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"L’'Allemagne n'est pas encore mûre pour une réorientation de la construction européenne"


Entretien de Jean-Pierre Chevènement à l'Hémicyle, le mardi 3 décembre 2013. Propos recueillis par Thomas Renou.


"L’'Allemagne n'est pas encore mûre pour une réorientation de la construction européenne"
L'Hémicyle : Déniez-vous le fait que le « besoin » d’Europe est une réaction à la Première Guerre mondiale ?
Jean-Pierre Chevènement : Les immenses souffrances endurées pendant cette guerre sont à l’origine d’un « besoin d’Europe », qu’avait exprimé Romain Rolland dès 1914. Sa revue, fondée en 1920, s’appelle d’ailleurs Europe. Il résulte de l’incompréhension des peuples quant aux tenants et aux aboutissants de cette guerre un besoin de dépassement, mais certainement pas parce ce conflit aurait été décidé par les nations – aucune nation ne voulait réellement la guerre. En réalité, la Première Guerre mondiale fut une guerre préventive, bêtement déclenchée par les cercles des classes dirigeantes de l’Allemagne de Guillaume II – je dis « bêtement » parce que l’Allemagne n’avait aucun intérêt à la déclencher, c’était une puissance industrielle alors extraordinairement dynamique. Cette guerre dont les causes profondes sont à rechercher dans la modification de l’équilibre des puissances induit par la première mondialisation, celle d’avant 1914, a été déclenchée par un petit groupe de décideurs, pas par les peuples, qui ne doivent pas être mis en accusation. Ce « besoin d’Europe » a été fourvoyé dans la construction d’une Europe économiciste, technocratique et inféodée. Économiciste, parce que l’on a prétendu construire l’Europe en choisissant pour base le marché ; technocratique, parce que l’on a d’emblée confié le monopole de la proposition à une Haute Autorité devenue la Commission européenne ; inféodée, parce que les deux guerres ont fait passer l’hégémonie d’un côté à l’autre de l’océan Atlantique et que l’Europe s’est faite sous tutelle américaine, à l’ombre de la guerre froide. Cette transition s’est faite lentement : en 1919-1920, les États-Unis refusent de ratifier le traité de Versailles, et ne donnent pas à la France la garantie que Wilson avait promise à Clemenceau, ils se retirent dans leur isolationnisme prudent. Les conditions de la Seconde Guerre mondiale sont créées par le fait que l’équilibre de Versailles dépendait de cette garantie américaine, et cette garantie va manquer. Encore aujourd’hui, on accrédite la thèse de Hitler, selon laquelle cette Seconde Guerre mondiale est une conséquence du traité de Versailles alors que les élites allemandes ont, en fait, tout simplement refusé la défaite de 1918.

Selon Joschka Fisher, le traité de Versailles n’était pas trop dur, il était trop doux.
L’armistice de 1918 avait été sollicité en fait par l’état-major, par le biais du dernier gouvernement de l’Allemagne impériale, le gouvernement de Max de Bade, qui considérait qu’une trêve sur la base des 14 points de Wilson, donnerait à l’Allemagne le temps de respirer, de se refaire et finalement de se reprendre. Ces élites allemandes, c’est l’alliance des junkers de l’aristocratie militaire et des industriels de la Ruhr de l’Allemagne de l’Ouest, ils refusent la défaite mais demandent une trêve.

Les nazis étaient-ils les seuls à critiquer le traité de Versailles ?
Non, mais ils ne seraient pas arrivés au pouvoir sans la crise économique des années 1930. Ils vont opérer une surenchère sur les résultats de la Première Guerre mondiale. C’est de ce point de vue que l’on peut dire que la Seconde Guerre mondiale est la continuation de la première. Adolf Hitler va reprendre de nombreux thèmes que l’on peut retrouver dans la littérature pangermaniste d’avant 1914 : la conquête d’un empire colonial à l’Est de l’Europe, jusqu’à la mer Noire, refoulant très loin les Slaves. Mais l’hitlérisme est ainsi une rupture fondamentale dans l’histoire allemande. C’est l’avènement d’un parti totalitaire et la fin de la démocratie. Les dirigeants de 1914 étaient-ils conscients de déclencher une guerre mondiale ? Non, ils ne pouvaient s’imaginer l’horreur d’une guerre de quatre ans et demi, une guerre qui a causé la mort de 11 000 000 de personnes. On ne doit pas incriminer le peuple allemand, même s’il s’est laissé très facilement convaincre que la guerre était nécessaire.

« Le nationalisme, c’est la guerre », disait François Mitterrand. Vous voulez remettre ces nations au centre du jeu, pour reconstruire « une volonté politique européenne »…
Il faut distinguer la nation et le nationalisme. La nation, c’est le cadre de la démocratie et de la solidarité. Le nationalisme, c’est une maladie de la nation. C’est une volonté d’expansion nourrie par des frustrations diverses. Ce sont des dirigeants inconscients et non les nations qui ont déclenché la Première Guerre mondiale. Cela doit nous servir de leçon : des guerres préventives bêtement déclenchées par des dirigeants inconscients, cela existe encore, comme l’illustre celle de George Bush en Irak. Le résultat fut le contraire de celui qu’il recherchait : il a donné à l’Iran l’ascendant sur le Moyen-Orient.

Les Allemands pensent-ils comme vous, eux qui, constatant l’échec d’une politique nationaliste, se sont tournés vers l’Europe pour avoir enfin des rapports pacifiés avec leurs voisins ?
L’Europe doit être constituée dans le prolongement des nations, et non contre les nations. C’est une erreur qu’illustre la monnaie unique. Nous avons juxtaposé des économies nationales très différentes et nous constatons aujourd’hui que cela ne peut pas marcher. Nous ne pouvons que retarder une crise qui est inéluctable. L’Allemagne est confrontée à une contradiction énorme : elle a le souci de sa compétitivité sur les marchés extérieurs, en dehors de l’Union européenne ; en même temps, elle impose aux pays de l’Europe du Sud des politiques disciplinaires qui aboutissent à des situations de sous-emploi de leurs facteurs de production et, notamment, de leur main-d’œuvre avec des taux de chômage qui peuvent atteindre plus de 25 % en Grèce et en Espagne, et 50 % chez les jeunes : ce n’est pas tenable. Soit l’Allemagne joue un rôle de locomotive mais elle renonce un peu à sa compétitivité, soit elle est contrainte de provoquer la dissociation de la zone euro – les pays de l’Europe du Sud ne pouvant plus accepter la désindustrialisation et la paupérisation auxquelles les a conduits une politique économique de stagnation à perte de vue.

Comme Marcel Gaucher, vous dites que François Hollande sait où il va, mais qu’il ne veut pas le dire. Qu’en est-il sur le plan européen ? Que proposez-vous ?
Il faut un sérieux réaménagement de l’euro. Je crois beaucoup à la nécessité d’un travail en commun entre la France et l’Allemagne, mais il faut que ce travail se fasse sur des bases saines. L’Allemagne n’est pas encore mûre pour une réorientation de la construction européenne, que François Hollande a appelée dans ses vœux pendant la campagne électorale.

Source : l'Hémicyle

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Découvrez le nouveau livre de Jean-Pierre Chevènement 1914-2014 : l'Europe sortie de l'histoire? (éditions Fayard)


le Mardi 3 Décembre 2013 à 16:40 | Lu 1689 fois



1.Posté par Hervé LIÈVRE le 04/12/2013 21:52
Je vais changer le nom de mon blog, je ne l’appellerai plus Pour les États Unis d’Europe mais Pour Les Nations Unies d'Europe
Car ce n'est ni sympa ni malin de laisser ce morceau de continent, dans cet état, à nos enfants.
Comprendre, c'est bien, faire ce serait mieux.
Hervé Lièvre
http://etatsunisdeurope.blog.lemonde.fr/

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