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"Remanier est inadapté à la situation actuelle. Ce qu'il faut, c'est un changement d'orientation politique"


Entretien de Jean-Pierre Chevènement dans Nice Matin, vendredi 8 novembre 2013. Propos recueillis par André Fournon.


Pourquoi ce livre à la veille des commémorations du centenaire de l’éclatement de la Première guerre mondiale ?
Je me méfie des commémorations. Celles auxquelles nous allons devoir participer seront avant tout marquées par le sentiment de deuil, ce qui est normal, de l’absurdité, ce qui n’est pas évident, et de la repentance, ce qui est idiot. Pourquoi devrions-nous nous repentir ? Nous avons été agressés en 1914, nous nous sommes défendus. Les Poilus sont les héritiers des soldats de l’an II.

Votre approche va surprendre.
Personne n’imaginait, au moment de la déclaration de guerre, qu’elle allait durer aussi longtemps et revêtir des formes aussi atroces. Elle a ouvert le siècle des totalitarismes, du communisme, du fascisme et plus encore du nazisme. Ce qui est peu compris, c’est que la Première guerre mondiale est le début d’une guerre de trente ans.

L’armistice de 1918 n’aurait donc pas marqué la fin de la guerre ?
Les milieux dirigeants allemands qui vont dominer l’Allemagne jusqu’à
Hitler et même au-delà, n’acceptent pas la défaite en 1918. Pour eux, l’armistice est une trêve. La crise économique des années 1930 va gonfler par millions le nombre de chômeurs et ébranler les fondements mêmes de la société allemande qui va se jeter dans les bras d’Hitler.

Quelles leçons en tirez-vous ?
La base de mon livre est la comparaison des deux mondialisations. La première, sous l’égide britannique au XIXe siècle, dont l’issue est la guerre de 1914, et la deuxième qui commence avec la victoire des États-Unis en 1945 et s’épanouit jusqu’à aujourd’hui. Actuellement, on voit monter une nouvelle puissance, la Chine, un peu comme on avait vu monter l’Allemagne impériale. Il faut donc gérer avec beaucoup de précaution le rapport que nous avons avec la Chine.

Pourquoi rebattre les cartes de la construction européenne ?
Parce que Jean Monnet a fait l’Europe contre les nations alors qu’il faut faire l’Europe dans le prolongement des nations. Une autre Europe que cette Europe des vingt-huit où nous ne pesons pas. Si on veut que la France existe, il faut une grande Europe où elle pourra jouer un rôle d’équilibre entre toutes les nations européennes notamment l’Allemagne et la Russie.

Comment a évolué le rapport franco-allemand ?
Ce sont deux nations qui ont su se reconstruire en miroir l’une de l’autre. Mais cette époque-là est terminée. Même si l’Allemagne est devenue le numéro un économique, elle besoin de la France qui politiquement reste le pays disposant d’un siège permanent au conseil de sécurité des Nations Unies, d’une capacité de dissuasion, d’une capacité de projection mais dont il faut interrompre la désindustrialisation. Français et Allemands doivent mieux se comprendre et travailler ensemble, avec d’autres pays, pour créer une sorte de confédération européenne qui nous permettra de rester autonomes vis-à-vis des puissances américaine et chinoise. Les Américains sont nos alliés mais nous ne voudrions pas être leur caniche.

Que proposez-vous pour guérir la France « malade de la monnaie unique » ?
Un système où l’euro serait un panier de monnaie que tout le monde aurait en commun mais où il y aurait des monnaies nationales pouvant fluctuer dans des parités négociées par rapport à l’euro.Ce serait quelque chose de beaucoup plus fécond. Le passage de la monnaie unique à la monnaie commune devra s‘organiser avec l’Allemagne, d’une manière concertée. On ne peut pas accepter une monnaie qui oblige la moitié de l’Europe à vivre dans un équilibre de sous-emploi.

Vous n'êtes pas seul à dénoncer l'euro, le FN fait lui aussi campagne contre la monnaie unique.
Je vous ferai remarquer que j'ai démissionné du gouvernement en mars 1983 contre la monnaie forte. Le FN n'existait pas à l'époque. Il a existé six mois après à Dreux et aux européennes de 1984. Donc, je revendique l'antériorité si vous le permettez. Je précise que mon discours n'est pas anti-européen. Je suis très européen mais pas du tout européiste.

Comment réagissez-vous à la montée du FN ?
Quand j'écoute Marine Le Pen, je trouve qu'elle a changé le discours de son père. C'est évident. Mais est-ce que le FN a changé de nature ? Est-ce qu'il ne reste pas, par définition, un parti qui, s'il venait au pouvoir, serait pour la France dans le monde un symbole catastrophique ? Il faut faire évoluer les partis dits de gouvernement pour les amener sur des idées saines.

Que pensez-vous de la situation très compliquée dans laquelle se trouve François Hollande ?
Il est l’héritier d’une politique qui dure depuis trente ans. Il lui reste du temps et je ne suis pas du tout convaincu par la possibilité de remonter notre handicap de compétitivité par de simples réformes structurelles. Comme le dit Louis Gallois, le cours surévalué de l’euro est un très lourd handicap pour la réindustrialisation de la France. Regardez les Anglais ; ça repart parce qu’ils ont laissé filer la livre de 20 %. La monnaie permet de faire un ajustement rapide et, si nous le faisions, vous verriez que l’économie française repartirait, les entreprises réembaucheraient et l’optimisme renaîtrait.

Pourquoi ces couacs à répétition au sein du gouvernement ?
Je crois que le Parti socialiste devrait d´abord faire la police en son sein. Quand je vois la fédération des lycéens appeler à manifester alors qu’elle est largement d’obédience socialiste, je pense que le PS devrait mettre un peu de cohérence dans son action. Avec une unité à la fois dans le commandement et l’exécution.

Est-il temps de procéder à un remaniement ?
Remaniement est un mot inadapté à la situation actuelle. Ce qu’il faut, c’est un changement d’orientation politique. Je pense que s’il y avait au gouvernement des gens qui veuillent vraiment ce changement, ça changerait le climat.

Faut-il changer certains ministres ?
J’ai beaucoup d’estime pour Jean-Marc Ayrault qui est un homme loyal, courageux, et qui agit dans des marges étroites. Il y a beaucoup de bons ministres. Je ne vais pas les citer tous, mais je considère que Monsieur Le Drian, Monsieur Sapin sont de bons ministres. Il y en a d’autres. Monsieur Valls est un bon ministre de l’Intérieur. Lorsque Monsieur Montebourg essaie de faire la promotion du fabriqué en France, il agit dans la bonne direction. Ce qu’il faut, c’est une vision et une cohérence.

L’opposition accuse François Hollande d’abaisser la fonction de Président. Est-il mal conseillé ?
Je ne veux pas donner dans le Hollande bashing, ça me paraît tout à fait insupportable. Je pense que François Hollande aimerait un peu contenter tout le monde, donner satisfaction aux uns et aux autres car sa nature est plutôt consensuelle.

Source : Nice Matin

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Découvrez le nouveau livre de Jean-Pierre Chevènement 1914-2014 : l'Europe sortie de l'histoire? (éditions Fayard)


le Samedi 9 Novembre 2013 à 08:47 | Lu 2690 fois



1.Posté par Léonard NORMAND le 10/11/2013 16:12
"Elle a ouvert le siècle des totalitarismes, du communisme, du fascisme et plus encore du nazisme."
Cette phrase mettant sur un pied d'égalité communisme et fascisme me choque beaucoup.
Je pense qu'un homme adhérent dans les années 30 au parti communiste n'était pas mu parles mêmes idéaux qu'un homme qui adhérait au parti nazi.
Cette phrase est une concession à l'air du temps, dommage

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