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Plutôt l’activisme que la mollesse


Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat sur le projet de loi « Lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs », mardi 1er mars 2011.


Plutôt l’activisme que la mollesse
Monsieur le ministre,

L’adoption du présent projet de loi mettra enfin la France en conformité avec les obligations qui découlent de la résolution 1540 adoptée le 28 aout 2004 par le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU).

On peut se demander pourquoi il aura fallu près de sept ans à la France pour réaliser cette mise en conformité, alors que dès la chute du régime taliban, en 2001, les services de renseignement américains faisaient savoir l’intérêt d’Al Quaida pour recueillir les éléments nécessaires à la confection d’une arme nucléaire.

C’est en 2003, après l’arraisonnement dans les eaux italiennes du cargo allemand BBC China transportant des centrifugeuses, que la Libye avait révélé les activités du réseau semi-privé du docteur Abdal-Quader-Khan pour approvisionner ses commanditaires à travers de multiples ramifications, en matière nucléaires, équipements, modes d’emploi permettant la réalisation, in fine, d’une arme nucléaire.

Dès mai 2003, le Président Bush avait lancé une initiative de sécurité contre la prolifération dite PSI, coalition fonctionnelle regroupant 90 Etats autour d’un noyau dur de 20 pays.

Cette initiative visait à la mise en commun des moyens de contrôle et de surveillance des trafics de composants d’AMD et de leurs vecteurs.

La résolution 1540 du CSNU, sans mentionner cette initiative, est venue la codifier, au moins partiellement. Cette résolution prescrit aux Etats de se doter d’une législation réprimant les activités d’acteurs non étatiques en matière de prolifération d’AMD et de leurs vecteurs, de mettre en place des dispositifs intérieurs de contrôle –comptabilisation-, protection physique, contrôle aux frontières et d’agir avec l’aval de leurs activités judiciaires et dans le respect du droit international.

L’Union européenne avait adopté, en 2003, une stratégie européenne de non prolifération, complétée en 2008, sous présidence française, d’un plan d’action contre la prolifération des armes nucléaires, radiologiques et chimiques. Enfin on ne compte plus les nombreuses initiatives internationales dont les principales sont :
  • Le partenariat mondial du G8 de juin 2002 au sommet de Kananaskis
  • La « global Threat Reduction Initiative » GTRI, lancée en 2004 par les Etats-Unis en liaison avec l’AIEA dont le fonds de sécurité nucléaire est alimenté par les contributions volontaires des Etats
  • La « global Initiative to combat the nuclear terrorism » (GICNT) a été prise en 2006 par les Présidents Bush et Poutine.
  • Dans son discours de Prague, le 5 avril 2009, le Président Obama a qualifié la menace de terrorisme nucléaire comme étant « la plus immédiate et la plus extrême pour la sécurité du monde ».
  • En avril 2010 un sommet mondial sur la sécurité nucléaire s’est tenu à Washington. Il a permis de ratifier la convention sur la protection physique des matières nucléaires et son amendement de 2005, de mettre l’accent sur le recensement des matières sensibles et d’encourager la minimisation des usages civils de l’uranium hautement enrichi.

    On peut donc s’étonner du retard avec lequel ce projet de loi vient devant le Parlement.

    Ce n’est qu’en novembre 2006 que le Premier Ministre a confié au Secrétaire général de la défense nationale le soin d’effectuer un diagnostic interministériel sur le l’ensemble de notre arsenal juridique en matière de lutte contre la prolifération des AMD et de leurs vecteurs.

    Enfin mieux vaut tard que jamais ! Notre législation actuelle résulte de l’empilement de strates successives de 1972 à 2010.

    Il est bon d’harmoniser les dispositions régissant les trois domaines nucléaire, biologique et chimique, en aggravant notamment les peines frappant les activités menées en bande organisée, afin de lutter contre le développement des réseaux, ainsi que le financement des actes contribuant à la prolifération. Il était également nécessaire de renforcer et d’élargir le dispositif répressif lié à la prolifération.

    On ne peut que se réjouir enfin de la centralisation des poursuites et des jugements au TGI de Paris sur le modèle éprouvé de la législation antiterroriste.

    L’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité le 25 novembre 2010 le projet de loi et votre commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose d’en faire autant.

    Je me bornerai donc à faire quelques observations :

    1- Ce projet de loi sera utile, notamment en ce qu’il définira un modèle pour d’autres pays dans un domaine dont on ne saurait sous-estimer l’importance stratégique.

    2- On ne doit cependant pas se dissimuler que la plupart des trafics se déroulent hors du territoire national. L’adoption de la loi doit donc être relayée par une intense activité de coopération internationale en matière de renseignements et en tous domaines, policier, douanier, fiscal, maritime, aérien…

    3- On peut s’étonner de deux omissions :

    a- le texte du projet de loi ne vise pas la confection de bombes radiologiques dites encore bombes sales, dont le risque paraît plus élevé que celui de la fabrication ou du vol d’une arme nucléaire proprement dite, dont la mise en œuvre par un vecteur approprié ne va pas de soi.
    Notre rapporteur, M. André Dulait, nous indique que le gouvernement préparerait un projet de loi sur la protection des sources radioactives. Je souhaite que vous nous le confirmiez et que vous nous indiquiez le délai nécessaire au dépôt de ce projet de loi sur le bureau des Assemblées.

    b- De même aucune disposition n’est prévue pour faire face aux attaques éventuelles dans le cyberespace. Ne serait-il pas temps là aussi de demander au SGDN de faire des propositions ?

    4- Enfin l’intérêt apporté à la lutte contre la prolifération émanant d’acteurs non étatiques ne doit pas nous détourner de la lutte contre la prolifération d’origine étatique, tant il est vrai que les trafics illicites se nourrissent des comportements proliférants d’Etats n’ayant pas souscrit au TNP ou à d’autres instruments juridiques internationaux ou ne se conformant pas à leurs obligations.

    a- Ainsi trente trois Etats n’ont toujours pas ratifié la convention d’interdiction des armes biologiques et sept ne sont pas parties à la convention d’interdiction des armes chimiques. Dans les deux cas, il y a la Syrie, l’Egypte et Israël. La Convention d’interdiction des armes biologiques souffre de l’absence d’un mécanisme d’inspection et de vérification. Quelles initiatives comptez-vous prendre pour y remédier ?

    b- Enfin la prolifération balistique ne peut être enrayée à travers le régime de contrôle de technologie des missiles MTCR créé en 1987 ni par le Code de conduite de La Haye de novembre 2002 qui n’est pas contraignant.

    c- Notons enfin que le projet de traité dit « cut off » interdisant la production de matières fissiles à usage militaire est en panne du fait du veto pakistanais à la Conférence du Désarmement et du refus par la Chine de tout moratoire sur la production de ces matières. Quelles initiatives le gouvernement français compte-t-il prendre dans ce domaine qui fonde la crédibilité de la lutte contre cette prolifération ?

    d- Notons enfin que l’Administration américaine ne semble pas en mesure de faire ratifier le traité d’interdiction des essais nucléaires par le Sénat américain, faute de la majorité des deux tiers nécessaire à cet effet.

    La lutte contre la prolifération est un tout. On aimerait que le gouvernement nous donne une vue d’ensemble de la manière dont il voit l’application des résolutions de la Conférence d’examen du TNP de mai 2010. Dans ces domaines complexes la vigilance ne doit jamais se relâcher. Il vaudrait mieux que le gouvernement soit critiqué pour son activisme que pour sa mollesse.

    Sous ces réserves, le groupe RDSE votera le projet de loi.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mardi 1 Mars 2011 à 17:05 | Lu 2183 fois


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