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L'histoire nous crée un devoir d'humanité


Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat dans le cadre du débat concernant la prolongation de l'intervention des forces armées en République centrafricaine, mardi 25 février 2014.


La décision d’intervenir en République centrafricaine a sans doute été tardive, eu égard aux violences initialement perpétrées par la Seleka mais une intervention ne pouvait avoir lieu en dehors d’un mandat du Conseil de Sécurité des Nations-Unies.

On aurait pu espérer un retour au calme plus rapide par l’exercice de ce que certains ont appelé un « effet de sidération ». C’était compter sans le potentiel de haines mis en mouvement et sans les violences aveugles déchaînées par les milices « anti-balaka », abusivement décrites comme des milices « chrétiennes ». L’Afrique n’est plus ce qu’elle était : les autorités traditionnelles se sont effondrées. Aucun Etat digne de ce nom ne les a remplacées. L’usage des armes à feu s’est banalisé. La République Centrafricaine était déjà réputée être « la cendrillon de l’Afrique », selon un ouvrage de Louis Brustier ; Georges Conchon s’en inspirait en 1964 pour écrire l’« Etat sauvage » dans un ouvrage qui reçut alors le prix Goncourt. Les choses depuis lors ne se sont pas arrangées : la Centre Afrique a toujours été sous-administrée et mal gouvernée. Au point de déliquescence où les choses en étaient arrivées, notre intervention a-t-elle du moins évité des massacres de masse, comme le Ministre de la Défense l’a souligné devant la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées le 17 février dernier.

1 600 hommes ont été envoyés, auxquels 400 ont été ajoutés pour répondre à l’appel du Secrétaire général de l’ONU, M. Ban-Ki-Moon. A cela il faut bien sûr ajouter les contingents de la MICSA, 6000 hommes provenant des Etats frontaliers : Tchad – Cameroun – Congo-Brazzaville – République démocratique du Congo, ou voisins : Gabon – Guinée Equatoriale – Burrundi et Rwanda.

Le 20 janvier 2014, il a été décidé d’envoyer une force européenne de 500 hommes composée de soldats estoniens, lettons, géorgiens, polonais, portugais, roumains qui permettait au moins de relayer sur Bangui la force Sangaris. L’effectif total des forces engagées ne suffira pas à ramener la sécurité sur toute l’étendue d’un pays dont la superficie équivaut à celle de la France. La première priorité consiste à sécuriser la route qui rejoint Bangui à Douala pour permettre l’acheminement de vivres et ainsi enrayer la famine. La décision de mise en œuvre du programme alimentaire mondial (PAM) permettra-t-elle de l’éviter ?

Il paraît clair à ce stade que l’armée française n’est pas faite pour des missions d’interposition. Les effectifs disponibles ne le permettent pas et surtout nos forces armées ont été conçues pour remplir des missions d’intervention dont il est important qu’elles restent limitées dans le temps et non des missions d’interposition qui immobilisent des effectifs pendant des années. Nous risquons d’être pris dans un engrenage si une opération de maintien de la paix n’est pas promptement décidée et mise en œuvre par l’ONU.
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Force nous est de constater, en RCA comme sur d’autres théâtres, la faiblesse de la solidarité internationale, financière d’abord, comme vous l’avez souligné Monsieur le Ministre, mais aussi politico-militaire. Il est frappant de constater que les pays européens qui ont annoncé un concours sont pour la plupart des pays périphériques. Aucun, à part le Portugal, n’appartient à l’Europe d’avant la chute du Mur. Cela fait réfléchir à ce qu’il faut attendre de la « défense européenne », thème si fréquemment mis en avant, y compris par le « Livre blanc ». Comment ne pas relever la sous-estimation frappante par nos partenaires européens des risques entraînés par le naufrage de certains Etats africains ? Ni l’Allemagne, ni la Grande-Bretagne, ni l’Italie, ni l’Espagne ne se sentent véritablement concernés, si on en juge par la modestie, voire l’inexistence, de leur contribution. Or, l’Afrique aura doublé sa population en 2050 et l’Afrique sahélienne triplé. Aucun développement harmonieux ne pourra se produire si les conditions de sécurité qui permettent l’essor des activités économiques ne sont pas réunies.

Il paraît clair que les grands pays européens n’ont pas pris la mesure des risques de l’islamisme radical et du djihadisme armé pour l’Afrique mais aussi pour l’Europe, et pas davantage des risques humanitaires et migratoires induits. L’absence de développement ne peut que conduire à des formes de régression barbares dont nous avons eu un premier avant-goût avec l’application de la charia dans le domaine pénal dans le Nord du Mali, en 2012-2013.

C’est l’honneur de la France d’avoir pris conscience de ces dangers et d’avoir secouru le Mali, comme d’avoir pris les devants en République Centre-africaine, en anticipant une opération de maintien de la paix de l’ONU qu’il serait encore plus difficile de mettre en route, si la France n’avait pas manifesté sa réactivité.

C’est pourquoi je vous apporte le soutien des sénateurs du groupe RDSE car l’Histoire a existé. Elle nous a liés, il y a plus d’un siècle, aux populations de l’Oubangui-Chari. Nous n’oublions pas que les territoires de l’Afrique Equatoriale française ont rallié la France Libre, dès le mois d’août 1940, sous l’impulsion du gouverneur Eboué et des colonels Leclerc et Larminat.

L’histoire a existé et par delà l’époque révolue de l’Union française et de la Communauté, elle nous crée encore des devoirs. Si la France n’avait pas envoyé ses soldats en avant-garde d’une mission d’interposition qui, encore une fois, incombe à l’ONU, quelle autre nation l’aurait fait ? Certes nous voyons bien les risques de l’engrenage, Monsieur le Ministre, mais nous devons aussi sous-peser les inconvénients, ceux de l’action et ceux de l’inaction, comme le Président de la République, votre collègue et vous-même l’avez fait. Dès lors qu’il existait un mandat de l’ONU, nous vous donnons raison d’avoir fait prévaloir les considérations d’humanité. Non que celles-ci ne soient pas quelquefois le paravent de desseins moins avouables. Mais, en l’occurrence, nous n’en voyons pas. Certes la RCA occupe en Afrique une position stratégique à la frontière de pays instables comme le Nigéria et le Nord du Cameroun menacés par Boka-Haram, ou bien à la frontière du Sud-Soudan dont la sécession d’avec le Soudan n’a pas eu que des résultats heureux. Nous le constatons dans ce pays plongé lui aussi dans le chaos.

C’est pourquoi nous approuvons le souci que vous avez manifesté, en accord avec l’Union Africaine et les Etats riverains, de refuser une partition entre l’Est de la RCA, principalement musulman, et le Sud animiste et chrétien. Certes il faudra du temps pour construire un Etat centrafricain et sans doute faudra-t-il envisager une très forte décentralisation pour tenir compte de la diversité des territoires et de leur peuplement. Les mécanismes de l’aide internationale et leur territorialisation doivent être conçus de manière à tenir compte de l’hétérogénéité du pays. Cependant, dans l’immédiat, l’accent doit être mis sur les prérogatives régaliennes d’un Etat qui est à bâtir de fond en comble : lui donner une police, une armée, une justice, un système pénitentiaire. Lors du sommet franco africain du 7 décembre, le Président Hollande a évoqué la formation de 20 000 soldats africains par an, dans le cadre de l’Union africaine, j’imagine. Pouvez-vous nous dire où en est ce projet dont nous mesurons l’ambition et les moyens qu’il requiert ? Car, comme vous l’avez dit vous-même : « Que faire des coupeurs de chemins et des brigands dès lors qu’ils auront été arrêtés et jugés, s’il n’y a pas de prison pour les mettre hors d’état de nuire ?

A plus long terme, pouvons-nous cependant imaginer une stabilisation de la région dans le seul cadre centrafricain ? La République centre-africaine se situe à la charnière entre les régions islamisées du Nord et les régions du Sud, animistes ou chrétiennes. Il est très important d’assurer la coexistence de ces populations. Seul un gouvernement d’union nationale peut le permettre. Faut-il beaucoup attendre des élections dans un pays dont une partie de la population n’est même pas inscrite sur les listes électorales ? N’y a-t-il pas lieu de mettre en place des commissions de réconciliation à l’image de celles qui ont été instituées en Afrique du Sud et au Rwanda ?

Certains en viennent à imaginer des regroupements régionaux inédits, allant du Cameroun au Kenya en passant par la République Centre-africaine et le Soudan du Sud, avec une façade sur l’Atlantique et une autre sur l’Océan indien. Il me semble qu’on ne doit rien exclure a priori. L’Afrique a son Histoire devant elle. Si le respect des frontières héritées de la période coloniale est sans doute sage dans l’immédiat, on ne doit pas écarter à l’avenir la perspective de regroupements régionaux plus vastes, à condition qu’ils soient voulus par les populations, concertés dans le cadre de l’Union africaine et de l’Organisation des Nations Unies et ratifiés par les peuples. La France ne doit pas se substituer à l’ONU. Son intervention au service de l’Afrique et des Africains ne peut être que provisoire. Il doit donc y avoir une date butoir à l’opération Sangaris : celle de la mise en place par l’ONU d’une opération de maintien de la paix. Le désengagement militaire est le terme normal de notre intervention, ce qui ne signifie nullement un désengagement sur le plan politique, administratif et financier. Quels que soient les qualités de nos soldats, il ne serait pas sain qu’ils se substituent durablement aux administrateurs et aux coopérants civils.

L’opération Sangaris entraînera un surcoût annuel de 200 millions d’euros, selon les déclarations que vous avez faites devant la Commission de la Défense et des Forces armées, essentiellement du fait des rémunérations et des dépenses de logistique. Mais nous connaissons la fragilité des équilibres définis par la loi de programmation militaire. Il est donc très important que celle-ci soit non seulement épargnée par les coupes budgétaires mais aussi réalisée dans tous ses aspects – je pense en particulier aux recettes exceptionnelles.

Au total, et malgré les réserves que j’ai exprimées au nom d’un nécessaire devoir de vigilance, les sénateurs du groupe RDSE approuveront, comme moi-même et à l’unanimité, la prolongation de l’opération Sangaris. Ils expriment par la même occasion l’affectueuse sollicitude de la nation aux hommes qui en ont la charge.


le Mardi 25 Février 2014 à 21:07 | Lu 2598 fois



1.Posté par bertin le 26/02/2014 09:43
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La cause des massacres en RCA, c'est le désarmement de l'armée régulière du pays par les troupes de Sangaris. Tant que ce fait n'aura pas été mis en évidence, les prétendus pacificateurs pourront continuer leur œuvre criminelle.

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