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"Pourquoi j'ai repris ma liberté"


Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé aux Dernières Nouvelles d'Alsace, vendredi 19 juin 2015.


"Pourquoi j'ai repris ma liberté"
DNA : Dans quel état d’esprit êtes-vous après avoir démissionné du MRC, que vous aviez fondé ?
Jean-Pierre Chevènement : Je suis à la fois peiné et soulagé, dans l’état d’esprit de quelqu’un qui estime qu’il vaut mieux explorer un chemin certes difficile mais nouveau que de s’entêter dans une impasse. Un parti, surtout s’il est très petit, est prisonnier de sa logique. Moi je suis enfin libre. J’ai toujours vécu à voix haute et je continuerai à m’exprimer sur tous les sujets qui concernent l’avenir de la France : la monnaie unique, la crise grecque, la désindustrialisation, le chômage, la crise ukrainienne, le terrorisme et Daech, etc. Je garde le contact avec tous ceux qui cherchent une issue authentiquement républicaine aux problèmes du pays, sans exclusive.

Vous avez cosigné un appel contre la réforme du collège avec Luc Ferry et François Bayrou, deux ex-ministres de l’Éducation comme vous, mais dans des gouvernements de droite. Pourquoi ?
Tout ancien ministre de l’Éducation Nationale a une responsabilité vis-à-vis de la jeunesse qui transcende les clivages partisans. L’école, est une institution de la République. Elle doit former des citoyens, par la transmission des savoirs et des valeurs. Or, la réforme des collèges ne va pas du tout dans ce sens. Elle s’inscrit dans la continuité d’une tout autre inspiration dite « pédagogiste », ou si vous préférez soixante-huitarde : l’objectif n’est plus la transmission des connaissances, mais le façonnement d’un homme nouveau. Utopie ruineuse, qui explique en grande partie l’affaissement de l’école depuis deux décennies ! La réforme des collèges supprime 20 % des enseignements disciplinaires pour mettre à la place des « enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) dont le flou est révélateur : « corps, santé, bien-être et sécurité », « monde économique et professionnel », « transition écologique et développement durable »… Bref, du chewing-gum !

Vous défendez « l’élitisme républicain ».
Oui, je définis celui-ci comme « la possibilité donnée à chacun d’aller au bout de ses capacités ». C’est cela l’égalité, et non pas l’égalitarisme niveleur. Je reprends à mon compte l’objectif assigné à l’École à la Libération par Paul Langevin, qui était communiste : « La promotion de tous et la sélection des meilleurs. » Pourquoi supprimer le latin et le grec qui nous rattachent aux origines de notre civilisation, ou les classes bilangues qui ont permis d’enrayer le déclin de l’allemand ? Un enseignement de qualité tirera tous les élèves vers le haut, alors que la théorie qui a consisté, depuis la loi d’orientation de 1989, à « mettre l’élève au cœur de l’école » et non plus le Savoir, nous donne aujourd’hui, à la sortie, le sauvageon.

On vous accuse de vouloir transformer l’histoire de France en un « roman national »
Non, je suis contre le « roman national » mais je crois à la nécessité du récit national. Celui-ci doit être objectif. Il ne doit pas être tourné systématiquement vers les ombres de notre histoire (le colonialisme, la traite négrière ou encore la collaboration de Vichy), mais mettre en valeur notre Histoire : les Lumières, la Révolution, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et ceux qui n’ont pas failli : les soldats de l’an II, les poilus, les Résistants, etc. En réalité, ce n’est pas le mot roman qui gêne, c’est le mot national. Et moi j’assume la Nation. Celle-ci est le cadre de la démocratie et de la solidarité : le sentiment d’appartenance est le fondement de la démocratie. Comment, autrement, la minorité pourrait-elle accepter la loi de la majorité ? Le récit national, sans cesser d’être objectif, doit faire aimer la France. Sinon, comment celle-ci pourrait-elle intégrer les nouvelles générations, notamment celles issues de l’immigration ?

N’était-ce pas une erreur de viser, en tant que ministre de l’Éducation, 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac ?
J’ai peut-être commis une erreur de communication. Je parlais de « niveau » (la terminale), pas de diplôme presque automatiquement délivré. Aujourd’hui on est à 77 % de bacheliers, mais au prix de notes « cassées ». Je ne trouve pas normal de sacrifier l’orthographe, ou de faire passer les candidats qui n’ont que 9, voire 8,5 de moyenne. Mon objectif était d’élever le niveau général, pas de « faire du chiffre » et leurrer l’opinion. L’élitisme républicain consiste à faire aller de pair la qualité et la quantité.

Vous tendez la main au souverainiste Dupont-Aignan…
L’intérêt public implique le dépassement des sectarismes. J’ai toujours entretenu un bon dialogue avec les gaullistes de gauche, depuis les années 1970. Déjà avec le Pôle républicain et ma candidature à la présidentielle de 2002, je m’étais fixé comme objectif de dépasser des clivages devenus obsolètes, au moins depuis le traité de Maastricht (1992). On ne peut pas sortir la France de l’ornière néolibérale en s’appuyant sur une gauche devenue majoritairement social-libérale. J’ai défini deux marqueurs parmi ceux qui, me semble-t-il, pensent comme moi que la nation doit être centrale pour le redressement de l’Europe : Jean-Luc Mélenchon, bien qu’il confonde encore trop souvent la nation et le nationalisme, et Nicolas Dupont-Aignan. J’aurais pu en citer beaucoup d’autres : tous ceux qui sont restés gaullistes à droite et ceux qui sont authentiquement républicains à gauche sont concernés !

Pas Marine Le Pen ?
Je ne fais pas de procès d’intention. Je constate : Marine Le Pen hérite d’un passé très chargé. Ses idées sont simplistes quand elles ne sont pas dangereuses. Le FN ne dispose pas d’un personnel à la hauteur pour gouverner. Sa venue au pouvoir serait une catastrophe pour l’image de la France dans le monde. Ça fait beaucoup !

Et Florian Philippot, qu’on dit « ancien chevènementiste » ?
Personnellement, je ne connais pas Florian Philippot. Il se réclame de moi, mais moi je ne me réclame pas de lui. Il y a beaucoup de gens qui se réclament du chevènementisme mais je suis encore capable de reconnaître les miens !

La Grèce doit-elle quitter l’euro ?
Le bon sens consisterait à créer un euro-drachme dont la valeur serait 30 % inférieure à celle de l’euro, pour permettre à la Grèce de relancer son économie. Depuis 2009 on a la preuve que les dévaluations internes par la baisse des salaires et des retraites ne règlent rien. Bien au contraire, elles précipitent les pays dans la récession. La Grèce a perdu le quart de son PIB. Remettre en marche la mécanique grecque passerait aussi par l’annulation d’une partie de sa dette, pour la ramener à environ 120 % de son PIB, contre 180 % aujourd’hui.

Vous avez de nombreux désaccords sur la politique extérieure de la France
Nullement par plaisir : je suis légitimiste. Je ne conteste pas le Président de la République, mais je crois nécessaire d’exprimer ce qui me paraît être l’intérêt national. On sanctionne la Russie mais on oublie de dire que les accords de Minsk ne sont pas respectés par l’Ukraine qui refuse d’appliquer leur volet politique, notamment sur l’autonomie des régions de l’est. Sur la Syrie, je crains qu’à force de poser comme préalable le départ d’Assad, on ne finisse pas installer dans toute la Syrie le pouvoir de Daech ! Ce sont des réflexions de bon sens !

À l’heure où vous prenez un nouvel envol solitaire, quel bilan tirez-vous des partis que vous avez fondés, le MDC et le MRC ?
Je ne suis pas si solitaire que cela. Simplement je ne veux pas mourir idiot. Et il y a au moins deux députés venus du MRC qui n’en ont pas non plus envie*. Après Maastricht dont nous avions prévu les conséquences néfastes, nous avons essayé de trouver dans le peuple un recours pour relever la France à partir de la gauche. C’était très difficile. Les gens confondaient la gauche et le PS. En tendant la main, en 2002, aux républicains de l’autre rive, j’ai ouvert un chemin de vérité.

Bien sûr, le scrutin majoritaire a favorisé un bipartisme trompeur entre le PS et l’UMP. La politique de ces deux partis, prisonniers des mêmes choix erronés faits à Maastricht, a fait le lit du FN. Mais il y a encore place pour une alternative républicaine. Le MDC depuis 1992, le pôle républicain de 2002 et le MRC depuis 2003, ont semé. Je fais le pari qu’il y a dans la jeunesse et dans la conscience de notre peuple des forces qui n’ont pas encore donné et qui veulent continuer l’Histoire de la France, avec la République, et non pas en lui tournant le dos ! Je reste entreprenant et combatif !

Source : DNA


le Vendredi 19 Juin 2015 à 13:52 | Lu 4989 fois



1.Posté par Thierry Lucas le 19/06/2015 20:00
"Face à l'évènement, c'est à soi-même que recourt l'homme de caractère. Son mouvement est d'imposer à l'action sa marque, de la prendre à son compte, d'en faire son affaire" écrivait De Gaulle dans "Le Fil de l'épée". À l'évidence Jean-Pierre Chevènement est de cette trempe là. Son initiative mérite non seulement d'être saluée mais appelle le concours de tous ceux qui ne se résignent pas à l'impuissance.
Thierry Lucas, ancien conseiller régional de Picardie

2.Posté par Jp JP le 20/06/2015 12:26
MLP pourrait facilement retourner le propos de jp Chevènement : « le PS dispose-t-il d’un personnel à la hauteur pour gouverner ? La venue au pouvoir de FH n’est-t-elle pas une catastrophe pour l’image de la France dans le monde ? » Réponse à ces 2 questions : affaires DSK (moralité), Cahuzac (mis en examen pour fraude fiscale; mensonge), Thèvenoud (contribuable non déclarant), Aquilino Morel (fait cirer ses 40 paires de pompes logées dans un local proche de l’Elysée/un cireur professionnel), etc…pour ne citer que les comportements les plus « sérieux » qui écornent….la compétence ! C’est la « république exemplaire » de FH le père fondateur ! ….Oui, ça fait beaucoup.

3.Posté par Jp JP le 20/06/2015 14:22
Pour le « récit national » de JPChevenèment, à propos de la vague d’immigration incontrôlée, il pourrait lui être inclus la métaphore « présidentielle » suivante : Selon Mr Nicolas "il y a une canalisation qui explose.....
l'eau se déverse dans la cuisine. Le réparateur arrive et dit, j’ai une solution : on va garder la moitié pour la cuisine, mettre un quart dans le salon, un quart dans la chambre des parents et si ça ne suffit pas il reste la chambre des enfants».
Oui, ça se passe ainsi à Bruxelles (belgique !)....les responsables de l'UE sont bêtes, poltrons, fainéants et trop payés. La France en profite....contemplons !

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