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Une décennie après, repenser l'Europe


Tribune de Jean-Pierre Chevènement dans La Croix, vendredi 29 mai 2015.


Une décennie après, repenser l'Europe
Le rejet du projet de traité constitutionnel européen par le peuple français, par 55 % des suffrages exprimés, a exercé sur le gouvernement français un effet de tétanie jusqu’à l’élection présidentielle de 2007. Il est vrai aussi que le camp du non n’a pas su proposer une alternative sérieuse, faute que son candidat naturel, Laurent Fabius, se soit porté candidat à l’élection présidentielle de 2007.

Candidat à l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy prétendait surmonter la difficulté par un « court traité ». En fait, le traité de Lisbonne, adopté en 2008 quand il fut élu président, a repris la quasi-intégralité du texte du « projet de traité constitutionnel », répondant ainsi au vœu exprimé par Angela Merkel d’en voir préservée « la substance ». Un Congrès fut réuni à Versailles pour adopter à la majorité des deux tiers la révision constitutionnelle nécessaire. Il faut le dire : ce véritable déni de démocratie n’a été rendu possible que par l’accord de l’UMP et du PS, et d’abord de leurs chefs.

Or, c’était bien le manque de démocratie des institutions européennes qui était la principale motivation des partisans du non. Le message était clair : il n’y a pas de démocratie qui vaille en dehors d’un puissant sentiment d’appartenance que la France suscite mais que l’Europe – qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite – ne suscite pas.

Le déni de démocratie qu’a constitué le traité de Lisbonne ne pouvait qu’en aggraver la crise. Nous y sommes. Quel parcours chaotique depuis dix ans ! Crise économique de 2009, crise de l’euro depuis 2010, traité budgétaire européen coercitif en 2012 dépouillant les Parlements du cœur de leurs prérogatives, signé par Nicolas Sarkozy en mars et adopté tel quel en octobre sans avoir été renégocié. Sous la pression de la Commission européenne, le chef du gouvernement italien et le président grec sont remplacés.

En 2015, la Grèce vote Syriza mais Bruxelles et Berlin, « les puissances décisionnaires », restent sourdes à l’expression de la volonté populaire. « Il n’y a pas de démocratie, déclare le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, en dehors des traités européens. » Par ailleurs, la crise ukrainienne, parfaitement évitable, aboutit à un conflit qui dresse l’Europe contre la Russie, inféodant ainsi durablement la première aux États-Unis. La sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne (le « Brexit ») fera l’objet d’un référendum en 2016 ou 2017.

Le centre de gravité de l’Europe s’éloigne ainsi toujours plus vers l’est, loin de la France et de ses intérêts fondamentaux.

Cette impasse impose que la construction de l’Europe soit, pour l’avenir, entièrement repensée. Pour renouer avec la démocratie, il faut à la fois un objectif et une méthode.

Un objectif : « L’Europe européenne » qu’appelait jadis de ses vœux le général de Gaulle, alliée mais non vassale des États-Unis, bref maîtresse de ses décisions.

Une méthode : la démocratie et par conséquent la méthode confédérale, s’appuyant sur les nations où vit la démocratie, et donc à géométrie variable. Une Europe recentrée sur l’essentiel : l’économie, l’emploi, l’industrie, l’énergie, la défense et la politique extérieure. À partir d’un noyau dur : celui de l’Europe originelle à Six mais sans exclusive.

Si on veut mettre de l’ordre dans la maison européenne, il faut outiller le seul organe légitime – le Conseil européen – pour qu’il puisse donner une impulsion politique continue, ramener la Commission à un rôle d’administration, rapprocher le Parlement européen des parlements nationaux et surtout transformer la monnaie unique en monnaie commune, réservée aux échanges internationaux.

En réintroduisant de la flexibilité à l’intérieur du système monétaire européen grâce à un SME bis, on redonnera à chaque pays la compétitivité qui était la sienne en 1999. On fera l’économie de dévaluations internes ruineuses et désta­bilisatrices. Au lieu que l’euro fracture l’Union européenne, comme aujourd’hui, une monnaie commune permettra à chaque nation de retrouver un équilibre entre la valeur de sa monnaie et son niveau d’activité. En même temps un signe fort sera donné : le cap de l’unité européenne sera maintenu.

Enfin, il va de soi qu’une « Europe européenne » doit se faire en partenariat avec la Russie, en faisant de l’Ukraine un terrain de coopération plutôt que d’affrontement.

Le choix de la méthode confédérale peut aller de pair avec la reprise du legs communautaire dans ce qu’il a d’essentiel : le marché commun et les normes communes qu’il implique. Mais la méthode communautaire, elle, a fait son temps, c’est-à-dire la captation du pouvoir par vingt-huit commissaires que, dans la meilleure hypothèse, personne ne connaît et qui appliquent aveuglément des traités néolibéraux obsolètes et n’expriment en rien une quelconque volonté populaire.


le Vendredi 29 Mai 2015 à 14:55 | Lu 3643 fois



1.Posté par Jp JP le 30/05/2015 09:31
Selon JPChevènement (ligne 12) : « Le déni de démocratie…. »
Ahh oui, parlons-en du délit de démocratie !!!... voir ci- après :
Le droit chemin….de la gauche…Vidéo documentaire "mon père ce Ayrault" (à partir de 35'43"), une région a été préservée de la fusion-disparition
https://www.youtube.com/watch?v=N4hkt7E-l7A

2.Posté par Jp JP le 30/05/2015 13:43
! Oups, rectification : lire déni… et non délit ! (méli-mélo pas hysteron proteron, mais inédit... !)

3.Posté par Louis SF le 03/06/2015 18:33
Monsieur Chevènement, c'est là un programme présidentiel, dont tant l'Europe que la France ont besoin, et que vous seul pouvez porter.
En dépit de votre âge, vous pouvez encore, sans omniprésence, sans volonté de tout régir, mais en donnant la direction sur l'essentiel, changer le cours de l'histoire de France - et par là de l'Europe et du monde.
Défendez quelques idées, quelques axes directeurs, laissez le gouvernement de la France, dans l'esprit des institutions, être décidé par le sort des élections législatives.
D'extrême-gauche, de gauche, du centre, de droite, d'extrême-droite, une grande partie du pays se lèvera derrière vous.
Un discours simple, une campagne simple, portée par l'élan populaire autour de votre nom et non pas fondée sur une communication dépensière et superficielle, suffiraient. Le capital, pardonnez le mot, associé à votre parole, à votre stature, à votre action, demeure immense dans ce pays.
Churchill a été Premier Ministre une nouvelle fois à 77 ans. Clémenceau a tenu la barre, dans la tempête, à 76 ans. De Gaulle a remporté les élections au suffrage universel à 75 ans, et son action des dernières années fut remarquable. Il est de plus mauvais exemples, certes, y compris dans l'histoire de France, mais d'eux on retiendra qu'à 84 ans un chef d'Etat de circonstances peut avoir encore assez de ressources pour mettre le pays dans une direction.
Il est d'autres personnalités d'une grande hauteur de vue, et "expérimentées" dans notre paysage politique. Ils détonent il est vrai des dirigeants des quinze dernières années. Mais tous ont eu leur tour et vous le savez comme nous: aussi respectables qu'ils soient en tant qu'individus, de la politique qu'ils sont susceptibles de mener, les français ne veulent pas.
Loin d'être un recours providentiel, votre présence remettrait le peuple face à ses responsabilités et son destin.
Nous serions à vos côtés.

4.Posté par Jp JP le 03/06/2015 20:51
Mr JPChevènement rempli d’érudition et de sagesse devrait être sensible à ce magnifique commentaire de Mr Louis SF. Par suite, nous devrions probablement connaître la décision de Mr JPChevènement….8 jours avant la fin du délai de dépôt des candidatures ! Jusque-là, il pourra publier comme d’habitude avec talent quelques idées de logique et saine gouvernance qui font tant défaut à notre pays. Entre-temps, les guignols UMPS (dénomination de parti « rénovée » ou pas) nous offrirons un lamentable spectacle.

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