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La France doit-elle revenir dans l'Otan ?


Entretien de Jean-Pierre Chevènement avec Pierre Lelouche, propos recueillis par Patrice de Méritens, Le Figaro Magazine, samedi 12 avril 2008.


« C'est l'arrêt de l'antiaméricanisme comme carte de visite de la France », observe Pierre Lellouche. « Mais il faut d'abord être indépendant pour se faire respecter », lui répond Jean-Pierre Chevènement.

Le Figaro Magazine - La présence renforcée de la France en Afghanistan ne constitue-t-elle pas un signal fort pour un retour accéléré au sein de l'Otan en 2009 ?

Pierre Lellouche -
Si de Gaulle nous a fait sortir en 1966 du commandement intégré, c'était pour éviter de voir la France entraînée dans des situations d'escalade de guerre nucléaire que nous n'aurions pas pu contrôler, ou de conflits - comme le Vietnam, par exemple - que nous n'aurions pas souhaités. Cela dit, la France est toujours demeurée membre de l'Alliance. Depuis, le monde a changé, le mur de Berlin est tombé, et l'Alliance est désormais le plus souvent utilisée comme bras armé de l'ONU, des Balkans à l'Afghanistan. Nous réintégrons donc une autre alliance dans une configuration stratégique différente. Le premier sens à donner à ce geste est symbolique : l'arrêt de l'antiaméricanisme comme carte de visite de la France. Mais au-delà, l'ambition du président de la République est d'imaginer une alliance équilibrée entre deux pôles, l'un américano-canadien, l'autre le pôle européen de la défense. Or, l'Histoire du demi-siècle écoulé montre que nous ne réussirons pas, nous Français, à impulser une défense européenne digne de ce nom contre les Etats-Unis. Elle ne peut se faire qu'en complémentarité. La nouveauté de Bucarest a été de l'affirmer tant du côté français et européen qu'américain. A Nicolas Sarkozy d'impulser cette dynamique lors de sa présidence de l'Europe. Si les deux conditions sont réunies : défense européenne d'un côté, signal fort des Américains de la part du successeur de George Bush, alors le donnant-donnant se réalisera au prochain sommet de l'Alliance, en 2009. Les intentions sont là. Cela étant, je le dis avec prudence...

Jean-Pierre Chevènement - Et vous faites bien car, compte tenu du texte du traité de Lisbonne, on se demande ce qui peut rester de la défense européenne étroitement asservie à l'Otan : une alouette, un cheval ! A la limite, l'Otan voudra bien sous-traiter à une pseudo-défense européenne quelques obscures missions de maintien de la paix en Iturie, au nord-est de la République démocratique du Congo, ou bien encore au Kosovo, tandis qu'on nous demandera de renforcer nos effectifs en Afghanistan pour soulager les Américains concentrés ailleurs, sur l'Irak aujourd'hui, sur l'Iran demain. Enlisement garanti.

Nous ne sommes plus à l'époque de la guerre froide. Les menaces ont changé : elles ne sont plus principalement militaires mais démographiques et économiques. Nous entrons dans un monde multipolaire avec la montée fulgurante de la Chine, de l'Inde, du Brésil, des puissances nouvelles comme l'Iran, l'Afrique du Sud, sans oublier le retour de la Russie. Nous ne sommes pas à la fin de l'Histoire. N'oublions jamais que la défense doit servir avant tout à protéger nos intérêts nationaux. Or nous ne devons pas nous laisser entraîner dans des guerres qui ne sont pas les nôtres, à la remorque d'une hyper-puissance américaine qui cherche des supplétifs pour essayer de maintenir une domination mondiale dont elle n'a plus les moyens, au Moyen-Orient et en Asie centrale par exemple, pour contrôler les ressources énergétiques, ou en Ukraine pour refouler la Russie. D'où ces élargissements à l'est dans lesquels l'intérêt de la France ne trouve nullement son compte. La Russie est un grand pays européen, nous aurions plutôt intérêt à la détacher de l'Asie plutôt que d'aller la chercher à Sébastopol... Que le sommet de l'Otan à Bucarest ait confié aux ministres des Affaires étrangères le soin de se prononcer sur l'extension de l'Otan à la Géorgie et surtout à l'Ukraine, à la fin de l'année, me paraît très inquiétant.

Pierre Lellouche - Un mot sur ce dernier point : l'Ukraine n'est pas prête aujourd'hui à entrer dans l'Otan parce que son opinion publique est très divisée, au contraire de celle de la Géorgie, tout à fait favorable à l'Alliance. Malheureusement, à Bucarest, nous avons donné aux Russes un signal équivalant à une sorte d'autorisation de veto préventif sur ces deux pays, alors qu'il faut précisément les laisser décider de leur avenir...

Mais j'en viens aux rapports avec les Etats-Unis. Il est évident que si l'Alliance atlantique ne devait servir que de supplétif au messianisme botté d'un George Bush, il y aurait problème. Mais si l'on pense au contraire que nous allons vers un monde plus complexe, où l'Amérique comprend qu'elle ne contrôle plus le jeu toute seule - l'Irak en a administré la preuve -, qu'elle aura besoin d'alliés, alors elle traitera d'égal à égal, et les décisions seront prises en commun. Bush termine son second mandat sur cette note. Reste à savoir si son successeur continuera. Compte tenu du traité de Lisbonne, vous estimez qu'il est impossible que l'Europe ait un quelconque poids, mais en l'occurrence, le problème est moins ledit traité que les budgets de défense. Les 28 pèsent à eux tous moins de 40 % du budget américain. Que Nicolas Sarkozy ait - peut-être un peu rapidement - annoncé l'éventuelle réintégration de la France au sein de l'Otan est sans doute une bonne chose, mais il serait encore mieux d'impulser une série d'initiatives fédératrices durant la présidence française, comme par exemple un critère de convergence de dépenses militaires autour de deux points du PIB. Si certains dépensent 0,8 % et d'autres plus de 2 % à l'intérieur de la même zone économique et monétaire, le jeu n'est évidemment pas égal. Nous avons six puissances majeures au sein de l'Union. Mettre 10 000 hommes pour chacune, en vue d'aboutir à une mini-armée européenne de 60 000 hommes disponibles en cas de crise, ne serait pas le bout du monde pour un continent qui compte 450 millions d'habitants. Il faut également une politique commune en matière d'industries d'armements et de défense antimissile, plutôt que de laisser les Américains dominer ce débat... Si d'un côté l'Europe a du poids et que l'Amérique est capable d'écouter, alors cette alliance aura du sens.

Jean-Pierre Chevènement - L'expérience montre qu'il faut d'abord être indépendant pour se faire respecter. Il ne faut pas être naïf. M. Sarkozy a déclaré : plus on est amis avec les Etats-Unis, plus on est indépendants.

Pierre Lellouche - Je dirai pour ma part que plus on est amis, plus on peut peser sur eux ! Si tel est le cas, alors la France sera plus forte.

Jean-Pierre Chevènement - L'Europe de la défense ne sera jamais qu'un petit appendice de la défense américaine dans le cadre de l'Otan.

Pierre Lellouche - Forcément, vous êtes antieuropéen ! On attend toujours votre « plan B » !

Jean-Pierre Chevènement - Contrairement à ce que vous pensez, j'ai fait beaucoup d'efforts pour donner un contenu à l'identité européenne de défense, en créant notamment la brigade franco-allemande à la fin des années 80. Mais ni l'Allemagne ni la Grande-Bretagne ne veulent d'une défense européenne indépendante qui permettrait à l'Europe d'exister dans le monde multipolaire de demain. La France ne pourra pas conserver une voix audible à travers une défense européenne confinée à des tâches de sous-traitance. La défense est faite pour soutenir la diplomatie ! Une défense complètement intégrée à celle de l'Amérique sonnerait le glas de notre indépendance, de notre influence, de notre capacité de médiation. Il est de l'intérêt de la France et du monde qu'au sein de l'Occident on n'entende pas que la seule voix des Etats-Unis. Qu'il puisse y avoir un avis modéré, sensé, comme cela fut le cas durant la guerre du Vietnam, ou au moment de l'invasion de l'Irak. Que, sur le Proche-Orient, la France puisse favoriser de manière originale une solution de paix qui n'a que trop tardé. Le virage atlantiste de Nicolas Sarkozy m'apparaît donc comme lourd de dangers.

Pierre Lellouche - Je réfute l'idée d'un partage manichéen de la France en deux camps, d'un côté les antieuropéens soi-disant partisans de l'indépendance nationale, de l'autre les « mauvais Français », prêts à brader notre liberté pour s'aligner derrière les Allemands ou les Américains. Notre outil de défense est au service d'abord de la sécurité des Français ; l'Europe comme l'Alliance sont dans notre intérêt national.

Jean-Pierre Chevènement - Eh bien, là-dessus, d'accord ! Il faut que l'intérêt national gouverne tout cela.


Rédigé par Chevenement.fr le Vendredi 11 Avril 2008 à 17:27 | Lu 5467 fois



1.Posté par helene le 11/04/2008 18:27
Elle est bien bonne :

"Pierre Lellouche -
Si de Gaulle nous a fait sortir en 1966 du commandement intégré, c'était pour éviter de voir la France entraînée dans des situations d'escalade de guerre nucléaire que nous n'aurions pas pu contrôler,
ou de conflits - comme le Vietnam, par exemple - que nous n'aurions pas souhaités."

>> J'en déduis donc que Nicolas Sarkozy nous y fait entrer parce qu'il souhaite soutenir d'office les conflits que les Etats Unis choisiront d'avoir ...

2.Posté par Instit le 11/04/2008 19:13
Pierre Lellouche : " Notre outil de défense est au service d'abord de la sécurité des Français ; l'Europe comme l'Alliance sont dans notre intérêt national. "

L'alliance Atlantique est dans notre intérêt national ?

Envahir l'Irak, c'est notre intérêt national ?

Occuper l'Afghanistan, c'est notre intérêt national ?

Demain, attaquer l'Iran, ce sera notre intérêt national ?

3.Posté par Instit le 11/04/2008 19:23
Extrait de la page « PIERRE LELLOUCHE » sur Wikipedia :

« Pierre Lellouche est membre de plusieurs groupes d'études internationaux visant au renforcement du lien transatlantique et à éclairer les grands mouvements qui animent les relations internationales. Il est notamment membre du comité de direction de Nuclear Threat Initiative, vice-président (France) de l'Atlantic Partnership, membre de la commission Trilatérale et de l'International Institute for Strategic Studies.

Pierre Lellouche préside le Groupe d’Etudes sur l’Industrie d’armement ainsi que la Délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. En novembre 2004, il est élu président de l’Assemblée parlementaire de l'OTAN.

Atlantiste et pro-américain, très marqué par les attentats du 11 septembre 2001, Pierre Lellouche apporte son soutien en 2003 à la politique de guerre préventive en Irak menée par le gouvernement des États-Unis d'Amérique du président George W Bush bien qu'il ait préféré que « les États-Unis terminent ce qu’ils ont amorcé en Afghanistan ».

Ce faisant, il conteste alors la position, qu'il juge anti-américaine, du président de la république française Jacques Chirac et de son ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin qui s'opposent à toute action militaire en Irak avant que les inspections onusiennes aient démontré la persistance de l'existence d'armes de destruction massives dans ce pays.

Si Jacques Chirac est soutenu par la majorité de la classe politique et de l'opinion publique française, plusieurs personnalités françaises partagent le point de vue de Pierre Lellouche, notamment les hommes politiques Alain Madelin et Bernard Kouchner, les intellectuels André Glucksmann, Alexandre Adler ou Pascal Bruckner, les professeurs d'universités Yves Roucaute , Guy Millière ou Jean-Claude Casanova, le chercheur Dominique Moïsi, des écrivains comme Romain Goupil. »



4.Posté par helene le 11/04/2008 19:57
http://www.lemonde.fr/elections-americaines/article/2008/04/09/barack-obama-propose-d-associer-teheran-a-un-reglement-en-irak_1032513_829254.html#ens_id=1021802%20Barack%20Obama%20propose%20d'associer%20Téhé

Barack Obama propose d'associer Téhéran à un règlement en Irak
LE MONDE | 09.04.08 | 09h39 • Mis à jour le 09.04.08 | 11h53
New York Correspondant

« ... Des trois, indiscutablement, M. Obama est celui qui a le plus surpris l'opinion.

Rebondissant sur l'appel du républicain George Voinovich à "renforcer" l'activité diplomatique américaine en direction du monde arabe, afin de parvenir à quitter au plus tôt l'Irak,
le sénateur de l'Illinois a proposé d'y associer aussi Téhéran.

"Sans un effort diplomatique incluant l'Iran, aucune stabilisation ne sera possible en Irak",
quels que soient les moyens dont se dotent les Etats-Unis, a-t-il dit. »

C'est pas beau cela ?

5.Posté par jo le 13/04/2008 20:35
-Concernant la dernière remarque de Lellouche, je voudrais simplement faire remarquer que le seul « partage manichéen » n’est pas celui qu’il nous présente , mais celui de ses amis, tel qu’il a été exposé par le Premier Ministre lors du « débat » sur l’Afghanistan : d’un côté, les lucides- intelligents- bons Français… , de l’autre « les antiaméricains primaires ». Dont acte.

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