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Conseil européen des 29 et 30 octobre : Ils n’ont rien appris et rien oublié


Intervention de Jean-Pierre Chevènement lors du débat au Sénat sur le « Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009 », 27 octobre 2009.


Conseil européen des 29 et 30 octobre : Ils n’ont rien appris et rien oublié
Il me paraît tout à fait prématuré d’évoquer pour 2011 des stratégies de sortie de crise permettant de mettre un terme au financement public de la relance. Les recommandations du Conseil des ministres de l’Economie et des Finances (ECOFIN) du 20 octobre – suppression des incitations budgétaires, assainissement des finances publiques en 2011 au plus tard, coordination des politiques dans le cadre d’une mise en œuvre cohérente du pacte de stabilité et de croissance, accent mis sur les réformes structurelles, transmission à la Commission de programmes de stabilité et de convergence avant la fin de janvier 2010 – sont prématurées et de nature à freiner une reprise qui n’est qu’à peine amorcée.

Chassez le naturel, il revient au galop : nos élites libérales n’ont décidément rien appris et rien oublié. On ne peut pas, en effet, à la fois se féliciter de la réactivité dont les pouvoirs publics ont fait preuve depuis un an, préconiser comme l’a fait le G20 « des plans agressifs pour doper une reprise durable du marché de l’emploi » et appuyer sur la pédale du frein comme le fait M. Joaquim Almunia, Commissaire européen à l’économie, et tous ceux qui proposent un retour rapide à l’application stricte des critères de Maastricht. Le retour de M. Monti appelé par M. Barroso pour faire rapport sur le fonctionnement du marché intérieur est de très mauvais augure : on n’a pas perdu en France le souvenir de l’ancien Commissaire à la Concurrence qui a mis tant d’obstacles au sauvetage d’Alstom, jusqu’à vouloir fermer le site de Belfort !

On a vraiment l’impression que la crise n’aurait été qu’un mauvais moment à passer et qu’on pourrait désormais recommencer comme avant : les traders avec leurs bonus, les responsables politiques européens avec leurs rengaines et leurs surenchères d’orthodoxie libérale. Comment ne pas s’inquiéter de voir l’Allemagne plafonner constitutionnellement son endettement à hauteur de 0,35 % du PIB, à compter de 2016, il est vrai. Est-ce là la marque d’une stratégie coopérative ? Aussi bien qui peut dire ce qui se passera en 2016 et surtout d’ici là ?

Aujourd’hui rien n’est acquis, à commencer par l’assainissement financier du système bancaire. Celui-ci demeure extrêmement frileux dans ses prises de risques. Sans l’intervention des Etats, l’activité économique se serait effondrée. Bien évidemment, les banques qui bénéficient d’un privilège de situation doivent être taxées, à défaut d’être nationalisées

Sur un plan plus général, les déséquilibres macro-économiques à l’origine de la crise n’ont pas disparu, bien au contraire. On a combattu une crise née de l’endettement avec de l’endettement, ou plus exactement, l’endettement public a pris le relais de l’endettement privé. Cela est surtout vrai des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. A cet égard, les pays de l’Europe continentale – et l’Allemagne comme pays excédentaire au premier chef – sont loin d’avoir fait un effort de relance comparable à celui des Etats-Unis. Ce défaut de coordination économique et budgétaire risque d’entraîner de nouvelles tensions et de nouvelles crises. Les tensions sont déjà perceptibles sur le marché des changes. L’euro a dépassé la barre des 1,50 dollars.

La zone euro est prise dans un étau entre la concurrence déloyale des pays à bas coût salarial, au premier rang desquels la Chine, et la concurrence non moins déloyale du dollar. La Chine et les Etats-Unis ont une politique concertée : la Chine continue d’acheter des bons du Trésor américains et les Etats-Unis ont renoncé à demander une réévaluation du yuan. Mieux, même, la Chine vient de rétablir un lien fixe entre le yuan et le dollar. Ainsi la dévaluation permanente du dollar ne rend pas seulement les produits américains plus compétitifs mais aussi les produits chinois ! Cette politique concertée nous écrase. Le Conseil européen des 29 et 30 octobre devrait nous dire comment sortir de cet étau.

Peut-on compter sur M. Juncker, le Président de l’Eurogroupe ? À l’évidence non ! M. Juncker relaie docilement, comme M. Trichet d’ailleurs, les dogmes de l’orthodoxie budgétaire et monétaire qui ont cours notamment à Francfort et à Berlin. M. Barroso se pose, tel un nouveau Saint-Antoine, résistant à la tentation quotidienne de ce diable de protectionnisme. Bref, aucun responsable européen n’a le courage élémentaire de vouloir rétablir les conditions d’une concurrence équitable pour l’Europe. Dans ces conditions, notre tissu industriel est voué à se déliter encore, les délocalisations à s’accélérer, le chômage à exploser, la société à se fracturer.

Que compte faire le Président de la République pour sortir la France de cet étau, où elle a été placée par l’action conjuguée des politiques économiques menées par tous les gouvernements successifs depuis vingt-cinq ans ? Le Conseil des 29 et 30 octobre devrait saisir le prochain G20 d’un projet de réforme du système monétaire international afin d’inscrire d’abord les parités des principales monnaies dans des bandes de fluctuation tolérables, sur le modèle des fourchettes instituées en 1985 par les accords du Louvre. On crie au protectionnisme : on rappelle ainsi les droits de douane instaurés par la Grande-Bretagne en 1931. Mais que fait celle-ci aujourd’hui quand elle dévalue la livre de 40 % ? Nous ne devons pas laisser s’installer un protectionnisme monétaire alors que nous sommes commercialement désarmés ! On a entendu s’élever des cris d’orfraie à propos d’une modeste taxe carbone à l’importation dont l’effet sera d’ailleurs marginal, si elle est adoptée, chose évidemment souhaitable. Allez-vous proposer qu’on inscrive à l’ordre du jour du prochain G20 la question d’un nouveau système monétaire international ? Assez d’hypocrisie : ayez l’élémentaire courage de défendre l’intérêt national qui est aussi l’intérêt européen !

Vous nous parlerez sans doute du grand emprunt. Je ne combattrai pas cette initiative, dès lors qu’elle a pour but de mobiliser l’épargne, abondante dans notre pays, et de financer l’investissement productif. Encore faut-il ne pas lésiner. Les grandes infrastructures, la généralisation du haut débit, l’université et la recherche, les investissements des entreprises, le grand Paris, le logement social enfin, ce ne sera pas de l’argent gâché ! Ne confondons pas, à cet égard, la dette, mauvaise quand elle finance les dépenses de fonctionnement et la « bonne dette » qui permet l’investissement économiquement rentable. Il y a de l’argent qui dort. Faisons-le servir ! J’ajoute que, comme l’a fait remarquer Patrick Arthus, il y a pléthore de banques centrales dans les pays émergents pour acheter de la dette publique et que les taux d’intérêt restent aujourd’hui très modérés. A long terme, le retour sur investissement est garanti. Le grand emprunt, à condition qu’il avoisine les cent milliards, servira la compétitivité de la France.

Evidemment, vous allez vous heurter aux frileux, aux ratiocineurs, à la myopie des éternels tenants de l’orthodoxie. Avisez-vous cependant que ce sont eux, toutes obédiences confondues, qui nous ont mis dans cette situation. Rappelons-nous que la dette publique de la France, de 32 % en 1991 au moment de la signature du traité de Maastricht, est passée brutalement à 58 % en 1998 – son plus grand bond historique, du fait de l’alignement du franc sur le mark et de nos taux d’intérêts sur ceux de l’Allemagne. Halte au suivisme : Nous n’avons pas la même démographie que l’Allemagne et notre besoin de croissance est supérieur. Il doit y avoir place pour une stratégie nationale, au sein de l’Europe, n’en déplaise à M. Trichet.

A l’alarmisme entretenu, je répondrai qu’il faut raison garder. Notre déficit budgétaire est élevé, il est vrai, mais – à 8,2 % du PIB - il est bien inférieur à ce qu’il est en Grande-Bretagne 12 %, en Espagne 10 %, en Irlande 12 %, aux Etats-Unis 12,5 %. Surtout il ne faut pas se focaliser sur le montant du déficit : il faut voir à quoi il sert et dans quelle stratégie il s’insère. Il est trop tôt pour fermer la parenthèse keynésienne ouverte à la fin de l’an dernier. Ce qui est préoccupant, c’est l’absence de vue à long terme, l’opportunisme déguisé en pragmatisme et qui peut conduire à faire se succéder, dans la précipitation, des politiques contradictoires en Europe comme au sein du G20. On sent qu’il n’y a pas de réflexion stratégique, au niveau européen, sur ce que pourrait être un nouveau modèle de développement où la planification des investissements à long terme encadrerait la logique des marches financiers.

Il appartient à la France de ne pas se laisser enfermer, au Conseil européen, dans des controverses biaisées et prématurées, mais au contraire d’élever le débat au niveau des véritables enjeux, car la crise n’est certainement pas finie et le temps d’un véritable volontarisme inscrit dans la durée n’est pas derrière nous mais devant nous. Mais avez-vous une véritable volonté politique ?


Rédigé par Chevenement.fr le Mardi 27 Octobre 2009 à 15:50 | Lu 4200 fois



1.Posté par Claire Strime le 29/10/2009 16:20
Je ne suis pas sur que rue de Solférino on ait plus appris qu'à Bruxelles...Mme Aubry ne demande pas à sortir de Lisbonne.

S'il ne faut pas diaboliser les déficits, 8% c'est quand même astronomique (ce n'est pas la même discussion qu'en 1982-83; tiens au fait il était de combien le défcit à l'époque? le poids de la dette 30% je crois...) d'autant que la France n'a plus sa souveraineté monétaire (les Anglais pourront toujours finanécer leur déficit en dévaluant leur monnaie, ce que la France ne fait plus depuis 1993).

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