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Non au déclassement stratégique de la France


Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat, lors du débat sur Livre blanc de la défense, mardi 28 mai 2013.


Non au déclassement stratégique de la France
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre
Messieurs les ministres,

Dans ces temps de grande disette budgétaire, nous apprécions que vous ayiez su obtenir du Président de la République le maintien à son niveau actuel de notre effort de défense, c'est-à-dire 31,4 milliards d’euros pour le budget de la Défense en 2014.

Ce résultat est à porter à votre actif, M le Ministre de la Défense et du renfort que vous ont apporté tous ceux qui, au Sénat, avec le Président de la commission des affaires étrangères et des forces armées, ont aidé à éviter, au moins pour le moment, le déclassement stratégique qu’eût entrainé une baisse significative des crédits militaires. Le risque a été écarté aussi par l’éclatante démonstration d’efficacité qui a été faite par nos soldats, appelés à sauvegarder l’intégrité, la souveraineté et la liberté de la République du Mali.

Le Président de la République a annoncé que nos forces armées disposeraient de 365 milliards d’euros sur la période 2014-2025, dont 179,2 pour celle couverte par la loi de programmation militaire de 2014 à 2020.

Pour maintenir une France forte, le Président de la République a estimé ce chiffre réaliste. Il faudra faire avec.

J’approuve par ailleurs le recentrage opéré par le Livre blanc 2013 sur l’Afrique, notamment sahélienne, de la définition de notre zone d’intérêts prioritaires. Je l’avais déjà réclamée, mais en vain, lors du débat du 15 juillet 2009 sur l’adoption de la loi de programmation militaire 2008-2013.

Certaines orientations positives du Livre blanc de 2008 ont été confirmées comme l’accent mis sur la connaissance et l’anticipation.

Nous sommes évidemment concernés par la montée des tensions en Asie, ne serait ce que par le «pivotement » des forces américaines, de l’Atlantique vers le Pacifique, qui obligera l’Europe, dans l’avenir, à pourvoir davantage à sa défense. Or force est de constater que la plupart des pays européens, à l’exception de la Grande-Bretagne et de la France, se sont installés dans un climat de fausse sécurité.

Non pas vis-à-vis de la Russie qui n’est plus une menace militaire pour l’Europe, mais est davantage préoccupée par la montée de l’islamisme radical dans le Caucase et l’Asie centrale.

Que la Russie soit aussi une puissance énergétique de première grandeur ne constitue pas davantage une menace, mais au contraire une opportunité. Le fournisseur, qui n’est d’ailleurs pas le seul, dépend autant du client que celui-ci de celui-là.

Les « menaces de la faiblesse », notamment en Afrique, me paraissent autrement plus graves. C’est de ces menaces que la plupart des pays européens n’ont pas pris conscience. Les pays du Nord de l’Europe s’en sont remis, un peu trop facilement, aux pays du Sud de garder leurs frontières, et aux Etats-Unis et à la France, de préserver l’équilibre fragile, du Moyen-Orient, pour les premiers, et de l’Afrique pour la seconde.

L’Europe serait bien avisée d’aider à la formation d’armées africaines opérationnelles et à la constitution, à l’échelon régional, de forces de réaction rapides africaines, à partir d’états-majors permanents capables d’entraîner régulièrement des unités professionnelles dédiées dans chaque pays. C’est ce qui a manqué à la CEDEAO et a obligé la France à intervenir en premier au Mali, à l’appel de ses autorités légitimes, parce qu’elle seule pouvait le faire. Je constate que la France contribue pour la moitié à la force européenne, d’ailleurs insuffisamment calibré, de formation des forces maliennes.

Dans l’immédiat, vous avez conjuré, Monsieur le Ministre de la défense, le risque d’un déclassement stratégique de la France. Mon groupe vous en sait gré.

Mais ce risque n’est pas écarté pour toujours par l’arbitrage du Président de la République. Je ne parle pas seulement des recettes exceptionnelles-5,9 milliards- qu’il faudra trouver et, je l’espère, autrement que par la liquidation des participations de l’Etat dans le secteur des industries de défense.

Non, je veux surtout parler de la dégradation de notre situation économique et par conséquent budgétaire, qui résulte de la mécanique mise en place par le traité dit TSCG, dont les effets récessifs, en Europe, risquent de se faire sentir durant une longue période.

En effet, les moteurs de la croissance-consommation, exportations, investissement- y sont en panne, sauf peut-être, encore que faiblement, en Allemagne. Celle-ci consacre d’ailleurs à sa défense des crédits légèrement supérieurs aux nôtres, en volume. L’Allemagne a entrepris de professionnaliser, à son tour, son armée. Ses capacités en seront accrues, mais dans le cadre de l’OTAN. Celle-ci vaut, aux yeux de son opinion, fondamentalement pacifiste, comme une sorte de traité de réassurance, contre des dangers qu’elle a d’ailleurs de la peine à discerner.

La dissuasion nucléaire est garantie par les déclarations du Président de la République, mais pour combien de temps ?

On entend de plus en plus s’élever des voix qui se plaignent de l’effet d’éviction qu’elle exercerait sur les crédits attribués aux forces conventionnelles. Ces critiques à courte vue oublient que la dissuasion est l’outil de notre autonomie stratégique et politique et qu’elle seule peut garantir le maintien d’une diplomatie indépendante et nous tenir à l’abri de guerre qui ne seraient pas les nôtres.

Le Président Obama vient d’affirmer sa volonté d’aller plus loin que le Traité New Start dans la voie du désarmement nucléaire. A tous ceux qui se laisseraient porter par l’opinion, je veux rappeler que les Etats-Unis disposent aujourd’hui de 1654 têtes nucléaires déployées, sans compter les milliers de têtes non déployées qui n’ont jamais été incluses dans un accord. En regard, la France dispose de moins de 300 têtes, c’est à dire beaucoup moins que la Russie et même que la Chine. Le principe de la stricte suffisance nous interdit de descendre en dessous de quatre sous marins lanceurs d’engins et de deux escadrons aériens. Si les armes nucléaires tactiques américaines étaient retirées d’Europe, nous serions le seul pays en dehors de la Russie, à disposer d’armes nucléaires sur le continent. C’est une garantie de l’équilibre et de la paix sur celui-ci. C’est pourquoi nous ne sommes pas membres du « groupe des plans nucléaires » de l’OTAN, et devons continuer à nous en tenir à l’écart.

Sans doute, avez-vous raison d’affirmer l’objectif d’une défense européenne, comme le croyant, l’existence de Dieu. Mais la volonté politique chez nos partenaires, fait aujourd’hui défaut. Comme le dit le traité de Lisbonne de 2008, les pays de l’Union européenne membres de l’OTAN contribuent à l’élaboration et à la mise en œuvre de leur défense dans le cadre de cette alliance. Même après avoir rejoint, en 2012, l’organisation militaire intégrée de l’OTAN, la France ne peut renoncer à assurer elle-même, en ultime ressort, le soin de sa défense.

C’est la condition de notre indépendance et donc du maintien de l’esprit de défense dans le pays.

La République française est aujourd’hui confrontée au défi de l’islamisme radical. Il ne faut surtout pas confondre celui-ci avec l’Islam qui est la religion de 1200 millions d’hommes et de femmes. Nous devons tout faire, au contraire pour aider les peuples musulmans, dans le respect de leur authenticité, à trouver leur place dans le monde moderne.

A ce défi, la sophistication des armements n’est pas une réponse suffisante. La bonne réponse est d’abord humaine et politique.

A cet égard, je ne saurais trop approuver le principe de la différentiation des forces posées par le Livre blanc. Evitons, par une course excessive à la technologisation, de réduire encore le nombre des hommes dans les armées.

Nous avons besoin de soldats qui comprennent d’autres civilisations que la nôtre. C’était jadis une des traditions de l’armée française. Elle a donné les Lyautey, les Gallieni, les Charles de Foucauld, et combien d’autres ! Il serait temps de réinvestir dans la formation des officiers le champ de la compréhension humaine, et de favoriser l’apprentissage des langues, orientales et africaines. Cela couterait moins cher que les missiles guidés avec précision, mais ce ne serait pas de l’argent perdu !


Rédigé par Chevenement.fr le Mardi 28 Mai 2013 à 17:30 | Lu 3102 fois



1.Posté par Eric CAVALIER le 28/05/2013 18:39
Le "maintien de l'esprit de défense" est la clef, mais il est rarement évoqué dans le discours public, parce que l'Europe, l'OTAN, le matérialisme quotidien, l'abandon du service national concourent à créer un faux sentiment de sécurité et que l'attachement patriotique est aujourd’hui considéré comme dépassé. Tant que l'éducation nationale ne remettra pas à l'honneur dans les manuels l'histoire de France, la chronologie, la relation affective et non partisane à la patrie, les racines de cet esprit feront défaut. Parallèlement, notre diplomatie doit être plus affirmée et convaincue d'elle-même, sortir de ses complexes -qu'ils soient de supériorité, d'infériorité ou de culpabilité... et ne pas céder sur ce qui constitue encore -et je crains pour peu de temps hélas- le deuxième empire maritime du monde. Ce n'est pas avec un seul porte-avions et une réduction de la flotte aérienne déjà bien maigre que l'on défend un tel territoire, ni que l'on crédibilise notre diplomatie. Ce n'est pas non plus en fermant les yeux successivement sur les pertes de contrôle sur le capital de Renault Trucks (= Renault Défense qui venait d'absorber Panhard), puis EADS, puis la sous-traitance Latécoère et Dieu sait ce qui se prépare au nom d'impératifs comptables, que l'on soutient l'industrie ni l'indépendance nationale (on le voit avec les drones). Que l'on se souvienne que le souffle de libération de la France en 1940 est d'abord venu de nos terres et mers éloignées... Non au renoncement de l'élite à la France si l'on veut encore croire à l'esprit de défense.

2.Posté par Yvon GRINDA le 29/05/2013 16:44
"Nous avons besoin d'hommes qui comprennent d'autres civilisations" et particulièrement le monde arabo-musulman qui est la clef de voûte du monde méditerranéen dont nous faisons partie : cela est effectivement fondamental. Souvenez vous de de Lesseps qui conquit le faveur des bédouins par une maîtrise de l'arabe et surtout en tant que grand cavalier l'amour du cheval et des fantasias : l'affect est le ferment de la fraternité. Le canal de Suez qui en est résulté ne fut donc pas britannique !
Pourquoi à l'éducation nationale , comme on le faisait jadis (sans le dire) promouvoir des classes méritantes par le choix première langue du latin puis après de l'allemand en le faisant désormais par l'enseignement de l'arabe ? (en évitant une communautarisation comme je l'ai vu dans la banlieue parisienne d'un refus à quelqu'un qui n'avait aucune ascendance maghrébine)
Merci au précédent intervenant de souligner l'apport des territoires dits "coloniaux" aux trois guerres (1870-1914-1940) et la la dernière de l'exploit des tirailleurs algériens au Monte Cassino et du débarquement en Provence des dits "pieds-noirs" avec le Gal Delattre de Tassigny


3.Posté par Carl GOMES le 29/05/2013 23:49
Le budget est maintenu, mais les emplois?
J'apprends la suppression de 24000 postes dans l'armée d'ici 2019 à rajouter aux 50000 suppressions de Sarkozy.
Et quels postes propose t'il à la place? Aucun!
Il n'y a pas besoin d'avoir fait l'ENA pour voir que cela va créer 75 000 chômeurs de plus!
Et ce monsieur croit avec celà qu'il va faire s'infléchir la courbe du chômage d'ici un an?
Les faits ont des causes et ne relèvent pas de la magie. La croissance ne provient pas de la "confiance", comme disent certains économistes.
Par ailleurs le problème du financement des retraites s'accentue. Bercy ne propose rien. Car rien n'a été fait ni proposé depuis 1 an.

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