Carnet de Jean-Pierre Chevènement

Hommage à Claude Durand


Discours prononcé à la Bibliothèque nationale de France, mercredi 12 mai 2015.


Je connaissais Claude Durand depuis 1969. Cela fait presque un demi-siècle ! Patron du Seuil, il avait accepté de publier un petit pamphlet de Jacques Mandrin, un pseudo pour trois des fondateurs du Ceres : Alain Gomez, Didier Motchane et moi-même. Ce pamphlet était intitulé « Socialisme ou socialmédiocratie ». Programme toujours actuel. Le titre plaisait à Claude Durand. Il n’y a pas de plus grande menace pour la République que la médiocrité. Reste à savoir si le socialisme en est l’antidote … Claude Durand ne le pensait sans doute pas.

Claude Durand était simplement un républicain, mais dans un sens aujourd’hui oublié : rigueur intellectuelle et exigence politique. Claude Durand était aussi un grand libéral au bon sens du terme. Il avait été formé à l’école de Pierre Mendès-France, le seul homme d’Etat de la IVe République qui était resté pour tous les gens de notre génération un exemple, le seul auquel on pouvait alors se référer. Mendès a écrit un petit livre : « La vérité guidait leurs pas ». Dans cette cohorte de républicains exemplaires, Claude Durand, a aujourd’hui trouvé sa place.

Je n’ai revu et vraiment connu Claude Durand que trois décennies après, en 2002. A l’heure des bilans, autre manière de se projeter vers l’avenir, Claude Durand était cet instituteur républicain dont la France, aujourd’hui, a besoin pour se reconstruire mentalement à l’abri des impostures. Dans instituteur il y a « instituere » : mettre debout. Eh bien, Claude Durand mettait les hommes debout, et d’abord ses auteurs auxquels il insufflait confiance et courage. C’est ainsi qu’il m’a aidé à continuer le combat, combat des idées autant que combat politique. Avec « Défis républicains », « La France est-elle finie ? » et, dernièrement, « 1914-2014 : L’Europe sortie de l’Histoire ? ». Avec toujours un point d’interrogation. Il ne faut jamais désespérer.

Claude était un homme à la fois très simple et très complexe. Il savait créer la confiance et très vite venait l’amitié car comment ne pas aimer ce cœur généreux ?

D’où venait son exceptionnel charisme ? Disons-le : il voyait plus loin que ses auteurs. Je le dis pour moi-même : il m’a donné courage, quand au fond de moi-même, une petite voix se faisait entendre : « A quoi bon ? ». Il était là, comme un grand frère, pour prodiguer ses encouragements qui, pour moi, valaient de l’or. C’était un professeur d’énergie.

Un éditeur comme je n’en ai jamais rencontré. Un relecteur attentif au mouvement de la phrase comme à la justesse de la pensée, n’hésitant pas à me suggérer, à propos du rejet de la CED, en 1954 « Vous pourriez peut-être dire quel rôle éminent a joué alors Pierre Mendès-France ? ». Claude était fidèle dans ses amitiés comme dans ses combats. Régis Debray l’a dit ce matin : il était avant tout un guerrier. C’est l’amour de la liberté et non le ressentiment qui guidait ses combats. Contre les plus sombres Bastilles : moi qui venait de négocier le programme commun en 1972, j’ai admiré Soljenitsyne en 1974 quand, grâce à Claude, j’eus lu « L’archipel du Goulag ». Et j’ai admiré Claude aussi quand, en 2003, il a publié « La Face cachée du Monde » de Pierre Péan que je salue pour ses multiples combats à contre-courant et du très cher et très regretté Philippe Cohen.

Là aussi, c’était le combat de la liberté contre toutes les Bastlles et toutes les citadelles, ô combien impressionnantes, du conformisme et de la bien-pensance.

Tu as combattu, cher Claude, à en perdre le souffle. Mais dans cet univers si souvent irrespirable, tu as apporté à beaucoup un grand bol d’air frais, l’air enivrant de la liberté.

Nous t’en sommes, nous tes soldats, infiniment reconnaissants. Oh, soldats très indisciplinés ! D’ailleurs tu ne nous donnais pas d’ordres. Mais le stratège que tu étais avait, en nous projetant sur différents théâtres, une idée de manœuvre derrière la tête... Dans le dernier déjeuner qui nous a réunis avec Sophie de Closets, le 9 mars dernier – c’était hier -, tu m’avais suggéré un titre « La République, (suite) … ». Connaissant ton exigence et bien que presque tout le monde aujourd’hui cherche à s’approprier l’épithète, je suivrai ta feuille de route. Comme tous tes soldats, je sentirai derrière mon épaule ta présence bienveillante et ton inspiration quand elle me fera défaut. Car tu ne nous as pas quittés.

Je me tourne vers ta femme, Carmen, tes deux fils et ton petit-fils. Par-delà votre tristesse, que nous partageons, nous savons tous que Claude Durand, par le souffle qu’il a communiqué à beaucoup, restera toujours présent.


Mots-clés : claude durand
Rédigé par Jean Pierre Chevenement le Mercredi 13 Mai 2015 à 20:24 | Lu 2809 fois



1.Posté par France RÉPUBLIQUE le 14/05/2015 20:26
Bel hommage. Durand fut un républicain comme on n'en "fait"plus guère...contre la Médiocratie satisfaite, hégémonique et méprisante, il apporta son plein soutien à "La face cachée du Monde", qui dévoila la face effectivement sombre, du "journal des élites"...et combien d'autres combats contre la bêtise et la veulerie.

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