprochement du bolchevisme et du national-socialisme peut bien sûr se fonder sur des traits communs mais méconnaît l’enracinement du premier dans une idéologie universaliste, à la différence du second, particularisme exacerbé, au nom de la race.

L’extermination des Juifs et la liquidation des « koulaks » en tant que classe, quelque horribles qu’aient pu en être les formes, ne peuvent être assimilées l’une à l’autre. Et il ne suffit pas d’extraire quelques citations de Zinoviev et de Trotski mettant le terrorisme au service de la Révolution pour établir un pendant convaincant avec l’antisémitisme d’extermination de Hitler, tel que formulé dans son discours du 15 janvier 1939, si ce n’est déjà dans Mein Kampf.

L’assimilation du communisme et du national-socialisme est tentante. Cette thèse, développée par E. Nolte, soutient le livre noir du communisme de Stéphane Courtois mais cette « réductio ad hitlerum », pour parler comme Pierre-André Taguieff, repose sur l’idée que le XXe siècle, de 1917 à 1991, n’aurait été qu’une parenthèse. Elle ne rétablit le temps long de l’Histoire que pour affirmer avec François Furet une filiation directe entre le jacobinisme et le bolchevisme. La thèse d’Ernst Nolte omet de rappeler que la première guerre mondiale a commencé en 1914 et qu’elle conclut ce qu’on a appelé la « première mondialisation ». Cette thèse identifiant les deux totalitarismes est démentie par les conditions tout à fait inédites de l’effondrement du communisme. Celui-ci procède en effet d’une remise en question radicale de ses postulats de base par les dirigeants communistes eux-mêmes.

C’est le ralliement de Gorbatchev aux valeurs universelles et la fin du monopole accordé au PCUS qui ont entraîné la dissociation de l’Etat soviétique. Cette contradiction interne entre les objectifs et la réalité n’existait pas dans le national-socialisme qui se voulait une subversion complète des valeurs judéo-chrétiennes laïcisées qu’on appelle en France les valeurs républicaines et ailleurs les valeurs libérales. Il est vrai que ces deux appellations ne recouvrent pas tout à fait les mêmes réalités conceptuelles. La République, en France, comporte deux ailes : une aile au repos qu’on peut qualifier de libérale, celle qui considère la Révolution comme terminée, et une aile marchante, pour laquelle la Révolution garde une valeur d’annonciation. Ainsi Clemenceau, peu suspect de tendresse pour le bolchevisme, déclarait-il de la Révolution qu’elle était « un bloc » et de la République « une idée toujours neuve ».

Clemenceau se disait anti-collectiviste, mais se réclamait d’un socialisme individualiste, au moins dans la période qui va de 1871 à 1914. Longtemps rejeté du Panthéon de la gauche, tant que celle-ci n’avait pu connaître une expérience longue du pouvoir, en gros jusqu’en 1981, il est aujourd’hui en voie de réhabilitation, comme le montre le livre récent de Michel Winnock. Le combat des historiens est une forme raffinée de guerre civile. Le déroulement des évènements met en valeur tantôt l’une ou l’autre thèse. Après 1991, l’historien américain Francis Fukuyama a proclamé « la fin de l’Histoire » et le triomphe définitif du libéralisme. On a vu, avec l’autonomisation des pays émergents, à la fin de la décennie 1990, avec la crise américaine en 2000, le 11 septembre 2001, et avec l’invasion de l’Irak en 2003, débouchant sur « un clash de civilisations » et sur une crise profonde à la fois de la globalisation et de l’Hyperpuissance qui la soutient, que la thèse d’Huntington était plus opératoire que celle de Fukuyama.

Le retour de la Russie n’a rien à voir avec celui de l’URSS mais la Russie actuelle est loin de disqualifier entièrement l’héritage soviétique. A certains égards l’analyse de l’historien américain Moshe Lewin sur « le siècle soviétique » permet de séparer le bon grain de l’ivraie dans une histoire qui a duré quand même soixante-treize ans. Il y a une nostalgie de la social-démocratie d’Etat que Poutine cherche à satisfaire. Chaque pays dans son histoire a connu une période de violence révolutionnaire comme l’Angleterre au XVIIe siècle, la France au XVIIIe et XIXe siècles, et la Russie au XXe, ou contre-révolutionnaire comme l’Allemagne de 1933 à 1945, ou les deux comme l’Italie, du Risorgimento au fascisme.

*

L’idée d’égalité ne s’est pas imposée facilement dans l’Histoire humaine parce qu’elle est contraire à l’apparence. L’idée de différence est beaucoup plus accessible et potentiellement plus dangereuse. Si l’égalité des citoyens existait dans la cité grecque ou dans la République romaine, elle laissait de côté les métèques et les esclaves. C’est le christianisme qui a donné à l’idée de l’égalité cette force propulsive universelle qui existe aussi dans l’Islam, mais l’égalité des musulmans ne vaut que dans « l’Oumma » alors que c’est la Révolution française qui a laïcisé l’idée chrétienne en disposant que tous les Hommes, partout, naissent libres et égaux en droit.

Par définition, l’égalité est toujours à réaliser, même si on ne parle que de l’égalité en droit. Les conditions de départ n’étant pas les mêmes pour les uns et pour les autres, des mesures correctrices s’imposent même, s’il doit être établi que chacun doit pouvoir aller au bout de toutes ses capacités. C’est ce que j’avais appelé en 1984 « l’élitisme républicain », qui ne faisait au fond que reprendre le mot d’ordre de Paul Langevin s’agissant des missions de l’Ecole : « assurer la promotion de tous et la sélection des meilleurs ».

Cette conception de l’égalité s’oppose bien évidemment à l’égalitarisme niveleur et à l’idéologie de la communauté éducative dite pédagogiste qui voudrait empêcher les uns de progresser de manière à ne pas faire sentir aux autres leur retard. Cette conception de l’éducation n’a évidemment rien à voir avec l’idéal républicain des Lumières. Elle lui tourne le dos en proclamant plus désirable l’égalité dans l’obscurantisme que les lumières offertes à tous.

Je ne suis pas si loin de mon sujet qu’il apparaît : La Révolution française s’est heurtée dès le départ à une pensée contre-révolutionnaire organisée : Burke et Maistre. La Révolution française ne s’est pas arrêtée avec le triomphe des Républicains en 1877-1881. La conquête de la République sociale restait à réaliser. Tel était le sens de la synthèse jaurésienne, de l’« histoire socialiste de la Révolution française » et de sa définition du socialisme comme « la République accomplie jusqu’au bout ». La révolution d’octobre et l’Union soviétique ont éclipsé pendant le court XXe siècle la force de l’idée républicaine, telle que l’a décrite et illustrée Claude Nicolet. Celle-ci est cependant restée vivante dans la gauche socialiste et radicale et dans le gaullisme. C’est à partir du milieu des années 1970 que se développe la contre-offensive des idées dites libérales, mais en réalité contre-révolutionnaires – car elles allaient bien au-delà d’une critique du communisme et renouaient avec une critique beaucoup plus ancienne de la Révolution française. On ne peut abstraire ce moment idéologique de la victoire du courant néo-conservateur et libéral dans le monde anglo-saxon et de la « globalisation » subséquente. Soljenitsyne, François Furet, Ernst Nolte pour ne pas parler des pseudos « nouveaux philosophes » en France ou des publicistes néo-conservateurs aux Etats-Unis appartiennent à un moment idéologique aujourd’hui en voie de dépassement. Car l’Histoire continue. La globalisation financière est entrée en crise. Le programme de néo-conservatisme libéral comme retour à un monde d’avant 1914 que l’histoire n’aurait jamais dû quitter apparaît comme une illusion.

La seconde mondialisation, sous égide américaine, révèle sa fragilité. L’avènement d’un monde multipolaire, gros de tensions, semble inévitable. Dans ce contexte la lutte pour l’égalité entre puissances installées et puissances émergentes, élites mondialisées et couches populaires assignées au local n’a nullement perdu de son acuité. De nouveaux équilibres et de nouvelles règles du jeu doivent être trouvés.

Le XXe siècle a ébranlé en profondeur la domination de l’Occident sur le monde. Dans la fin des empires coloniaux européens et dans l’avènement du communisme en Chine, l’URSS a joué un rôle déterminant. Vu de ce qu’on appelait autrefois le Tiers-monde, notre court vingtième siècle ne s’est pas borné à l’affrontement de deux totalitarismes.

La victoire de l’URSS en 1945 a déplacé très sensiblement le rapport des forces sociales et politiques dans le monde entier. La classe ouvrière d’Europe occidentale en a d’ailleurs bénéficié, elle aussi, de 1945 à 1974 car elle a pu négocier le Welfare State grâce à la peur du communisme. Après le cycle du New-Deal, celui des trente glorieuses est venu un autre cycle, celui du néo conservatisme libéral et de la globalisation financière. Moins de vingt ans séparent la chute de Saïgon en 1975 et la chute de l’URSS en 1991. Mais il est probable que nous apercevons les prémices de la fin de ce cycle, dont la philosophie, à la différence du précédent, était et reste imprégnée de valeurs inégalitaires.

Au fond, c’est bien de l’égalité qu’il s’agit et des valeurs que l’Ecole a pour rôle de transmettre. Dans l’héritage de la Révolution française, la valeur d’égalité est centrale, même si elle ne doit pas être confondue avec ses déviations égalitaristes. Je ne souhaite pas pour ma part que la critique abusive de deux Révolutions injustement confondues, aboutisse à miner les croyances qui sous-tendent l’Ecole républicaine car on n’enseigne que ce à quoi on croit, comme l’a souligné avec force Hannah Arendt dans « Crise de la culture ». L’Histoire a certes toujours besoin d’être revisitée et je suis pour la liberté de la recherche dans ce domaine comme dans tous les autres, mais ce qu’on appelle révisionnisme au sens d’entreprise généralisée de remise en cause des valeurs nées de la Révolution française, doit trouver sa limite dans la résistance des valeurs républicaines que les enseignants, depuis Jules Ferry, ont la charge de faire vivre. De l’interprétation de l’Histoire depuis 1789 découle bien évidemment une conception de l’Ecole.

François Furet, Ernst Nolte ont certes nourri le débat d’idées au tournant des années quatre-vingt. Mais qui dit débat dit forcément contradiction. Ce ne serait pas servir l’Ecole de la République que d’étouffer cette contradiction motrice. Je suis sûr que l’IUFM de Franche-Comté saura replacer cette controverse dans le cadre d’une réflexion philosophique et historique approfondie avec le souci de demeurer fidèle aux valeurs que les Pères fondateurs de l’Ecole républicaine lui ont donné mission de transmettre.


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Annexes


I.
Je ne résiste pas au plaisir d’une citation :

(Préface au « Siècle de l’avènement républicain » - 1983 Gallimard)
François Furet et M. Ozouf, présentent une histoire de nos Républiques et concluent :

« Il arrive pourtant à nouveau qu’on use du mot République comme d’un mot-programme, d’un mot combat supposé réveiller et galvaniser les énergies. Se dire républicain, c’est alors bien plus que donner son assentiment au régime … C’est dans un monde hédoniste, individualiste, menacé d’engourdissement civique et de platitude, manifester son attachement à un modèle de participation politique et d’intégrité morale que diffusait l’Ecole des hussards noirs et faire fond à nouveau sur une pédagogie délibérément normative. C’est célébrer la communion sociale et poursuivre la critique du libéralisme si centrale dans la politique française ».

Il ajoute, il est vrai :

« C’est au moment où s’éteint la culture révolutionnaire, tenter d’en tisonner encore les centres. Car l’idée républicaine, autrefois considérée comme tout juste bonne à asseoir et à camoufler la domination bourgeoise, symbole même du passé à dépasser par l’idée socialiste paraît en préparer aujourd’hui l’avenir

Ironie de l’histoire …
Ignorance de l’Histoire, tant les valeurs invoquées s’alimentent à une représentation largement imaginaire de la IIIe République. On peut enfin douter des chances de succès d’une idée si visiblement défensive et substitutive. Mais dans ces textes neufs de l’idée républicaine, on retrouve toujours une vieille étoffe : l’idée de Révolution qui, même discréditée, même vaincue, continue de mettre sur l’idée républicaine en France une marque inimitable ».

Mes observations :
1. Qui disait la Révolution comme discréditée, vaincue ? F. Furet et M. Ozouf
2. Tous deux méconnaissent l’exigence républicaine, présente chez les Pères fondateurs même sous la Ve République avec le général de Ga ulle, présente chez Mendès-France et encore aujourd’hui chez d’autres.
3. Il est vrai que l’idée républicaine telle que je l’ai conçue correspondait dans les années soixante-dix à une stratégie gramscienne : gagner à la gauche du PCG (socialistes et communistes) les « autres » et d’abord les gaullistes. Puis au fil du temps elle est devenue une exigence opposée à l’opportunisme de la gauche, en ce sens seulement « défensive ».


II.

Alain Joxe montre que dans le peuple russe après 1991, adepte d’une stratégie à la Koutousof, il demeure une nostalgie de la social-démocratie d’Etat que lui assurait le régime soviétique et que Poutine va peu à peu et partiellement reconstituer grâce au rétablissement de l’économie à partir de l’an 2000.

Nostalgie aussi sans doute de la grandeur russe, et du respect que le monde éprouvait vis-à-vis de l’URSS. Poutine ne peut reconstituer la puissance de l’URSS encore moins l’URSS mais il peut refaire de la Russie une grande nation respectée et ayant retrouvé le sens de sa dignité.

En ce sens le peuple russe n’est pas dans la situation du peuple allemand qui doit annuler l’épisode national-socialiste, comme s’il n’avait pas existé. Le peuple russe peut « traiter » sa révolution, en faire une partie de sa mémoire, trier le bon grain de l’ivraie. Le PC de Russie reste la deuxième force politique avec 17 % des voix. Le peuple russe reste avec la Révolution d’Octobre dans un rapport beaucoup plus proche de la manière dont la France au XIXe siècle a traité la Révolution française.

Le socialisme a été une illusion, mais il a été aussi une réalité : sinon un raccourci du moins une méthode d’industrialisation, d’urbanisation, d’accès à la modernité (Raymond Aron – Charles Morazé).

L’idée d’un peuple tirant de ses propres forces la capacité de transformer sa société au prix de souffrances inhumaines mais qui se sépare de son régime non pas sans douleur car la décennie Eltsine sera terrible mais presque sans effusion de sang (si on excepte l’affaire tchétchène).

Vers la réconciliation des deux grands peuples européens que sont le peuple allemand et le peuple russe, réconciliation qui ne peut se faire en renvoyant dos à dos l’utopie communiste et la folie de conquête et de domination, au nom de la race, du national-socialisme. Cette réconciliation ne peut se faire, selon moi, que sur une base socialiste ou social-démocrate (critique de la révolution bolchevique comme aventuriste, méconnaissant la réalité du sous-développement économique et social de la Russie mais rejet absolu du national-socialisme (ce qui ne signifie pas du peuple allemand).


III.

Il y a quelque chose d’émouvant chez Ernst Nolte et à certains égards de bien compréhensible, la souffrance que peut éprouver un Allemand à devoir supporter l’assimilation de l’Allemagne au national-socialisme.

Sans doute une partie des forces politiques allemandes peut-être exonérée des crimes du nazisme : les partis de gauche et même le Zentrum .

Mais la droite dite nationale, en fait nationaliste, même si elle a, sur la fin, répudié le nazisme (Stauffenberg) porte comme une tunique de Nessus d’avoir appelé Hitler au pouvoir.

Quand au peuple allemand, ses vertus même ont été détournées au service du mal, ce qui l’interpelle encore aujourd’hui sur les valeurs dont il se sent, et à juste titre, historiquement porteur.

L’enracinement du national-socialisme dans l’Histoire allemande n’est sans doute pas le déterminant unique du national-socialisme mais il en est le principal :
-Idéologie völkisch
-Antisémitisme
-Pangermanisme

Ajoutons que la guerre de 1914-1918 a agi comme facteur de « brutalisation » (George Mosse)

Mais le peuple allemand ne saurait être identifié au national-socialisme.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mercredi 4 Juin 2008 à 14:02 | Lu 11927 fois



1.Posté par BA le 04/06/2008 14:17
En juin 1981, Mona Ozouf écrit un texte contre le jacobinisme : « Jacobin : fortune et infortunes d’un mot. » Elle oppose deux gauches :

- la gauche jacobine : en juin 1981, la gauche jacobine commence à refluer dans les crânes. La gauche jacobine commence son déclin. Elle est de moins en moins à la mode.

- la gauche anti-jacobine : en juin 1981, la gauche anti-jacobine commence à se redresser, comme l’herbe longtemps foulée sous le talon. La gauche anti-jacobine commence à régner dans de plus en plus de crânes. Elle est de plus en plus à la mode.

Ce texte de Mona Ozouf est très important. En juin 1981, Mona Ozouf est heureuse. Elle fait partie de la gauche anti-jacobine. Elle sent que le vent tourne. Elle sent que ses idées commencent à triompher. Elle sent que ses adversaires de la gauche jacobine commencent à devenir minoritaires. Je recopie la conclusion de son texte :

« Tout aujourd’hui paraît refluer à la fois : la conjoncture de salut public s’éloigne et s’oublie, la foi dans la nouvelle nation pilote, dans l’Etat qui a repris en main le projet jacobin de l’entière maîtrise du social s’est tout à fait retirée. Recule enfin la croyance dans les compétences illimitées et la bienfaisance absolue de l’Etat central.

Ce que découvre cette marée basse, c’est ce que nous avions oublié : la Terreur, d’abord, de nouveau bien voyante, impossible à habiller décemment de l’argument des circonstances, et la violente antinomie des moyens et des fins. Mais aussi la mauvaise pente de l’histoire française, l’habitude de la subordination, le consentement à la réglementation despotique caché dans le désir d’homogénéité, la fascination du Pouvoir majuscule qu’on avoue encore en fulminant à tout va contre lui. La discussion du jacobinisme, du même coup, passe à nouveau, comme au siècle passé, au milieu de la gauche.

Une tradition de gauche un peu oubliée, encore timide, est en train de se redresser comme l’herbe longtemps foulée sous le talon. Elle redécouvre les aspirations régionales et l’immense réserve de la société par rapport à l’Etat. Elle n’est plus prête à troquer les libertés formelles contre les libertés réelles. Elle s’aperçoit qu’elle peut récuser son identification au jacobinisme en maintenant sa fidélité à l’esprit de la Révolution française. On va pouvoir à nouveau à gauche, et c’est un signe, plaider pour ou contre les Jacobins. Saluons la réouverture d’un débat. »

Le Débat, n° 13, juin 1981.

Aujourd’hui, 27 ans après, la gauche anti-jacobine domine de façon écrasante la gauche française. Par exemple, la gauche anti-jacobine a voté OUI au traité de Maastricht en 1992. La gauche anti-jacobine a voté OUI à la Constitution Européenne en 2005. Le 7 février 2008, à l’Assemblée Nationale, 121 députés du Parti Socialiste ont voté OUI au traité de Lisbonne.

Et en face ?

Aujourd’hui, 27 ans après, la gauche jacobine est ultra-minoritaire dans la gauche française.

Par exemple, la gauche jacobine a voté NON au traité de Maastricht en 1992. La gauche jacobine a voté NON à la Constitution Européenne en 2005. Le 7 février 2008, à l’Assemblée Nationale, seulement 25 députés du Parti Socialiste ont voté NON au traité de Lisbonne.

Trois questions doivent donc être posées à Mona Ozouf :

1- 27 ans après, quel est le bilan de cette évolution pour la France ?

2- 27 ans après, quel est le bilan de cette évolution pour les Français ?

3- 27 ans après, quel est le bilan de cette évolution pour la gauche ?

A mon humble avis, le bilan est catastrophique dans les trois cas.

2.Posté par BA le 10/06/2008 07:00
En France, en 2008, l'aristocratie a le pouvoir.

En Europe, en 2008, l'aristocratie a le pouvoir.

Un exemple d'aristocrate : Bernard Kouchner.

Bernard Kouchner menace les Irlandais : en cas de victoire du NON, les Irlandais devront revoter !

Lundi 9 juin, sur RTL, Bernard Kouchner a menacé les Irlandais :

Les Irlandais doivent absolument voter OUI « pour développer leur commerce, leurs industries florissantes depuis qu'ils sont au cœur de l'Europe ; il faut que l'Europe se développe, qu'elle aille dans le sens du traité de Lisbonne", a-t-il fait valoir, assurant que "l'espoir" à propos de ce référendum pourrait faire place à "une gigantesque incompréhension" si le "non" l'emportait.

Dans ce cas, le traité ne pourrait "théoriquement" pas être appliqué. La France, à la présidence de l'Union Européenne de juillet à décembre, devrait "continuer, s'acharner" sur les "priorités" définies dans ce cadre, et la France devrait "tenter de convaincre les Irlandais" de "remettre ce traité sur le métier", a expliqué le ministre.

Mais à Paris, certaines inquiétudes commencent à poindre plus franchement. "En cas d'échec, on est dans la merde la plus totale. Ca va mettre par terre la présidence française" qui commence dans trois semaines, s'alarme en privé un proche du chef de l'Etat. »

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/20080609.OBS7711/ue__bernard_kouchner_met_en_garde_les_irlandais.html

3.Posté par Lilian le 10/06/2008 20:56
Le pire, Monsieur Chevènement, est la réapproation par le NSDAP des termes "national" et "socialiste" entraînant aujourd'hui des accusations à votre égard précisément. Des fausses équations du style "nationalisme"+"socialisme=national-socialisme=Hitler... Le sophisme fait toujours recette sur les sites de la petite gauche romantique et nihiliste...

Nous savons qu'il ne pouvait être question de "socialisme nationaliste" justifié par le poids du traité de Versailles et la rage des Allemands contre leur propre bourgeoisie dès l'instant où l'idéologie hitlérienne mariait pensée païenne et "darwinisme" racial purement délirant.

L'histoire du NSDAP est plus qu'instructive d'ailleurs, puisque certains idéologues de la première heure subiront les foudres d'Hitler lors de la nuit des longs couteaux, conduisant un des frères Strasser à rentrer en résistance contre Hitler après l'assassinat de son frère... Eux étaient ce qu'on n'appelait d'ailleurs des "nationaux bolchéviques".

Si les conditions sociales ne sont plus les mêmes qu'à l'époque du Traité de Versailles, on peut néanmoins considérer que le Traité de Maastricht imposée par la gauche anti-jacobine à la France elle-même exacerbe des réactions de colère dont le personnage sulfureux et controversé Alain Soral est le plus bel exemple... Une certaine "dialectique hégélienne" combattante l'amène à hystériser une résistance catholica-jacobino-marxisto-nationaliste (jouant également la carte de l'axe catholico-musulman contre l'axe "protestant-sioniste" anti-thèse totale géostratégique, religieuse et économique) contre les représentants de cette gauche anti-jacobine, au point, ô curieuse surprise, de rejoindre les héritiers de la droite chouanne bretonne (parallèle avec P-M Couteaux rejoignant un chouan vendéen) désormais tenus de rétablir le jacobinisme dans son rôle par la droite gaulloise extrême... Chose assez curieuse que l'image d'un Lepen lisant à Valmy un discours de Soral venu du PCF. Soral ne décolérant pas de voir la machine médiatique maintenir toute la résistance jacobine sous la ligne de flottaison médiatique, pense que rejoindre les milieux populaires passés du PCF au FN est la seule stratégie de poids. NDA est quasi interdit d'antenne sur TF1 et écarté du Figaro... Son discrédit ressemble au votre il y a dix ans... C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, il me semble que la réhabilitation d'une approche jacobine ne pourra passer que par un axe transidéologique "centriste", une sorte de modem républicain travaillant dans la durée. Vous me direz, "on l'a déjà fait"... Mais je crois que le candidat NDA, de la génération des quadras, a à terme plus de chance de ramener à lui une partie de la jeunesse de gauche désabusée qui se sent littéralement trahie par l'appareil du PS, des Verts et une gauche radicale passée du PCF au boy-scout belle-âme Besancenot...

Tout espoir de réhabiliter les tendances jacobines dans chaque parti prendra un temps désespérément trop long et pourrait très bien conduire à terme à une hystérisation de la rage populaire voyant Marine Lepen reproduire le scénario des présidentielles où Jospin fut évincé dès le premier tour... Or nous savons que cette situation serait diplomatiquement catastrophique pour la France, non pas tant parce que Marine Lepen reproduit exactement le discours de son père (c'est un peu court), mais parce que son nom en assume bon gré mal gré l'héritage et celui de ses dérapages. J'ignore si le risque est exagéré, mais il est latent et existant ! Et il ne suffirait plus alors à d'illustres chrétins notoires comme BHL de donner le coup de grâce en disant que précisément c'était bien ça "le national républicanisme" qu'il combattait chez vous, Debray, NDA, Seguin, Mélenchon et j'en passe... Dès c'est instant, c'est foutu et on repart pour dix ans de galère...

Sans doute sommes-nous les héritiers de l'esprit jacobin, mais sommes-nous les héritiers de leurs pratiques. Ne serions-nous pas amenés en cas d'emballement réellement révolutionnaire en France à nous profiler comme des modérés girondins faisant face à une phase de tyrannie malheureuse, mais inévitable ? Démocratie-anarchie-tyrannie. Tel était l'axiome platonicien qui restait dans la tête de Kojève et d'Aron pour dénoncer les dérives des soixante-huitards à l'époque où un général d'un esprit à proprement "révolutionnaire jacobin" était à la tête de l'Etat français. Nous savons que nous subissons une phase de tyrannie financière molle et une reconstruction purement conservatrice de l'Europe, ce qu'il y a lieu d'appeler un bolchévisme du marché (une contre-révolution permanente à l'oeuvre depuis 73, libéral-libératrienne dans son essence économique et anti-démocratique, anti-libéral dans son essence politique, le terme libéral émergeant en Espagne sous Napoléon, donc post-révolutionnaire) ayant démultiplié la puissance oligarchique, quasi aristocratique au sens économique et décadent du terme.. phénomène de rente électorale, politique, rente contestataire d'une extrême-gauche trotsko-libertaire anti-jacobine ne pouvant déboucher sur rien de concret.

J'appuie NDA, Monsieur Chevènement, car je suis de la génération qui a raté le train chevènementiste (je n'avais que vingt ans au moment du Traité de Maastricht) et je pense en tant que fils de syndicaliste que la petite bourgeoisie en révolte, la classe moyenne des entrepreneurs, des indépendants, des enseignants, des artisans doit tirer la classe populaire. Or ceci ne pourra se faire que par un dissident gaulliste... Toute tentative visant à espérer un pôle de gauche reconstruit sur les valeurs jacobines (sous-jacentes ou affirmées) ne pourra une nouvelle fois pousser ces milieux petits-bourgeois ne souffrant pas moins des conséquences de l'Europe de Maastricht que vers la première droite anti-jacobine qui la dupe depuis tout aussi longtemps que la deuxième gauche anti-jacobine post-68. En somme, on pourrait donner raison à Marx, quand il disait que la classe bourgeoise est la seule classe authentiquement rébolutionnaire... Mieux vaut une classe moyenne déconfite qui tire les milieux populaires vers NDA ou une DLR auquel une partie de la gauche républicaine s'est ralliée, qu'une partie de la classe populaire se précipitant vers Marine Lepen... La dynamique est lancée dans le Pas-de-Calais et pourrait faire tâche d'huile !

Ce pôle républicain doit se maintenir hors champ des partis traditionnels, à mi-chemin entre PS et UMP, un modem républicain, et espérer le soutien de poids d'intellectuels. Une partie de la génération des jeunes trentenaires sera bien plus réceptive aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a dix ou quinze ans au moment où gauche et droite anti-jacobine étaient en pleine ascension. Aujourd'hui, l'illusion de la gauche et de la droite européiste bigote ne tient plus, le miroir aux alouettes se fendille de toute part...

C'EST LE MOMENT de refaire ce qui a été tenté par vous à une époque... Je préfère à terme vous voir en conseiller d'un petit prince NDA que d'espérer quoi que ce soit de la part de la tendance DSK-Delors et consorts...





4.Posté par Pascal OLIVIER le 11/06/2008 00:48
“C'est le christianisme qui a donné à l'idée de l'égalité cette force propulsive universelle qui existe aussi dans l'Islam, mais l'égalité des musulmans ne vaut que dans « l'Oumma » alors que c'est la Révolution française qui a laïcisé l'idée chrétienne en disposant que tous les Hommes, partout, naissent libres et égaux en droit.”
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L’égalité des musulmans qui ne vaut que dans “l’Oumma”, la communauté des croyants (musulmans), “la matrie” en traduction littérale, est un euphémisme pour cette “société de castes avortée” qu’est l’islam, inégalitaire à souhait.
Toutes les hiérarchies sont codifiées, maîtres-esclaves, hommes-femmes, croyants-non croyants, croyants-”gens du livre”, “gens du livre”-musulmans.

La tentative des chrétiens d’Orient pour devenir des citoyens à part entière a échoué, la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme turco-ottoman puis occidental, la promotion de l’arabité, des partis laïques et progressistes panarabes, socialistes et communistes dont ils sont largement à l’origine n’a pas produit l’effet escompté. Elle leur a tout de même permis déchapper pendant quelques décennies au funeste sort des communautés chrétiennes d’Asie mineure, arménienne, grecque pontique, syriaque et assyro-chaldéeenne dont la destruction fut totale.

Le système du “millet” ou de la “taïfa” c’est exactement l’inverse de la proclamation de Clermont-Tonnerre, les droits, devoirs et interdits de chacun sont fonction de la communauté à laquelle on appartient. Il n’y avait guère que trois pays, le Liban, la Syrie et L’Irak, où les non mahométans n’avaient pas interdiction d’enseigner leur propre langue l’arabe. Je ne sais pas ce qu’est devenu aujourd’hui ce “sauf-conduit” en Irak.

La fin de 73 ans de communisme et de 150 ans d’exportation de la Révolution française annonce une régression, la perte des progrès initiés par la “Nahda”. C’est la notion d’islamité qui remplace peu à peu celle d’arabité, cette dernière supposait une communauté de destin entre chrétiens et musulmans, la notion d’islamité suppose l’éviction des chrétiens. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Mésopotamie et de façon plus feutré en Palestine, en Egypte c’est la recrudescence de pogroms contre les coptes. L’avènement de l’Empire américain a contribué et contribue à cette régression non seulement à cause de son aventurisme militaire, de ses choix géopolitiques de soutien à l’islam contre la Russie ou jadis contre les progressistes arabe mais également par la proximité de son système socio-politique avec celui de l’islam, ferveur religieuse plus communautarisme en principe égalitaire pour les USA et ferveur religieuse et pluralisme confessionnel hiérarchisé pour l’islam.

5.Posté par Alceste le 17/06/2008 20:27
Totalitarisme = mosaïsme (ou platonico-mosaïsme, pour être préçis).

Tout y est depuis bien longtemps : égalitarisme interne et suprématisme du groupe vis-à-vis de ceux qui n'en sont pas, conspirationnisme radical, progressisme/messianisme/apocalypticisme, déculturation/iconoclasme, visée héménogique, etc.

La Révolution (contre le monde) - qu'il s'agisse des avatars juif, chrétien, islamique, jacobin, communiste, nazi, droits-de-l'hommo-tiers-mondiste..., marques d'adaptations contingentes du fond totalitaire qui avance - c'est ça.

6.Posté par Tietie007 le 07/07/2009 07:41
Du point de vue du discours et du programme, bolchevisme et nazisme sont opposés, l'un état universaliste, l'autre étant l'hypertrophie d'un particularisme ethnique.
Mais d'un point de vue structuraliste ou fonctionnaliste, les deux régimes fonctionnaient de la même manière, avec parti unique, politice politique, censure, propagande, camp de concentration, etc ...
La conclusion serait que l'organisation du pouvoir, c'est à dire la définition claire des rapports de pouvoir entre les différents acteurs poltique d'un pays, reste plus importante que les discours. Les premiers sont , en général, pérennes, les seconds sont changeants ...

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