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Un extrait du livre "Le monde qu'on leur prépare"


Notation et formation des enseignants, politique budgétaire, programmes, rythmes scolaires... les deux ministres de l’Éducation (à 25 ans d’intervalle) Jean-Pierre Chevènement et Luc Chatel confrontent leurs idées sur des sujets d’actualité. Morceaux choisis.


La notation des enseignants

Un extrait du livre "Le monde qu'on leur prépare"
Nicolas Beytout : Vous voulez changer la notation des enseignants, pourquoi?
Luc Chatel : Parce que nous avons un système, actuellement, qui est décrié et qui ne correspond pas à une vision moderne de l’administration qui valorise le travail, l’engagement personnel, la responsabilisation, l’initiative. D’autre part, le système actuel d’inspection est beaucoup trop lent, trop irrégulier ; les professeurs sont inspectés en moyenne tous les quatre ou cinq ans. Et puis les inspections sont souvent trompeuses. Je me souviens que lorsqu’un de mes professeurs était inspecté, il ne faisait pas le cours habituel !… Ce qui est intéressant, c’est que les syndicats sont quasiment unanimes à dire : on ne peut pas continuer comme ça !…

N. B. : Avec l’idée d’arriver à une note qui soit à la fois plus un système de récompense au mérite, et éventuellement de sanction lorsqu’il n’y a pas mérite ?
L. C. :
Voilà. Je pense qu’il faut un système, d’abord, qui soit juste, c’est-à-dire qui évalue…
Jean-Pierre Chevènement : Qui évalue, mais comment ?
L. C. : On n’a pas encore décidé des critères, on n’en est qu’au départ de la discussion. On verra ensuite si on donne un peu plus de responsabilités à la notation du chef d’établissement, ou si on revoit notre corps d’inspecteurs pour mieux les former, les préparer… Et puis, selon l’académie, les inspections ne sont pas du tout les mêmes. L’égalité du service public n’est souvent qu’un leurre !
J.-P. C. : C’est à vous de rétablir l’égalité.
L. C. : Oui, je pense que c’est à nous de mettre en place des procédures comme dans les entreprises, où il existe des guides de conduite d’entretiens, des process d’évaluation.
J.-P. C. : Et faire en sorte qu’entre les académies il ne se creuse pas des inégalités qui seraient choquantes. Ce n’est pas parce qu’un système est décrié qu’il est forcément mauvais. On comprend très bien que la notation soit critiquée, parce que les gens n’aiment pas être notés. Mais les inspecteurs n’ont pas toujours tort…
L. C. : Mais personne ne conteste la nécessité de l’inspection. Les professeurs ne nous disent pas : on ne veut pas être notés. Ils nous disent : premièrement, on voudrait exactement savoir sur quoi on est notés, et donc qu’il y ait un peu plus de procédures dans l’évaluation ; et puis, deuxièmement, on voudrait que l’évaluation puisse avoir des conséquences sur nos carrières.

N. B. : Ce qui n’est pas le cas ?
L. C. : Ce qui n’est que très insuffisamment le cas. Il y a peu de conséquences.

N. B. : Ça, c’est ce que disent les meilleurs. Les moins bons sont-ils aussi d’accord pour que les notations négatives aient des conséquences sur leur carrière ?
L. C. :
Nous en sommes au début de ce chantier, qui est difficile. Mais je constate qu’il y a quand même une volonté globale des syndicats… il n’y a pas de tabous, on est prêts à discuter… Moi, je suis favorable à un système qui reconnaisse davantage l’engagement individuel, les performances, les initiatives… c’est ça une fonction publique moderne.
J.-P. C. : La question reste posée : comment reconnaîtra-t-on ces performances, ces initiatives, etc. ? Est-ce que ce sont les corps d’inspection, dont c’était traditionnellement la tâche ? Les chefs d’établissement ?… Moi, je me méfie un peu du « bougisme », c’est-à-dire de la « réformite ».
L. C. : Là, on est tranquilles pour la réformite parce que le système n’a pas changé depuis vingt-cinq ans, je crois.
J.-P. C. : Mais s’il y a des choses à changer, il y a aussi des choses qu’il ne faut pas changer …
L. C. : Si ! Ce sont des chantiers passionnants. D’ailleurs toutes les entreprises sont confrontées à ces questions, au travail sur l’évaluation des performances, de la manière la plus objective, transparente… et puis sur les conséquences de l’évaluation, de manière que les collaborateurs se sentent impliqués. Ça fait partie du mode moderne de management.
J.-P. C. : Enfin, il ne faut pas détruire ce qui marche, même mal, au profit de quelque chose qui ne marchera pas du tout, bref de la disparition de toute évaluation.

La formation des profs

N. B. : Qu’est-ce qui doit changer dans la formation des professeurs ?
J.-P. C. : Distinguons les professeurs d’école, qui doivent bien maîtriser le français. L’expression. C’est absolument essentiel. La plupart, d’ailleurs, sont des littéraires. La formation des professeurs d’école, je la distingue de la formation des enseignants du second degré. Un professeur de collège et de lycée, il est bon qu’il maîtrise bien d’abord sa discipline. La mastérisation ne doit pas conduire à la disparition des concours de CAPES et d’agrégation qui sont une force de l’école. En même temps, il faut qu’ils apprennent la didactique de leur discipline. Enfin, il faut les motiver pour que puisse s’exercer à plein « l’effet maître », c’est-à-dire la relation du maître à l’élève. Et là je reviens toujours à la phrase d’Hannah Arendt : « On n’enseigne bien que ce à quoi on croit. » Pour être un bon maître il faut aimer la République, aimer le savoir et aimer l’avenir présent dans la jeunesse. Je suggère à cet égard qu’une formation poussée en philosophie, en histoire et en économie comparée de l’éducation soit donnée aux professeurs en sciences de l’éducation dans les IUFM. Les acquis de la psychologie doivent être connus. Les futurs professeurs d’école ne sont pas formés à repérer les élèves en difficulté qui relèveraient de personnels spécialisés.
L. C. : On ne peut pas dire que les IUFM étaient des terreaux favorables pour l’apprentissage de toutes ces sciences et pour la préparation des enseignants à leur métier. Ça a fait beaucoup de dégâts…
J.-P. C. : Parce que les IUFM ont fait trop de place à des « sciences de l’éducation » souvent fort peu scientifiques…
L. C. : Au détriment du savoir… Et c’est ce qui nous a guidés quand on a voulu considérer que c’était à l’université, comme dans tous les grands pays développés, de former les enseignants. On est en train de faire un petit réglage, c’est vrai, entre d’un côté la formation théorique, disciplinaire, et de l’autre la formation didactique…
J.-P. C. : Je ne suis pas du tout contre le fait qu’on confie à l’université le soin de la formation disciplinaire des maîtres.
L. C. : A condition qu’on ne vienne pas reproduire les IUFM avec des masters de sciences de l’éducation un peu partout !
J.-P. C. : Absolument, il faut y veiller. Alors les IUFM devraient enseigner la didactique des disciplines, parce que bien connaître, par exemple, la littérature, c’est formidable ! Mais apprendre aux élèves le français, c’est tout à fait différent, plus, encore, le calcul ! Et d’autre part, il devrait y avoir des matières qui concourent à faire comprendre aux futurs enseignants ce qu’est la République et ce que sont les missions de l’école de la République.
L. C. : Nous aurons à la rentrée des masters polyvalents, qui intègrent ce que vous dites… Huit académies proposeront des masters en alternance avec une prise en charge d’une classe de 3 à 6 heures par semaine pour les étudiants dès leur année de master 1. Prenons l’exemple de nos professeurs des écoles, les instituteurs, on a 75 % d’entre eux qui sont de formation littéraire. Il faut donc les former à apprendre les sciences, le calcul, les mathématiques.
J.-P. C. : Bien sûr.
L. C. : Nous sommes en train de concevoir des modules spécifiques de formation…
J.-P. C. : … pluridisciplinaires… Il faudrait des masters pluridisciplinaires, des masters pour les professeurs d’école, qui devraient être adaptés à leur métier.

L’autorité des professeurs

J.-P. C. : La dévalorisation de l’autorité du maître correspond à un mouvement général, qui englobe la dévalorisation de l’autorité du père dans la famille. Aujourd’hui, dès qu’un enseignant est suspecté d’avoir eu un mot plus haut que l’autre, à plus forte raison d’avoir peut-être frappé d’une chiquenaude un élève, ça devient un scandale épouvantable.
L. C. : C’est vrai qu’on évite de frapper les élèves !
J.-P. C. : A juste titre ! Mais…
L. C. : L’époque des coups de règle sur les doigts est révolue et, à vrai dire, je ne le regrette pas !
J.-P. C. : Vous, vous ne l’avez pas subie, de toute façon.
L. C. : Non, je ne l’ai pas subie. Mais je n’ai pas l’impression d’avoir été martyrisé par quelques heures de colle ou de retenue.
J.-P. C. : Moi, je me souviens que mon père, instituteur, envoyait des morceaux de craies multicolores sur le crâne des élèves bavards… Et il m’est arrivé d’être collé…

N. B. : Vous avez l’air de vous demander si, sans aller jusqu’aux coups de règle sur les doigts, la punition corporelle, même légère, doit être complètement bannie ?
J.-P. C. : Non, je ne me pose pas la question. Je considère qu’il n’y a pas place pour quelque forme de châtiment corporel que ce soit. Mais j’observe qu’un enseignant, même suspecté d’avoir un peu bousculé un élève ou de se défendre s’il est agressé, est immédiatement mis en cause très violemment.

N. B. : Vous voulez dire qu’il faudrait une présomption… je ne sais pas s’il faut dire d’innocence… mais que les enseignants devraient être davantage protégés par l’institution ?
J.-P. C. : En effet : la violence me paraît beaucoup mieux tolérée quand elle est le fait des élèves, même s’ils frappent leurs enseignants, ou agressent le directeur, le proviseur. Tout ça paraît presque normal !… Par contre, quand il y a, de la part d’un enseignant, un geste peut-être un peu vif, ça devient aussitôt un scandale immédiatement répercuté, ce qui montre que la balance, en la matière, n’est pas égale entre les enseignants et les élèves. Tout acte de violence contre un enseignant devrait être très sévèrement sanctionné.
L. C. : C’est le cas.
J.-P. C. : L’institution devrait réagir beaucoup plus vigoureusement en cas d’agression contre un enseignant.
N. B. : Il faudrait donc modifier la loi et faire entrer les enseignants, dans l’exercice de leur métier, dans la catégorie des personnes…
J.-P. C. : … protégées.

La politique budgétaire

N. B. : L’école coûte de plus en plus cher au budget de l’Etat, demande de plus en plus de moyens. Or on ne peut pas dire que le rapport coût/efficacité s’améliore dans la même proportion. D’où vient le problème ? Et comment le corriger ?
L. C. : Contrairement aux idées reçues et aux caricatures qu’on entend souvent ici ou là, les moyens, dans l’Education nationale, sont là. Depuis 1980, le budget par élève, en France, en euro constant, a augmenté de 80 %. La France continue à consacrer 21 % de son budget à l’éducation… Notre pays continue à investir dans l’éducation en général presque un point de plus de son PIB que la moyenne des pays développés de l’OCDE.
J.-P. C. : Voilà un sévère réquisitoire contre le septennat de M. Giscard d’Estaing !… (Ils rient.) Et, de manière générale, un réquisitoire vis-à-vis des politiques éducatives menées par la droite pendant presque…
L. C. : Non, puisque justement, le but de la démonstration c’est de montrer que les moyens n’influent pas forcément sur les résultats.
J.-P. C. : Reconnaissez que si les moyens ont augmenté de 80 % depuis 1980, la gauche doit y être pour quelque chose !
L. C. : Oui, mais justement, je le reconnais ! Et la droite, d’ailleurs, n’a pas fait mieux parce qu’elle a aussi, pendant cette période-là, mené une politique exclusivement quantitative qui a consisté à augmenter le nombre de postes. Cette politique n’a pas obtenu les résultats escomptés. Nous avons ensemble fait le constat des performances de notre système éducatif. Et cette politique, à mon sens, nous a empêchés de nous poser les vraies questions.

N. B. : Au fond, vous dites : « On a mis trop d’argent…»
L. C. : Je ne dis pas : on a mis trop d’argent… Je dis : les moyens existent, ils sont là, et d’ailleurs toutes les enquêtes sérieuses et les études sur l’Education nationale – rapport de la Cour des comptes de l’année dernière, l’Institut Montaigne… – nous disent : attendez, le problème ce n’est pas les moyens, c’est la répartition de ces moyens. Juste un chiffre : en septembre 2011, il y aura 35 000 profs de plus qu’il n’y en avait au début des années 90, alors qu’il y a 500 000 élèves de moins. Ce que je veux dire, c’est que malgré le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux depuis quatre ans, nous continuons à avoir un rapport, un ratio élève/professeur nettement meilleur qu’il n’était il y a vingt ans. Or les résultats ne sont pas à la hauteur de cet investissement.

N. B. : C’est donc une démonstration, j’allais dire tragique, de l’inefficacité de la dépense budgétaire dans ce domaine !
L. C. :
Tout à fait. Et ça fait peser sur nous une responsabilité très forte. Je pense que, pendant vingt-cinq ans, la démocratisation de l’école devait s’accompagner de moyens. C’était nécessaire. Mais ça a été l’unique réponse. C’était une erreur. Je pense que, dans les années 90, on aurait dû se poser se poser des questions sur l’affectation de ces moyens, sur l’organisation du système éducatif, son efficience et le renouveau pédagogique. […]

Les modèles étrangers / Les enquêtes PISA

N.B. : Est-ce qu’il y a un pays qui vous paraît être un modèle ?
L. C. :
Qui est devant nous ? Regardez le peloton de tête : Singapour. C’est un système extrêmement élitiste. A sept ans on sélectionne les 10 % d’une classe d’âge considérés comme les meilleurs, on les prend en charge de manière séparée pendant toute leur scolarité primaire. Ce n’est pas un modèle que j’appelle de mes voeux. Dans des pays comme la Corée ou le Japon… ou même certaines provinces de Chine (je pense à Shanghai ou à Pékin) qui sont, dans les classements, nettement au-dessus de nous, la pression est très forte.
Lorsque je suis allé visiter un lycée à Pékin, la première question que m’ont posée les élèves c’était : est-ce qu’il y a autant de pression en France dans le lycée ? Première question !… Je ne cherche pas à fuir votre interrogation. Ce que je dis, c’est que ces classements internationaux sont très utiles parce qu’ils nous permettent de voir comment progresser, comment certains pays ont réussi, mais je ne crois pas qu’il y ait, aujourd’hui, un pays qui soit le modèle à graver dans le marbre pour la France.

Les rythmes scolaires, la semaine de 4 jours

N. B. : Jean-Pierre Chevènement, vous pensez qu’il n’y a plus assez d’heures de cours en classe ?
J.-P. C. :
Au lycée, oui. Je pense qu’on a eu tort de diminuer l’enseignement de deux heures par semaine…
L. C. : On n’a pas diminué !
J.-P. C. : Je veux quand même attirer l’attention sur la performance globale du système. J’ai déjà parlé d’une baisse de niveau en Zep. Quelque 35 % des élèves issus de l’immigration n’atteignent pas le niveau 2, selon le classement OCDE. Au Canada il paraît que c’est 12 %. Il est vrai que ce n’est pas la même immigration, du point de vue des catégories sociales.
L. C. : Je suis votre raisonnement sur les élèves issus de l’immigration. Vous pensez qu’en rajoutant deux heures de français par semaine, pour ces élèves-là, vous allez obtenir de meilleurs résultats ? C’est une illusion ! Ces élèves ont besoin, à un moment, d’un enseignement différencié où on va leur apporter un soutien scolaire, leur expliquer comment fonctionne l’école, où on va leur apprendre à apprendre, leur apprendre à travailler chez eux sans soutien… c’est comme ça qu’on les fera réussir ! En leur apportant du sur-mesure !
J.-P. C. : Oui, mais enfin, ils ne sont pas si différents que cela des autres. Comme pour tout le monde, le fait de travailler un petit peu plus produit quand même des résultats. Prenons les enseignements scientifiques, c’est très difficile, l’élève avance en terrain inconnu, il doit se familiariser avec des équations, des raisonnements… Vous voulez lui « apprendre à apprendre » ? Vieille antienne ! Encore faut-il qu’il apprenne quelque chose et pour cela il faut du temps!
L. C. : Je n’ai pas envie qu’on ressemble à la Corée !
J.-P. C. : Certes ! Mais en même temps, ces pays sont là, ils existent, ils sont dans le paysage. Donc est-ce bien le moment pour nous de diminuer l’exigence scolaire ? Je pense au décret du 15 mai 2008, pris par Xavier Darcos, instaurant la semaine de 4 jours. Je sais bien que Xavier Darcos a pris ce décret parce que le président de la République s’était exprimé dans ce sens, en disant que désormais les enfants pourraient partir en week-end avec leurs parents. Et ça, c’est forcément très négatif pour l’école parce qu’on n’apprend pas à travailler mieux en travaillant moins. Donc, là, ça a été une mesure inconséquente et très grave. Je sais que M. Chatel a pris un décret peu de temps après…
L. C. : Une circulaire de rentrée rappelant que la liberté est laissée aux conseils d’école, donc aux communes et aux établissements scolaires.
J.-P. C. : Et qui précise effectivement qu’ « on encouragera la semaine de 9 demi-journées chaque fois qu’elle rencontrera l’adhésion », si je me souviens bien du texte de votre circulaire.
L. C. : Absolument.
J.-P. C. : Mais chacun comprend bien que les enseignants eux-mêmes n’ont pas tellement envie de revenir en arrière… Donc « l’adhésion » que le ministère prétend encourager ne sera pas au rendez-vous !

La bataille des programmes

N. B. : Les programmes et leur contenu font fréquemment l’objet de désaccords. Quelle est votre position ?
J.-P. C. :
Je constate, et Luc Chatel ne le contredira pas, que le volume horaire accordé à l’enseignement du français a beaucoup diminué au fil du temps. Les langues anciennes ont presque disparu du paysage. Or, quand vous faisiez du latin et du grec, vous appreniez le français d’une manière indirecte.
L. C. : Je parle sous le contrôle d’un ancien ministre qui a occupé de nombreuses fonctions gouvernementales : gouverner c’est choisir, et choisir c’est renoncer. Le français est prioritaire, certes ! Mais les lycéens, en France, sont les seuls à faire plus de 35 heures ! Ils font 28 heures en moyenne de cours, plus les heures de travail personnel.
Attention à la quantité pour la quantité ! Ils font peut-être 4 heures de français, mais ils font aussi de l’histoire… allez dire aux profs d’histoire que leur matière n’est pas prioritaire… Ils apprennent des langues vivantes, moi je considère que l’anglais c’est hyper stratégique aujourd’hui. Ils font des sciences, c’est indispensable, on manque de scientifiques…Voilà, il y a un moment où on ne peut plus rajouter des heures aux heures…
[…] Si je réunissais les doyens des groupes disciplinaires de l’Inspection générale, chacun m’expliquerait que sa discipline est la plus importante et qu’il faut doubler le nombre d’heures !

N. B. : Jean-Pierre, imaginons que vous soyez chargé de faire le programme idéal. Quelles sont les disciplines que vous supprimez, et celles sur lesquelles vous remettez l’accent ?
J.-P. C. :
Celles sur lesquelles je mets l’accent massif, c’est le français, bien entendu. Le français, encore le français. C’est, deuxièmement, les mathématiques. Pierre Tapie, le président d’une grande école parisienne, l’ESSEC, a dit qu’il s’alarmait de la baisse du niveau en maths. Ses étudiants font des études de management, ça entrave leur apprentissage ! Donc… Français, maths, et anglais. Physique, chimie, bien sûr…
L. C. : En voilà des priorités… à ce compte-là il y a priorité à tout ! C’est le programme d’aujourd’hui. N’oubliez pas l’histoire… C’est fondamental, l’histoire !
J.-P. C. : Autant pour moi! C’est la matière que j’aime le plus ! Elle va avec la géographie.

N. B. : A l’inverse : Jean-Pierre Chevènement, quelles sont les matières que vous jugez optionnelles ?
J.-P. C. : En dehors des matières obligatoires, il faudrait multiplier les options facultatives. L’économie, par exemple, qui est très loin d’être une science exacte. J’utiliserais aussi le numérique… puisque les élèves aiment bien se mettre devant un ordinateur, je les encouragerais à travailler en dehors du temps scolaire.

La carte scolaire

N. B. : Que pensez-vous de la carte scolaire et de l’assouplissement offert, en ce qui concerne le choix par un élève de son établissement ?
J.-P. C. : Je crois que les mesures dites d’assouplissement qui ont été prises sur la carte scolaire vont dans le sens d’une plus grande ségrégation et empêchent la mixité scolaire. Des observations ont été faites dans l’académie de Marseille. On voit que dans les quartiers de Marseille-Nord, les éléments les moins défavorisés vont vers les collèges et les lycées de centre-ville. Il faut revenir sur ces mesures d’assouplissement – quitte à revoir le découpage – pour favoriser une certaine mixité sociale.
L. C. : Je pense que la pire des ségrégations, c’était le système qui favorisait les délits d’initiés : celui qui était issu d’une famille qui connaissait le système éducatif, et pouvait se procurer une adresse à proximité d’un établissement réputé, échappait au collège de l’éducation prioritaire. Ça, c’est le pire des systèmes. Nous l’avons assoupli. La vérité c’est qu’à terme il faudrait supprimer la carte scolaire, le jour où il y aura un système – mais on va être en désaccord total – totalement autonome; chaque établissement a un projet qu’il présente aux parents, et les parents décident librement de l’établissement de leur enfant sur la base d’un échange avec la communauté éducative, avec les profs, avec le chef d’établissement. Pour moi, c’est le monde idéal de l’éducation…
J.-P. C. : C’est un idéal profondément libéral.
L. C. : Oui. Mais dans libéral il y a le mot liberté, la première devise de notre République, et je suis attaché à la liberté de choix des parents.
J.-P. C. : Très bien. Moi, je ne suis pas libéral. Je suis pour l’institution de l’école publique, avec des règles de service public. Je reste fidèle à Jaurès : « Aller à l’idéal, mais comprendre le réel »… Et je pense que la ségrégation résulte souvent de la mauvaise délimitation des secteurs. Il est évident que quand vous avez d’un côté des quartiers très défavorisés qui font partie du même secteur, et de l’autre des secteurs d’habitat privilégié, vous n’avez aucune mixité. L’égalité aussi est un idéal.

Les syndicats d’enseignants

L.C : Je fais un rêve, c’est que ces syndicats soient capables de travailler en prospective sur l’évolution du système éducatif avec le ministère, en dehors des postures, sans dire à tout propos : « effectifs, effectifs… ».
J.-P. C. : Permettez-moi de vous poser la question : quel projet leur apportez-vous ? Vous leur parlez d’autonomie des établissements, vous supprimez des postes… ça ne donne pas forcément le moral aux enseignants. Ils ont le sentiment d’un certain gâchis. L’école a besoin d’être tout entière portée par un projet conquérant. Aujourd’hui, excusez-moi, ce n’est pas le cas… Oh, je ne dis pas que vous ne vous débrouillez pas bien pour passer à travers les gouttes…
L. C. : (Il éclate de rire.) Ce n’est pas un objectif en soi, de passer à travers les gouttes !…
J.-P. C. : Non, mais vous y arrivez. Ce n’est pas si facile. C’est ce que tout gouvernement demande à son ministre de l’Education nationale. Mais où sont les grands objectifs que le gouvernement pourrait donner à l’Education au niveau de l’élévation des niveaux de formation et de qualification, de la remédiation à l’échec scolaire dès l’école primaire ? Il n’y a pas de discours mobilisateur, assorti des moyens nécessaires, voilà tout !


« Le monde qu’on leur prépare - École, Économie, Etat », Luc Chatel et Jean-Pierre Chevènement, Entretiens croisés dirigés par Nicolas Beytout, Plon, 240 pages, 19 €.

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Source : EducPros.



Rédigé par Chevenement.fr le Jeudi 1 Septembre 2011 à 17:28 | Lu 4070 fois



1.Posté par J R le 03/09/2011 18:38
On apprécie le poids des mots, mais on est également impressionné par le choc des photos (de couverture).

2.Posté par Marie Claude le 04/09/2011 07:39
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uh pourquoi ne pas adopter le systeme de notation des professeurs qui existe dans les universités americaines?

je regrette que les enseignants aient dénigré l'enseignement professionnel depuis la fin des années 70, l'apprentissage, c'était réservé aux "nuls" soi-disant, alors que pour réussir dans une profession manuelle, if faut de l'intelligence, beaucoup de ceux qui encombrent les bancs des universités en manquent ! et puis les têtes bien pleines ne trouvent pas l'emploi qu'elles "méritent", y'a pas assez de places pour elles, les pauvres, faut quand même avoir des relations, sinon, bonjour la galère des petits boulots aidés et l'écoeurement, alors que les entreprises manquent d'employés qualifiés !

3.Posté par Jacques CARLE le 10/09/2011 15:17
ll est évident que les réponses fournies par L.C. se résument à ses derniers propos: la défense d'une école libérale avec pour point culminant la la pseudo-liberté de la suppression de la carte scolaire! On sait bien, dans l'ancien système, que quelques parents avertis faisaient des pieds et des mains pour changer leur progéniture d'établissement mais c'est maintenant leur ouvrir un boulevard et gratuitement puisque c'est un moyen de permettre aux plus aisés sans passer par l'école privée, de s'ouvrir un chemin vers les établissements les mieux prisés! Assez d'hypocrisie! Il faut donner de vrais moyens et ce n'est pas par une manipulation habile de statistiques qui font penser globalement que l'effort budgétaire s'est accéléré depuis 20 ans que les choses vont s’améliorer! La suppression de postes, elle, est bien réelle! Elle suppose un alourdissement considérable des effectifs classe et c'est un handicap sérieux qui ne permet pas de travailler sereinement compte tenu des difficultés croissantes d'élèves consécutives à une absence suffisante de sélection à la rentrée en seconde générale. L'ouverture de lycées professionnels, tissu efficace de l'école allemande, permettrait d'offrir de vrais débouchés à des élèves de seconde en attente de "perdre leur temps" dans l'enseignement général!
Quant aux langues anciennes, il serait nécessaire de leur rendre leur lustre en sachant bien que celui qui tient les clés du latin par exemple, détient un avantage souvent considérable pour apprendre l'espagnol, le portugais, le roumain et l'italien, langues européennes tout aussi réelles que l'anglais dont les seules fonctions semblent d'ailleurs quasiment réduites par le ministre à demi-mot, à sa stricte utilité technico-commerciale! Les lycées généraux doivent être un lieu de culture républicaine, c'est à dire générale et citoyenne avant tout! Ce n'est pas en supprimant l'histoire en section scientifique en terminale, en reléguant les langues anciennes à un horaire souvent impossible ou en cherchant à les supprimer par les combinaisons de la DHG qu'on y arrivera!
L'école "modo sarkosiensi" me semble une erreur d'aiguillage fondamentale sur la plan de la formation et plus encore sur le plan des aspirations républicaines! Il faut tenir bon pour résister à cette délition programmée! La modernisation, l'entrée de nouvelles disciplines dans l'éducation coûte certes cher mais le choix d'un investissement solide dans l'éducation et qui englobe le maximum de matières enseignées, certes coûteux, reste indispensable!

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