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Enrayer le déclin de l'aménagement du territoire


Intervention du sénateur Jean-Pierre Chevènement sur la politique des territoires au Sénat, jeudi 4 décembre 2008.


Enrayer le déclin de l'aménagement du territoire
Monsieur le Ministre,

Vous travaillez dans un contexte difficile.
Si déjà il n’est pas facile de séparer la mission dite « politique des territoires », dotée de 386 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 375 millions en crédits de paiement, du rôle de l’Etat en matière d’aménagement du territoire, évalué à 5,6 milliards d’euros vous subissez de plein fouet les conséquences des politiques restrictives que votre gouvernement met en œuvre : ainsi pour ce qui concerne l’Administration de l’Etat à travers la révision générale des politiques publiques (RGPP), en fait une régionalisation des administrations déconcentrées qui fragilisera et marginalisera les départements périphériques. Ainsi encore, la réduction des moyens accordés aux collectivités territoriales. Or, on ne dira jamais assez à quel point les élus se sont eux-mêmes, au fil des ans, transformés en stratèges de l’aménagement des territoires pour renforcer l’attractivité et la compétitivité de ceux-ci. Il faut vous appuyer sur eux, Monsieur le Ministre, et c’est le rôle irremplaçable des contrats de plan que de favoriser les synergies entre les différents niveaux de collectivités à partir de quelques grandes priorités nationales. On nous rebat les oreilles avec la nécessité de clarifier les compétences entre différents niveaux de collectivités. Mais c’est très difficile en matière de développement économique par exemple, et les contrats de plan sont le meilleur outil pour faire jouer harmonieusement les compétences dites « croisées » qui sont inévitables et assurer ainsi la coopération la plus efficace entre les différents niveaux de collectivités.

Sur la période 2007-2013, les contrats Etat-régions et autres collectivités représentent des engagements de 28,2 milliards d’euros. Les retards pris sur les contrats de la génération précédente 2000-2006 n’ont pas encore été comblés – je l’observe sur le terrain à Belfort pour les bâtiments de l’Université de Technologie de Belfort-Montbéliard. Je doute fortement que les crédits du FNADT, vu leur proportion modeste, permettent non seulement de combler ces retards qui sont autant de manquements à la parole de l’Etat que de tenir les engagements pris à hauteur de 12,7 milliards pour la période 2007-2013. Il faut mentionner aussi la baisse des fonds européens consacrés à l’aménagement du territoire – 5,6 milliards de crédits FEDER seulement sont prévus sur sept ans, de 2006 à 2013. Cette régression est le fruit de l’élargissement dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas été négocié avec toutes les conséquences qu’il comporte sur la délocalisation de nos activités, particulièrement dans le secteur de l’automobile.

Les moyens dont vous disposez en propre sont donc modestes même si les dépenses fiscales liées à divers types d’exonérations s’y ajoutent pour un montant non négligeable puisqu’il dépasse le montant des crédits de paiement. Toutefois, l’action de la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT) est, comme son nom l’indique, interministérielle par nature. Il vous appartient donc de réaliser au mieux les mises en synergie nécessaires pour aider à la mutation des territoires frappés par les réorganisations administratives et militaires, mais aussi par les effets de la crise économique, et je pense en particulier aux régions d’implantation de l’industrie automobile et de ses sous-traitants, comme c’est d’ailleurs le cas pour le bassin d’emploi de Montbéliard-Belfort où vous êtes venu récemment.

Dans le contexte de la globalisation financière, votre tâche apparaît digne de Sisyphe : notre pays subit en effet, depuis les années quatre-vingt-dix, la distension croissante des liens entre les entreprises et les territoires, du fait d’une ouverture sans limites aux mouvements de capitaux, résultant de l’Acte Unique européen d’abord, puis aux mouvements de marchandises, sous l’impulsion de l’OMC depuis 1994, réduisant de 14 % à 1% de 1992 à aujourd’hui le montant pondéré des droits de douane aux frontières de l’Union européenne. C’est la dictature des actionnaires et du profit financier qui s’est imposée aux entreprises et aux nations, réduisant bien souvent les managers et les hommes politiques au rang de spectateurs impuissants. Les entreprises françaises réalisent de plus en plus leurs chiffres d’affaires et leurs bénéfices à l’étranger. Un mouvement de délocalisation des activités productives vers les pays à bas salaires frappe notre pays. Dans ces conditions la croissance potentielle en France, comme d’ailleurs dans le reste de l’Europe, s’est réduite d’abord à 2 % puis à 1 %. La part de l’Europe à vingt-cinq dans le commerce mondial est aujourd’hui de 20 % contre 30 % en 1980, tandis que celle de la Chine a crû de 2,5 % à 14 %. Notre déficit commercial reflète cette perte d’attractivité.

L’avidité des actionnaires a aussi creusé les inégalités entre les entreprises elles-mêmes, au détriment des petites et dans les rémunérations, dont l’écart n’a jamais été aussi grand. La France populaire s’est réfugiée dans des zones périurbaines loin des centres-villes. Dans ce contexte de globalisation financière qui fracture la société française, il est bien difficile, Monsieur le Ministre, de mener à bien une politique d’aménagement du territoire rationnelle. L’erreur – mais elle vous est antérieure – consiste à substituer à la logique d’aménagement du territoire, à partir d’une vision d’ensemble que seul l’Etat peut assurer, une autre logique qui consiste à mettre en concurrence les territoires entre eux. C’est ce que symbolise, me semble-t-il, le passage de la DATAR à la DIACT. Ce sont les évolutions soi-disant « naturelles » du marché qui commandent. La Puissance publique n’intervient plus guère qu’à la marge, du fait même de l’insuffisance de ses moyens. Cette évolution se pare du masque du girondinisme pour mieux fustiger l’Etat jacobin, ce pelé, ce galeux d’où viendrait tout le mal Cette idéologie est pernicieuse. Les temps nous obligent au contraire à organiser, y compris en matière d’aménagement du territoire, le grand retour de l’Etat.


Je me bornerai à vous suggérer quelques pistes pour enrayer un déclin de l’aménagement du territoire qui n’était que trop prévisible.

Un mot sur la DIACT (l’ancienne DATAR) d’abord. Il est regrettable que les activités de prospective aient été progressivement délaissées. La qualité des hommes et des équipes n’est pas en cause. C’est un mal plus général qui a également conduit à l’abandon du Commissariat Général du Plan, pour un vague Centre de prospective et d’analyses soi-disant stratégiques.

En réalité, c’est toute l’Administration économique de l’Etat qu’il faudrait reconstruire pour faire face à la crise économique actuelle. Les Etats nationaux, parce qu’ils ont seuls la légitimité de la démocratie, ont été appelés au secours en catastrophe. On a juxtaposé dans une certaine improvisation les plans nationaux tant en ce qui concerne le sauvetage des banques que la relance économique. Les règles européennes en matière de concurrence ont été suspendues. L’erreur serait de croire que cette suppression pourrait n’être que temporaire. Le temps est venu de concevoir à nouveau des politiques industrielles et des politiques d’équipement. Pour prendre un exemple, la juxtaposition de soixante-et-onze pôles de compétitivité ne saurait remplacer un Ministère de l’Industrie qui seul peut disposer d’une vue d’ensemble, éviter doublons et gaspillages, et donner les impulsions nécessaires en matière de recherche finalisée.

Il lui faudra aussi guider les choix du Fonds d’investissement stratégique dévoilé par le Chef de l’Etat. Avec 6 milliards de fonds propres plus 14 milliards de ressources d’emprunts, ce fonds ne suffira pas à défendre nos entreprises dont la capitalisation boursière a diminué de moitié mais atteint encore, pour les entreprises du CAC 40, plus de 700 milliards d’euros. Les fonds souverains étrangers disposent de capacités financières infiniment plus grandes : plusieurs milliers de milliards de dollars.

C’est pourquoi il faudra aller beaucoup plus loin, Monsieur le Ministre, sur la voie de la réglementation des OPA voire de leur interdiction quand elles émanent d’entreprises non « opéables », comme c’était le cas pour le raid réussi de Mittal sur Arcelor. Car les entreprises ont une nationalité, celle de leur pays d’origine qui retentit sur l’emploi, la recherche et les choix d’implantation. Faut-il rappeler les conséquences du rachat de Pechiney par Alcan ? Celles d’Arcelor par Mittal ne sont que trop visibles. Dussè-je me faire taxer de patriotisme économique – quelle injure par les temps qui courent ! -, il est important de préserver la nationalité française de la plupart de nos entreprises en favorisant des pactes d’actionnaires stables.

L’Etat doit se doter des moyens durables d’une politique industrielle digne de ce nom. Assez de RGPP ! Il y a des équipes d’ingénieurs compétents à reconstituer au sein même du service public sur les décombres de l’ancien ministère de l’Industrie jadis mis à sac par M. Madelin et par ses successeurs.

Ce qui vaut pour le Ministère de l’Industrie vaut également pour l’aménagement du territoire.
Vous mettez l’accent à juste titre sur les réseaux numériques et sur les liaisons ferroviaires à grande vitesse. Ils constituent avec le bon niveau de formation de notre main d’œuvre, de puissants atouts pour la compétitivité de la France. Mais il y a encore trop de zones d’ombre en matière de téléphonie mobile en dehors des grands axes ou des grandes agglomérations. Il n’y a pas de mystère à cela : c’est l’effet de l’abandon du service public au bénéfice des concessionnaires privés. C’est un plan d’ensemble qui serait nécessaire pour la téléphonie mobile comme pour l’accès au réseau à haut débit. Et puis, n’oubliez pas le réseau des villes moyennes et des petites villes qui contribue tant au charme et par conséquent aussi à l’attractivité de notre pays.

Vos moyens directs sont limités, Monsieur le Ministre, mais indirectement vous pouvez susciter les initiatives et les ripostes nécessaires à travers les autres ministères ou les grands opérateurs ou encore les grandes entreprises que vous pouvez éclairer et guider. Bref vous pouvez exercer une magistrature d’influence. Le plan de relance que les Pouvoirs publics doivent annoncer et dont ils vont devoir décliner les modalités devrait constituer pour vous l’occasion de faire prendre en compte les exigences de l’aménagement du territoire, en matière d’infrastructures de transport notamment, je pense en particulier à l’achèvement de la branche Est du TGV Rhin-Rhône, par la réalisation du tronçon qui va de Petit Croix dans le Territoire de Belfort à Lutterbach près de Mulhouse, qui fera gagner vingt-cinq minutes sur le trajet Strasbourg-Lyon, ou encore par la remise en service de la liaison ferroviaire Belfort-Delle et au-delà, la Suisse et l’Italie. Il y a sans doute des dizaines d’autres opérations utiles, réalisables à bref délai, et dont on ne se repentira pas si on les mène à bien dans les prochaines années.

La France n’est plus au centre de l’Europe. Avec l’élargissement à l’Est, le centre de gravité de celle-ci s’est déplacé. Ce peut être une chance pour le Nord et l’Est de la France si cruellement éprouvés par la désindustrialisation et par les restructurations militaires. Cette partie de notre pays est naturellement proche de l’Europe Centrale et les décisions de localisation des entreprises dépendent souvent de la proximité des marchés. C’est un atout pour le Nord et l’Est vde la France.

Dernière piste, Monsieur le Ministre, si l’on veut enrayer les délocalisations d’activité, il suffit de rétablir aux frontière de l’Union européenne le tarif extérieur commun qu’avaient prévu les « Pères Fondateurs » de l’Europe. Cette mesure seule inciterait les investisseurs à ne pas abandonner la vieille Europe et à y investir à nouveau. Dans un monde où la concurrence est asymétrique en raison des écarts de salaires et de protection sociale et où le souci de l’environnement est si inégalement partagé, il ne serait que naturel de prévoir des taxes anti-dumping social et des écotaxes. Encore faut-il en avoir la volonté et je n’ai entendu aucune proposition en ce sens de la présidence française de l’Union européenne.

Je ne vous ai pas parlé de la Corse, Monsieur le Ministre, à l’avenir de laquelle je reste attaché. Il s’y réalise un important programme d’investissement public. Peut-être pourriez-vous nous éclairer sur les réalisations et l’avancement de ce programme ?

Au total, Monsieur le Ministre, j’ai encore une raison de m’opposer au programme « politique des territoires », une raison que vous partagez sans doute, c’est son insuffisante, très insuffisante dotation en 2009 et surtout dans les deux années qui suivront.

Et c’est plus généralement une conception de l’Etat qui vous manque car il ne suffit pas d’être réactif, comme sait l’être le Président de la République à l’occasion : il faut inscrire son action dans la perspective longue d’un retour de la Puissance publique.

Bref, la crise n’est pas une parenthèse. C’est la fin d’une époque dominée par les dogmes du « tout-marché » comme si le marché était la clé de l’intérêt général.

Etes-vous en mesure, Monsieur le Ministre, de réhabiliter le long terme qui seul peut éclairer une véritable politique d’aménagement du territoire ? Le gouvernement auquel vous appartenez ne vous en donne pas les moyens. En a-t-il d’ailleurs la volonté ?


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Vendredi 5 Décembre 2008 à 15:05 | Lu 5665 fois



1.Posté par furaxauboulot le 13/12/2008 17:49
Grace aux élus socialistes du Conseil général du Nord , le pouvoir d'achat et l'emploi dans ce département vont être considérablement améliorés. En effet , la taxe professionnelle augmente de 8% et la taxe foncière de 5,5%. Merci le PS ! Il y a des territoires qui feraient bien de s'interroger. Aménager le territoire; oui. Déménager les socialistes ; oui également.

2.Posté par furaxauboulot le 13/12/2008 22:14
Les opinions des uns et des autres peuvent librement s'exprimer sans entrave. Cet espace de Liberté est précieux et les interventions de qualité. Le syndicat de la pensée unique est ici banni.Cette alchimie : JPC+contributeurs+modérateur est à l'évidence un vrai succès.J'ai toujours un grand plaisir à apporter modestement comme vous tous ma pierre à l'édifice d'une pensée politique toujours mieux construite , en parfaite adéquation avec les valeurs de la République et l'honnêteté intellectuelle la plus scrupuleuse. Puisse ce site prospérer comme il le mérite et que nous tournions ensemble la page de cette terrible médiocrité qui salit tant un beau pays qui n'était pas destiné à tomber entre les mains des médiocres de droite et de gauche. J'ai la faiblesse de croire que le Peuple discerne toujours à terme la Vertu de la veulerie. Qui aurait dit en 56 ou même en 57 que le Général De Gaulle serait revenu aux affaires ? JPC a un vrai destin devant lui et ne doit pas se contenter d'un rôle trop modeste d'aiguillon ou pire de mouche du coche. Les hommes d'Etat , c'est à la faveur des pires moments qu'ils émergent.
Nous avons confiance en lui.Il peut compter sur notre Fidélité indéfectible. Qu'il soit assuré de notre soutien total et sans réserves.Je me fais ici l'interprète de ses Amis du Nord qui ne se résument pas aux adhérents du MRC au demeurant trés majoritairement estimables.

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