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Europe: la supranationalité a échoué, faisons confiance aux nations


Tribune collective de Jean-Pierre Chevènement, Marie-Françoise Bechtel, Éric Conan, Franck Dedieu, Coralie Delaume, Éric Delbecque, Estelle Folest, Jean-Pierre Gérard, Christophe Guilluy, Emmanuel Lévy, Michel Onfray, Jean-Philippe Mallé, Natacha Polony, Jean-Michel Quatrepoint, Claude Revel et Paul Thibaud, parue dans Le Figaro, vendredi 24 mars 2017.


Nous avons connu l'Europe balbutiante, puis l'Europe triomphante, le temps est maintenant venu de l'Europe affaissée que même les coups de boutoir d'un Trump ne réveillent pas. À ces phases d'une «construction» dont le ciment est aujourd'hui irrévocablement fissuré ont correspondu de la part des peuples d'abord l'indifférence, puisla résignation («c'est l'Europe»), enfin le rejet. Une seule certitude aujourd'hui: l'Europe ne va plus de soi. Trente années de dérégulation sur le marché et de mise sous contrôle des politiques nationales ont rendu ce constat aveuglant.

Le plus préoccupant dans l'affaire est l'incapacité de la classe politique dans son ensemble à répondre à cette nouvelle «crise de la conscience européenne». Les principaux partis de gouvernement se taisent ; ils ont enfin compris que l'invocation à «l'Europe mieux expliquée», à «l'Europe des projets», à l'Europe à laquelle «il faut redonner du sens», tout cela est dépassé. Mais ils n'osent franchir le pas vers une vision nouvelle.

En face d'eux, les casseurs d'Europe prédisent un avenir de tumulte: dénonciations désordonnées et improductives, confondant dans un même opprobre le tout marché et l'immigration incontrôlée, chez le Front national. Insoumission fondée sur la révolte des peuples chez Jean-Luc Mélenchon comme si la seule désobéissance aux règles et directives les plus choquantes tenait lieu en soi d'horizon politique.

Dans un appel lancé il y a quelques mois à la suite du Brexit, nous avions appelé à la réunion d'une conférence sur le modèle de la Conférence de Messine en 1955. Nous rappelions ce simple fait que, à la faveur de la crise, les peuples se réveillent d'une longue duperie politique. Nous disions que l'Europe ne suit pas un rêve de puissance politique et d'indépendance stratégique. Depuis ses débuts, elle nourrit à l'endroit des peuples une méfiance hautaine et fait de la Commission son auxiliaire technocratique, son agent réfrigérant des passions démocratiques. Aujourd'hui, six décennies plus tard,le vice contractuel entre les peuples d'Europe et les institutions apparaît dans sa vérité crue. Il faut donc revoir de fond en comble le contrat. Il faut le faire en gardant à l'esprit le triple objectif que dessine en creux le rejet populaire: une Europe démocratique, prospère, indépendante.
Union nouvelle

Comment y parvenir? Nous appelons aujourd'hui les chefs d'État et de gouvernement élus d'ici à la fin de l'année en France, en Allemagne, en Italie à lancer une invitation aux pays constituant le nouveau cercle fondateur: il serait composé des principaux pays membres en population et en PIB. Il s'agirait de réunir une conférence refondatrice - pourquoi pas à Rome? - qui poserait le socle de l'Union nouvelle. Son objet serait de redéfinir les principes essentiels fondant les institutions et les compétences de cette Union, principes qui seraient ensuite soumis au vote populaire par référendum - pourquoi pas le même jour? - dans chaque pays refondateur.

Cette conférence des refondateurs redéfinirait en profondeur la vocation des principales institutions actuelles de l'Union européenne: un Conseil des chefs d'État et de gouvernement, seule autorité chargée des grandes décisions avec droit de veto de chaque membre, un Parlement composé de délégations de parlementaires de chaque pays, une Commission chargée de la seule exécution des décisions du Conseil et du Parlement, une Cour de justice chargée d'arbitrer non d'imposer.La conférence déciderait aussi des domaines dans lesquels les compétences de l'Union seraient exercées: politique agricole, énergétique, recherche… La question de l'Europe de la défense serait quant à elle subordonnée à la ferme volonté d'une indépendance de l'Europe. À défaut de ce choix commun, devraient être envisagées des alliances partielles au cas par cas.

À l'issue des référendums approuvant cette refondation, des conventions composées de membres de gouvernements et parlements nationaux déclineraient le traité nouveau, en prévoyant le passage du système ancien avec sa réglementation foisonnante au système nouveau.

Ne nous résignons pas à laisser la crise de l'Europe faire de celle-ci un continent à la dérive dans un monde où se nouent les grands enjeux de demain. Ne laissons pas la génération qui vient dans un bateau ivre, conduit par des courants venus d'ailleurs. Est-ce trop demander à l'heure où la France va décider pour cinq ans de son destin?


Mots-clés : europe
Rédigé par Jean Pierre Chevenement le Jeudi 23 Mars 2017 à 22:12 | Lu 8606 fois



1.Posté par Cathe Halbron le 24/03/2017 08:35
un beau texte, clair et cohérent. Sera t il suivi d'effets ? c'est souhaitable, car la France isolée dans le concert des nations sera très vulnérable et les français les plus fragilisés auront tout à perdre.

2.Posté par DA FLOR ODIE le 24/03/2017 10:17
M. Chevenement.
Pourquoi faut-il que les gens clairvoyants comme vous, lorsqu'ils dénoncent la perte de souveraineté par l'UE, aient toujours besoin - presque pavlovien - de proposer en remplacement un nouveau projet d'abandon de souveraineté ? Une femme n'est pas à moitié enceinte. Un triangle n'est pas à moitié équilatéral. De même on n'est pas à moitié souverain, on l'est ou on ne l'est pas du tout, comme disait Seguin.

Je lis donc une tribune dont le titre est en contradiction avec la lettre, et qui, provenant d'un homme de gauche, m'apparaît choquante en ce qu'elle prétend encore une fois faire la distinction entre des "grands pays" et des "petits pays". Non, tous les pays sont respectables, ils ont la même voix à l'ONU, ils doivent être souverains et nous n'imposerons à personne notre vision du monde. Qui vous dit, d'ailleurs, que votre vision personnelle emportera l'adhésion , ne serait-ce que 3 ou 4 pays voisins? Il faut pas mal de suffisance pour affirmer une telle chose. Cessons de croire que parce que nous, français, avons un projet pour les autres, que ces autres vont immédiatement le faire leur en pensant "bon sang mais c'est bien sur! c'est ça qu'il nous faut! Nous sommes bêtes de ne pas y avoir pensé plus tôt!".

je termine en vous signalant, respectueusement, que vous n'avez peut être pas bien regardé les 11 candidats à la présidentielle. Il y en a au moins un ou deux, que peut etre vous qualifieriez, comme certains pays, de "petits", qui portent un projet de souveraineté totale dans la bonne entente entre nations. Renseignez-vous...

Salutations,

3.Posté par Jean-Paul BIANCAMARIA le 25/03/2017 19:52
Premier point: je suis désolé de ne pas vous suivre quand vous classez Jean-Luc Mélenchon dans la catégorie des "casseurs d'Europe (qui) prédisent un avenir de tumulte". Au passage je constate que vous l'associez dans le même paragraphe au Front National (acte manqué ou propos délibérément malveillant?).
Deuxième point: quand cesserez-vous de confondre le continent l'Europe avec la simple Union Européenne?
Dernier point: êtes-vous sûrs d'être bien informés sur le fonctionnement de l'UE?
Vous n'ignorez quand même pas que toute réforme contraire aux traités est impossible (cf. Tsipras en 2015).
C'est pourquoi, si les nations veulent reconquérir leur souveraineté, elles n'ont pas d'autre choix que de sortir de l'UE.
Prétendre le contraire c'est faire preuve de naïveté ou bien de duplicité: dans les deux cas c'est grave pour l'avenir de notre Patrie.
Salutations respectueuses.

4.Posté par Olivier Pierret le 29/03/2017 19:34
Une analyse juste, mais qui pour transformer l'essai concrètement ?

Pas Mélenchon, pas Le Pen. Les auteurs de la tribune ne veulent donc pas se mouiller.

On peut donc continuer longtemps ainsi...

5.Posté par Michel VIGNEAU le 30/03/2017 11:24
Déclaration belle et ambitieuse qui invite à l'action et que je signe des deux mains. Cependant, je crains que la difficulté de la tâche ne soit herculéenne, à tout le moins prématurée.

La force de la dynamique électorale n'est que du côté français. Les autres pays ne sont pas sur le même tempo que nous. De plus, elle ne serait utilisée que par un candidat élu à l'élection présidentielle hostile au libéralisme en vigueur, ce qui est encore improbable.

Les pays du Nord suivent l'Allemagne par tradition et par intérêt national. La France ne pourrait entrainer derrière elle que quelques pays à la condition, qui me semble sine qua non, qu'elle-même donne l'exemple et sorte de l'Euro, pour lancer une impulsion forte et crédible.

J'aimerais me tromper mais je ne vois aucune de ces conditions réunies à l'heure d'aujourd'hui, tant sur le plan intérieur qu'extérieur.
Si les courants ordo-libéraux de la droite, du centre et d'En Marche!, étaient mis en minorité à l'issue du vote de premier tour, quels que soient les 2 qualifiés pour le second tour, et que cette reconfiguration se confirme aux législatives, il se pourrait bien qu'une opportunité se présente aux forces souverainistes.
Bien cordialement

6.Posté par Carl GOMES le 01/04/2017 14:38
J'aime bien Fillon mais son côté complètement libéral et non interventionniste sur le plan économique ne me plait pas; l'état, selon moi, doit être stratège. Développer le numérique ne suffira pas, ça va créer au plus quelques start-ups et permettre de supprimer des postes de fonctionnaires...De plus il semble fonder un grand espoir sur l'Europe pour compter sur le plan économique; mais je ne vois pas bien comment il pourrait protéger la France dans ce carcan où l'intervention des états est interdite par la loi; de même les peurs qu'il agite en cas de sortie de l'euro sont pour moi irraisonnées...
J'aurais aimé connaitre l'avis de Mr JP Chevènement concernant le candidat souverainiste Asselineau...

7.Posté par Patrick LENORMAND le 02/04/2017 20:09
Vive les intellectuels ! Ce texte est en effet fort intéressant ... Mais voila dans 3 semaines il y'a parait-il des élections ... Pas Mélanchon ni Lepen certes mais il en reste 9 et franchement on ne peut pas imaginer Macron, Fillon , Hamon et les 'gauchistes' souscrire à ce texte ... Alors pourquoi ne pas l'écrire ?
Personnellement, sans certitude, je pense que Dupont-Aignan ne serait pas si mal si on regarde son programme ... pour rediscuter les traités européens, qui d'autres ?
Allez Mr Chevènement, excusez-moi, lancez-vous ... Il est temps !

8.Posté par Carl GOMES le 07/04/2017 21:37
J'aurais attendu une réaction de MR Chevènement sur la Syrie qui est aussi un problème d'indépendance des nations et de droit international avant tout qui a été bafoué par Donald Trump, avec le soutien de notre pâle dirigeant.

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