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"La Turquie porte une certaine responsabilité dans le développement de Daesh"


Jean-Pierre Chevènement était l'invité de RFI, mercredi 2 décembre 2015. Il répondait aux questions de Frédéric Rivière.


  • J'ai été surpris de la démarche dans laquelle l'UE a été entraînée. Je pense que la Turquie porte une certaine responsabilité dans le développement du soi-disant État Islamique, et dans la prise de contrôle de régions entières de la Syrie. La Turquie a une longue frontière avec la Syrie, et on sait qu'elle n'a pas fait tout ce qu'il fallait pour endiguer Daesh, on l'a vu au moment des combats autour de la ville de Kobané. Donc je pense que la Turquie a à se mettre en règle avec la communauté internationale, qui a autorisé tous les moyens nécessaire contre Daesh. La balle est plutôt dans le camp de la Turquie, or on a l'impression que par une habile diplomatie, les choses ont été renversées. C'est l'UE qui va avancer 3 milliards d'euros pour permettre à la Turquie de retenir des réfugiés syriens. C'est méconnaître la nature du conflit syrien que de penser qu'un certain nombre de pays, dont la Turquie, n'y sont pour rien.
  • A mes yeux, il est incontestable que les flux pétroliers dont disposent Daesh ne peuvent s'écouler qu'à travers la frontière turque.
  • L'objectif d'une grande coalition unique est souhaitable. Il se heurte au fait que les pays participants ont des agendas différents. Ce que j'ai dit sur la Turquie tout à l'heure ne doit pas faire croire que je n'ai pas de compréhension pour les problèmes qu'affrontent la Turquie. Il est évident qu'un état kurde indépendant est insupportable pour la Turquie, qui défend son intégrité territoriale. Le problème kurde doit être résolu à travers des dispositions qui débouchent sur une certaine décentralisation ou régionalisation. Mais pour autant la Turquie n'est pas délivrée des obligations qu'elle a vis-à-vis de la communauté internationale. On ne peut pas laisser une organisation comme l'Etat Islamique disposer d'un territoire à partir duquel elle fomente des attentats dans le monde entier. Nous sommes tous menacés, pas seulement les Occidentaux, mais les musulmans eux-mêmes, ceux qui sont considérés comme mécréants, apostats, ainsi que les juifs et les « croisés ». Par conséquent il n'y a aucun pays qui ne soit pas menacé, donc il faut une coalition générale.

  • Je pense que l'évolution de la politique française vers la Russie est normale, et je tiens à saluer les efforts qu'a fait le Président de la République pour y arriver. Je pense que quand on regarde les choses au sol, il y a 100 000 soldats syriens, moins de 10 000 rebelles dits modérés, si tant est que cette expression a un sens. Elle doit avoir un sens pour quelqu'uns d'entre eux. Mais rapidement on s'aperçoit que la rébellion était surtout islamiste.
  • Le problème c'est de rendre le régime syrien différent, de rendre le gouvernement syrien plus représentatif qu'il n'est aujourd'hui, en s'appuyant non seulement sur les minorités, qui sont nombreuses en Syrie, mais également sur une fraction du monde sunnite. Et de la même manière, il faudrait que l'objectif en Irak soit un Irak fédéral, parce que tous les sunnites irakiens ne se sont pas livrés à Daesh par hasard, mais par la politique ultra-sectaire du Premier ministre irakien Al-Maliki. Et la réélection d'Al-Maliki au moment même où les Etats-Unis quittaient l'Irak a été le signal d'une rechute des provinces de l'ouest irakien, qui se sont tournées non plus vers Al Qaeda comme précédemment, mais vers Daesh. Il faut apporter des solutions politiques, et quand ces solutions politiques auront été davantage affinées, vous verrez que la résistance de Daesh à ce moment-là cédera. Le problème militaire deviendra alors résiduel. On ne fait pas une guerre sans avoir clairement défini ses objectifs : la restauration des frontières des Etats, la transformation des institutions de ces pays de façon à ce que ces pays deviennent vivables pour leurs populations. Mais cela doit se faire par la négociation entre les différents membres de la coalition, c'est ce qui en fait la difficulté.
  • Les attentats du 13 novembre sont une césure dans l'histoire longue de notre pays. Il est évident que rien ne pourra plus être comme avant.
  • L'Europe telle qu'elle a été conçue a montré ses limites dans différents domaines. La monnaie unique a creusé le gouffre du chômage, qui n'est pas pour rien dans la deshérence d'une jeunesse que l'on n'arrive pas à intégrer. Schengen est moribond. Schengen ne permet aucun contrôle sérieux aux frontières de l'Union Européenne. Et l'Europe de la défense, on voit que la France est largement seule. Nous ne sommes pas vraiment aidés par l'Europe.
  • Le fédéralisme n'existe pas en Europe parce qu'il supposerait des transferts financiers qui sont hors d'atteinte, et dont les pays riches, l'Allemagne au premier chef, ne veut pas. L'intégration, c'est le fait de transférer des pouvoirs à des autorités européennes qui ne sont pas responsable devant quelque corps électoral que ce soit. Cela veut dire une Europe technocratique, et cela ne marche pas dans aucun domaine. Par conséquent, quand j'entends dire qu'on va faire une agence européenne de renseignement, c'est ubuesque. Qui sera responsable ? Il faut une responsabilité ! Or en démocratie, la souveraineté c'est le peuple ! C'est la souveraineté nationale ! Alors on peut déléguer des compétences à condition qu'elles soient contrôlées, mais la responsabilité doit être quelque part. Par conséquent il faut construire une Europe confédérale, ou intergouvernementale, et ne pas continuer dans la voie qui a été choisie jusqu'à aujourd'hui et qui montre toutes ses limites. Et encore c'est une litote.


le Mercredi 2 Décembre 2015 à 11:39 | Lu 4469 fois



1.Posté par Jp JP le 02/12/2015 13:12
Hollande est-il au courant ? Aveuglé par une idéologie bizarre ? C'est quand qu'il va demander à JP Chevènement de le remplacer pour rétablir notre pays sur la voie de la raison, de l'intelligence, de l'ordre (il en faut) ?.... ça devient urgent !!!

2.Posté par 17 CHB le 02/12/2015 20:13
Je comprends à vous lire, Monsieur Chevènement, votre souci de ménager les uns et les autres.
Pourtant, l'amour officiel de la France pour les « modérés », qui ne le sont pas d'une façon stable et crédible, nous place malheureusement dans la catégorie des soutiens, fournisseurs et financeurs du terrorisme. Nos actions militaires en violation du droit international n'arrangent pas notre cas, s'il s'agit de participer à une résolution du conflit.
La Turquie, vu sa complaisance à l'égard des flux de pétrole de contrebande comme pour les bandes armées et les agents & mercenaires putschistes de divers pays, a effectivement une responsabilité particulière, aggravée par le « coup de poignard dans le dos » qu'a constitué pour les russes le tir sur leur (pauvre) Sukhoi-24 sans défense. Le chantage aux hordes d'immigrés plus ou moins jihadistes a rapporté 3 milliards à Erdogan ? Dégueulasse, peut-être, mais il montre surtout que les alliés « contre la terreur » ont quelque chose à se reprocher !
Aussi la notion de coalition large, incluant OTAN et Russie, est-elle a priori bancale ; comme vous l'indiquez finement : « les pays participants ont des agendas différents ».
Quant à la souveraineté, actuellement sous double tutelle européenne et otanienne pour la France et quelques autres, elle semble ne pas pouvoir réapparaître de sitôt. Ce serait pourtant indispensable pour parvenir autant à une paix durable au Moyen-Orient qu'à la sécurité de nos concitoyens.

3.Posté par Tran DO NGOC le 03/12/2015 07:03
Non M. Chevènement, la Turquie a une RESPONSABILITE CERTAINE et non l'inverse par euphémisme. De longue date, c'est le terroir des terroristes, l'extraordinaire expansion du réseau de Turkish Airlines pour convoyer les djihadistes entre le Moyen-Orient et l'Occident serait financé par les états voyous comme Qatar, Saoud, IS, et la Turquie. Sans parler du pétrole de Daesh qui ne peut qu'y transiter, avec la complicité des autorités.
Ce pays sans passé provenant des hordes barbares asiatiques (je suis asiatique, mais civilisé, avec 4000 ans d'histoire) veut restaurer l'empire ottoman, a commis le négocide des Arméniens et voudrait faire la même chose avec les Kurdes, vrais autochtones.
Et c'est ce pays-là qui va recevoir 3 milliards de l'UE ! on parle aussi de son adhésion à L'UE. Quelle catastrophe, demain l'UE sera islamisée, toute autre religion interdite ou persécutée.
Devinez pourquoi nos politiciens pourris, genre Merkel et JCJunker, veulent faire rentrer ce pays-voyou et terroriste dans l'Europe? Voyages, réceptions, avantages individuelles annexes, belles plages, etc., c'est bien tentant, les peuples en Europe n'y voient et ne comprennent .rien

4.Posté par Laroussi SATI le 03/12/2015 22:44
"je suis pas raciste, j'aime le couscous et on pourrait ajouter le kebab". Tant que nous n'en aurons par terminé avec nos propres contradictions, on ne pourra qu'être difficilement d'accords.

5.Posté par Brigitte FERRY le 04/12/2015 11:51
Tout à fait d'accord avec Tran DO NGOC. La Turquie a une responsabilité certaine, mais l'UE a des intérêts financiers et politiques pour lui faire des courbettes alors que c'est un pays totalitaire. Peu de politiques ont dits haut et fort que les actes anti journalistes lors des élections étaient de l'ordre de la dictature. Angela va faire des courbettes et Erdogan continue à assassiner les Kurdes en toute impunité. Tous les politiques le savent, mais ils s'en moquent. Les peuples ne les intéressent pas, jusqu'au jour où il sera trop tard et que tout contrôle leur échappera. Pourquoi l'humain n'arrive-t-il pas à se comporter comme tel, mais sans cesse il revient à ses vieux travers de singe à 2 pattes! Seul des hommes volontaires, désintéresses, profondément convaincus de la République et de sa laïcité, pourront faire changer les choses, mais plus les jours passent et plus on va à la caatstrophe.

6.Posté par Micheline MASSHENSER le 05/12/2015 11:22
La Turquie n'est pas fiable, pourtant nous le savons. Il faut en être conscient, et pas prendre une position contraire. Monsieur Erdogan adopte des profils différents selon ses intérêts.
Il fait tout depuis des décennies de taper du pied pour entrer dans l'Union Européenne: adopte presque la démocratie, et change au fil du temps. Les Européens y compris la France doivent rester vigilent à refuser cette entrée. Pays qui instaure la dictature, fait double visage, et soutier Al Asad. Je dis méfiance à tous les dirigeants, cet homme est sans scrupule, alors dans ces moments où règne le sang par ces attentas et les tortures cela serait une faiblesse d'accepter ce pays en ami. Qu'il mène une politique humaine dans son pays, qu'il respecte déjà ses citoyens!
Micheline

7.Posté par 17 CHB le 05/12/2015 12:35
Demain, processus démocratique ET état d'urgence. C'est compatible, sérieusement ? Ce vote ayant pour but principal de faire entériner la déconstruction territoriale -d'une France sous tutelle, déjà-, j'y vois une duplicité bien peu républicaine.
La Turquie si vilaine est néanmoins un partenaire privilégié de la France, depuis plusieurs années, pour la tentative de "regime change" à Damas, en violation éhontée de quelques règles internationales : ingérence, fourniture d'armes sous embargo, soutien à des factieux / mercenaires, sanctions sur la base de faits non établis, violation de l'espace aérien syrien, destruction d'infrastructures et exécutions extra-judiciaires sur le sol d'un état souverain...
Alors avant de stigmatiser un "dictateur" de plus (et oui, on peut détester celui-ci), balayons devant notre porte ! L'hexagone n'a pas de leçons à donner, même à la Turquie, allez.

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