Carnet de Jean-Pierre Chevènement

L’Allemagne et le monde


Les économistes « institutionnels » pleurent tous les jours dans les gazettes sur la BCE transformée, selon eux, en bouc émissaire de la croissance faible qui caractérise la zone euro : « Voyez l’Allemagne, premier exportateur mondial, nous disent-ils, avec ses 160 milliards d’euros d’excédent commercial ! Epargnez M. Trichet, et songez plutôt à flexibiliser le marché du travail ! »


Ce qu’ils oublient :

1) L’Allemagne dispose encore de positions encore monopolistiques dans les biens d’équipement et la chimie fine. Ses exportations sont tirées par la flambée de l’investissement et de la croissance dans les pays émergents. Cela ne durera pas. La Chine crée sa propre industrie des biens d’équipement. Celle-ci sera demain plus compétitive que l’industrie allemande pour les raisons que nous savons : la Chine a toutes les capacités nécessaires et le niveau des salaires y sera durablement de un à dix fois inférieur à celui de l’industrie allemande.

2) Depuis cinq ans, l’Allemagne a assis ses efforts de compétitivité sur une forte compression de la demande intérieure : augmentation de trois heures de la durée réelle du travail mais stagnation des salaires. Les plans dits « Agenda 21 » et « Harz IV » ont coûté cher au Chancelier Schröder. Ils bénéficient aujourd’hui à Madame Merkel, mais au prix d’un chômage qui touche 4 millions de personnes en Allemagne.

3) Enfin, après la phase des délocalisations à l’Est, il faudrait prêter attention aux stratégies de relocalisation des productions à plus forte valeur ajoutée sur « le site de production Allemagne ».

Les grands groupes industriels allemands savent depuis longtemps organiser une gestion très politique de leur développement. Ils jouent aujourd’hui l’Allemagne et le monde. Ils oublient aisément « l’Allemagne européenne » dont nous parlait encore le Chancelier Kohl au début des années 90.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mercredi 10 Janvier 2007 à 18:32 | Lu 7518 fois



1.Posté par Jorg Schumacher le 10/01/2007 19:17
En tout cas, s'il y a bien un domaine où l'Europe pourrait montrer sa valeur ajoutée, c'est bien les politiques économique et industrielle. Ce qui est déplorable, c'est le manque total de vision politique et de pression sur les acteurs économiques, déficit capital qui se manifeste par exemple par la main-mise de la bourse américaine sur la bourse de Paris. En ce qui concerne l'Allemagne, les grands groupes de ce pays sont normalement dirigés par des patrons de culture économique américaine qui se soucient peu d'une vision "européenne, mais qui sont plus "mondialisés" qu'allemands.
A mon avis ces patrons n'ont pas une vision "politique allemande", mais pratiquent plutôt une politique dictée par la recherche du meilleur profit et procèdent à des délocalisations sans aucun état d'âme.

2.Posté par Claire Strime le 11/01/2007 11:15
oui, la position de "faiseur de prix" qui était celle de la RFA (et du Japon) dans les années 80 ne va pas durer (il n'y a pas que la Chine, il ya aussi l'Inde,etc...)
donc l'euromark va très vite apparaître comme surévalué (y compris pour les besoins du marché intérieur allemand et de l'eurogroupe)

cependant vous avez bien souligné les marges de manoeuvre qu'a su utiliser le capital allemand (ça ressemble à ce qu'ont fait les gouvernements socialistes français de 1983 à 1993, baisse des salaires réels, casse industrielle, pleins feux sur l'export, grâce à une paix sociale "extraordinaire")

donc la question à partir de quand le niveau de l'euro sera-t-il jugé insupportable par le coeur du capital "rhénan"? (c'est quand l'Argentine?)
et que fait donc l'IG Metall?

3.Posté par le franc tireur le 11/01/2007 14:13
Je suis entièrement d'accord avec votre analyse... Les médias véhiculent encore l'image d'une industrie germano-allemande, s'appuyant sur un réseau de PME et de grandes entreprises adeptes du compromis social (-libéral) et soutenues financièrement par les grandes banques nationales.

Mais dans les faits, le succés (relatif) de l'allemagne est dû à son insertion dans la mondialisation : ainsi, l'Expansion du mois de décembre 2006 révélait que 40 % des produits "made in Germany" étaient en fait fabriqués à l'étranger... hors de la zone Euro !

Quant aux salariés allemands, ils ne percoivent pas grand chose de des bons resultats de leurs entreprises...

Ceci dit, nous avons en France un problème similaire : la santé financière arogante des grande entreprises (CAC 40 et SBF) est totalement déconnectée de celle des PME en particluiers industrielles qui souffrent de la stagnation de leurs exportations et des difficultés financières (dues en partie à l'allongement des délais de paiement des grands groupes envers leurs sous-traitants...).

Réancrer les entreprises multinationales (ou "globales") dans leur nation d'origine, les mettres face à leurs obligations vis à vis d eleur branche d'activité, voilà un chantier fondamental, qui ne pourra se faire que par le retour d'une politque industrielle mais aussi par la rupture avec le "libre-échangisme". Et sur ces points j'attend toujours des propositions concrêtes et réalistes de la part du PS et de Ségolène Royal...

4.Posté par Jenner le 15/01/2007 10:12
A franc-tireur

Vous écriviez :

Quant aux salariés allemands, ils ne percoivent pas grand chose de des bons resultats de leurs entreprises...

Vous êtes mal informé !

Les salaires en Allemagne ont augmenté annuellement de 3 à 5% !

Pour 2007, le patronat est quasiment d'accord sur 4,5%.

Et en France ? Entre 1,5 à 2,2% !


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