Carnet de Jean-Pierre Chevènement

Tartufferie


Nicolas Sarkozy, dans Le Monde du 3 janvier développe l’idée que « l’exécution de Saddam Hussein est une faute ». Intéressant !


M. Sarkozy écrit fort pertinemment qu’« il est difficile de réconcilier les différentes composantes d’un peuple au sortir d’une dictature. Mais cette tâche est d’autant plus malaisée quand la lumière n’est pas faite sur le passé ». Très juste !

Mais Nicolas Sarkozy ne contribue pas lui-même à faire cette lumière en accumulant les poncifs qui sont autant de contrevérités : l’Irak aurait fait, selon lui, la découverte, depuis l’invasion américaine, des élections libres, d’une Constitution librement consentie, d’une justice indépendante, etc. Chacun sait que ces élections, organisées sous occupation étrangère, ont vu les Chiites voter pour les Chiites, les Sunnites pour les Sunnites et les Kurdes pour les Kurdes. C’est le triomphe des communautarismes. Aucune légitimité nationale ne peut s’affirmer dans ces conditions.

Il est donc hypocrite de se retrancher derrière la condamnation de la peine de mort pour ne pas dire justement un certain nombre de vérités nécessaires à la compréhension du dossier irakien :

1. L’exécution de Saddam Hussein tout d’abord apparaît comme un règlement de comptes interconfessionnel et non pas comme l’application d’une décision de justice.
2. Nicolas Sarkozy rappelle les souffrances des Kurdes irakiens en particulier à Halabja, quelques mois avant la fin de la guerre Irak-Iran mais il oublie de rappeler que la partie du Kurdistan riche en pétrole a été incluse en 1924 dans l’Irak, alors protectorat britannique, à la demande de la Grande-Bretagne et avec l’accord de la France, moyennant une participation substantielle au capital de l’Irak Petroleum Company (23,75%). D’où la Compagnie Française des pétroles devenue TOTAL.
3. Ce sont les Britanniques qui ont non seulement dessiné les frontière de l’Irak après la première Guerre mondiale mais ce sont eux qui ont installé la dynastie hachémite sunnite sur le trône après la révolte chiite de 1920 contre leur occupation. Cette domination sunnite s’est perpétuée jusqu’à la fin de la royauté, et même au-delà, malgré les tendances laïcisantes de la révolution de 1958 et la laïcité proclamée du Baas après 1968, celui-ci incluant dans ses rangs des éléments chiites et kurdes.
4. Nicolas Sarkozy regrette que « justice n’ait pas été rendue aux Chiites qui subirent, en 1991, une répression barbare de la part de la garde républicaine irakienne ». Il ajoute opportunément « sous le regard impassible de la communauté internationale ». Il aurait pu en effet rappeler que ce sont les Américains qui ont alors appelé, par tracts jetés d’avions, les Chiites et les Kurdes au soulèvement mais se sont bien gardés d’intervenir contre la répression, à la demande des pays arabes sunnites, et d’abord de l’Arabie Séoudite, qui craignaient la montée de l’influence de l’Iran.

*
* *

Effectivement si on avait voulu « faire la lumière sur le passé », par exemple sur le soutien que les Etats-Unis et la Communauté internationale dans son ensemble ont apporté à l’Irak dans la guerre Irak-Iran, ce seraient les Occidentaux qui auraient vite fait figure d’accusés ou de co-accusés.

Voilà ce que Nicolas Sarkozy n’a pas pu dire : l’ordre établi à l’échelle mondiale ne pouvait supporter un procès équitable. Mieux valait pour lui une parodie de justice suivie d’une exécution sommaire. « Répugnant » est le mot qui est venu à la bouche ou à l’esprit de tous ceux qui dans notre pays ont conservé un peu de cœur – et ils sont nombreux ! Tout le reste n’est que tartufferie !


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mercredi 3 Janvier 2007 à 19:26 | Lu 7893 fois



1.Posté par amir le 03/01/2007 23:32
Je pense que Nicolas Sarkozy se trompe en insistant sur l’aspect communautariste en rappelant des évènements qui ont touché le peuple irakien kurde et arabe . Il faut rappeler que c’est tout le peuple irakien qui fut victime. je ne veux pas être le défenseur de l’époque Saddam mais pour être objectif et honnête il faut replacer les choses dans leur contexte à savoir : la place stratégique de l’irak au Moyen-Orient ainsi que ses importantes richesses minières . L'accord Sykes-Picot de 1916 a illustré les appétits de convoitise sur l’irak et donc une pression permanente sur son destin.

2.Posté par Jacques Heurtault le 04/01/2007 19:21
Et si on en finissait avec un Etat artificiel. Pourquoi pas un véritable Etat kurde, notamment? Il serait construit avec les éléments épars situés en Irak, en Turquie, au Kurdistan, etc ... A quoi bon forcer des gens à vivre sous une même autorité si rien ne les poussent vraiment à vouloir vivre ensemble?

3.Posté par Claire Strime le 05/01/2007 10:01
Si on veut faire la lumière sur le passé il faut se référer aux accords Sykes-Picot. Est-il des hommes politiques qui rêvent que la France aille chercher sa part du gâteau, et s'enlise dans le bourbier proche oriental du côté de Mossoul ou d'Iskenderun?

http://www.aleph99.info/Le-Proche-Orient-et-les-accords.html

4.Posté par arnautic le 05/01/2007 10:59
merci de nous faire partager votre analyse, Mr Chevènement, quand les unes des journaux ne sont plus devenues que des tribunes de "communication" et des lieux de pouvoir... la raison sommeille, disiez-vous? en tout cas la "crise des élites", comme vous l'avez appelée, ne semble pas prête d'être terminée. allez: vive la République, et vivent les républicains!

5.Posté par Elie Arié le 05/01/2007 16:44
Jacques Heurtault nous ressort le vieux mythe: créer des Etats autour d'une table de conférence, en oubliant que nous ne sommes plus aux XIX è et début du XX è siècles (l' Afrique; le Moyen-Orient, avec l' Irak , le Koweït et la Jordanie artificiels; la Yougoslavie née du traité de Versailles; les accords Sykes-Picot, etc.), logique qui est la même que celle qui a présidé au projet de la création d'un Etat Européen sans se préoccuper des peuples...

Le projet de redécouper l' Irak relève de ce même communautarisme, mélangeant les critères nationaux (un Etat kurde) et les critères confessionnels ( un Etat chiite et un Etat sunnite); il existe des Kurdes chiites et des Kurdes sunnites: on les met où? Que fait-on des Kurdes turcs, des Kurdes iraniens, des Kurdes syriens? Et comment croit-on que réagiraient la Turquie, l'Iran et la Syrie, si on voulait les amputer d'une partie de leur territoire?

On a déjà fabriqué un Etat d' Israël, ne recommençons pas l'expérience peu convaincante...


6.Posté par Alain Coulon le 05/01/2007 22:15
Nous devons lutter contre deux menaces :
- la "globalisation" fondée sur le libéralisme économique anglo-saxon ;
- la communautarisation attisée par l'exhibition des particularismes ethniques et religieuses.
Mais ces deux dangers ne sont-ils pas liés ?
Pour gagner à coup sûr, l'Empire ne veut affronter que des tribus.
Pour cela il faut casser les Etats-Nations :
- par la force : Irak avant l'Iran ;
- par la dilution dans des structures apatrides : l'Europe des traités.

7.Posté par Alain FELER le 06/01/2007 12:08
Ayant regardé la vidéo de l'exécution, je ne peux qu'approuver le qualificatif de "répugnant" employé par JP Chevènement.
Mais sera-ce moins répugnant quand cela sera fait "decently" - comme G-W Bush aurait selon la radio pris la peine de le demander explicitement - pour les co-condamnés de S. Hussein la semaine prochaine ?
Quand Louis XVI a été décapité, pour des fautes après tout bien moins graves, les circonstances concrètes étaient-elles moins répugantes ?
En hiver, sur une place publique, devant une foule hostile, qui ne lui a sans doute pas épargné ses quolibets ?
Pourtant, deux cents ans de "réflexion collective" (si une telle formule a un sens) après, je pense que les Français peuvent toujours en être fiers, de même que les Roumains auraient tort de ne pas être fiers du procès expéditif et de l'exécution hâtive et sans aucun ménagement (ni sadisme) des époux Ceaucescu dont on a heureusement aussi la video.
Ces images odieuses sont quand même plus réconfortantes que celles des enterrements de Staline ou Franco, par exemple, et nous permettent de fredonner de temps en temps les paroles de Prévert "il est fini le temps des vieux vieillards, le temps où c'était toujours le mousse qu'on bouffait".

8.Posté par Didierle Belge le 08/01/2007 14:39
Réponse à Alain Coulon !
C'est notre erreur de dire, par facilité, que nous résistons à un libéralisme anglo-saxon ! Et ce confort langagier fait le jeu de l'adversaire, car on lui attribue un qualificatif qu'il ne mérite pas.
Sur le plan économique, nous résistons à un conservatisme/libertarianisme inégalitaire d'origine germano-anglo-saxonne étranger à la culture française et écossaise ! Les grandes figures libérales du dix-neuvième aurait appelé ça "la réaction" ! Est dit libéral dans l'espace anglo-saxon toute personne favorable à une régulation de l'économie et des politiques sociales (sans nationalisation), l'équivalent chez nous d'une certaine "social-démocratie" ou de ce qu'on appelait ici comme outre-Manche "les (libéraux) radicaux" (c'est Mendes qui introduit Keynes en France). Se souvient-on que Thomas Paine, premier concepteur de l'idée de sécurité sociale et Girondin à la Révolution française était libéral ? Se souvient-on que Keynes et Beveridge (l'architecte de l'Etat-Providence) étaient membres du parti libéral démocrate britannique ? Se souvient-on que Roosevelt créa la politique sociale du New Deal en lisant John Stuart Mill et en correspondant avec Keynes ? Adam Smith n'a jamais dit "laisser-faire", puisque les Anglais ne traduisent pas ce terme ! C'est Vincent de Gournay sous Louis XV ! Et il parlait de l'agriculture, pas de la haute finance ! Ce sont des hommes de souche écossaise (Smith, Mill, Roosevelt, Beveridge, Keynes, Galbraith) qui donne une assise régulatrice au libéralisme anglo-saxon ! Ce sont les rejetons de l'Ecosse des Lumières qui a aussi marqué l'esprit de la révolution française et la franc-maçonnerie (de rite écossais) ! Smith a été très mal compris chez nous, de même que l'utilitarisme, qui a une finalité qualitative et d'intérêt public ! Pourquoi Stiglitz claquerait-il la porte du FMI, alors qu'il est spécialiste de l'Ecosse des Lumières et donc d'Adam Smith ? La révolution conservatrice intervient avec des économistes de souche austro-hongroise (Hayek/Friedman) qui ont réhabilié le naturalisme économique de Bastiat , fort apprécié par Giscard, Barre et Madelin mais dénoncé par Aron en 69. Ce grand libéral anti-monétariste pensait que le "libéralisme" d'Hayek ne pouvait s'imposer que par la voie despotique ! Ce fut le cas lorsque ses disciples furent derrière Pinochet ! Or ce libéral-libertarianisme à toujours accompagné les partis conservateurs depuis Spencer, artisan du darwinisme social et de l'anarcho-capitalisme qui désavoua les libéraux britanniques pour leur préférer les conservateurs au XIXè siècle déjà ! Le fils de Milton Friedman est leader du parti libertarien américain ! Ils sont obscurantistes, anti-rationalistes, anti-utilitaristes, anti-Lumières, et pour le capitalisme "darwinien" aculturel, an-historique et donc an-imalier en économie ! Voilà pourquoi depuis vingt ans et depuis Maastricht surtout, à gauche comme à droite, on n'y voit plus très clair !


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