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Il est temps de changer de route


Question d’actualité de Jean-Pierre Chevènement concernant le sommet européen du 26 octobre 2011, Sénat, jeudi 27 octobre 2011.


L’arbre grec ne doit pas cacher la forêt, c’est-à-dire la crise de la monnaie unique dans son ensemble. Cinq pays sont actuellement sous tension : outre la Grèce, le Portugal, l’Irlande, et plus gravement l’Espagne et l’Italie. La dette cumulée de ces pays dépasse 3000 milliards d’euros. Ces pays doivent emprunter à des taux voisins ou supérieurs à 6 %. Ce n’est pas tenable. Les ressources du Fonds européen de stabilité financière – 440 milliards d’euros – sont insuffisantes, comme il ressort des chiffres.

Le gouvernement français avait fait une proposition intéressante : transformer le Fonds européen de stabilité financière en banque pour l’adosser aux ressources illimitées de la Banque Centrale européenne. Cette proposition a été écartée par l’Allemagne. Elle n’est plus sur la table mais le problème de l’insuffisance des ressources du Fonds européen de stabilité financière reste.

L’accord de Bruxelles ce matin parle de « l’optimisation du Fonds européen de stabilité financière. Il a retenu deux options de base pour obtenir un « effet de levier » capable d’augmenter les ressources du Fonds européen de solidarité financière

- Un mécanisme de garantie partielle de 20 à 30 % sur les émissions de dette des pays sous tension.
- Et par ailleurs la création d’un ou de plusieurs « véhicules spéciaux », c’est-à-dire de fonds d’investissements ouverts aux investisseurs internationaux, privés et publics.

Le Président Von Rompuy a agité le chiffre de 1000 milliards pour indiquer l’effet de « maximisation » qui serait ainsi obtenu.

Ces perspectives sont très aléatoires :

- Les pays sous tension craignent de voir s’instaurer un double régime pour leurs dettes : celles qui seront garanties à 20 et 30 % et les autres avec des taux d’intérêts différents.
- Quant à la création des « véhicules spéciaux », elle nous met à la merci des investisseurs internationaux : Chine et FMI, c’est-à-dire du Congrès américain.
Nous n’avons aucune assurance sur la mise en œuvre opérationnelle de ces deux mécanismes. Ce sont des rustines ou des promesses de rustines. Dans l’état actuel des choses, les ressources du Fonds européen de solidarité financière restent insuffisantes. L’accord obtenu est un trompe l’œil.

Vous nous faites aller de « sommet décisif » en « sommet historique ». Il en sera ainsi tant qu’une solution viable où la Banque centrale européenne acquérerait les mêmes prérogatives que la FED américaine n’aura pas été adoptée.

Dans l’immédiat que voyons-nous ? Trois choses :

1. un euro qui caracole à 1,40 dollar. Ce n’est pas un signe de bonne santé pour notre économie et sa compétitivité. Les Etats-Unis, la Chine, l’Allemagne sont d’accord sur un point : un euro cher, trop cher pour que les pays de l’Europe méditerranéenne puissent espérer restaurer leur compétitivité. Ils deviendront un vaste Mezzogiorno. Quant à la réindustrialisation de la France, Bonjour les dégâts !

2. Et par ailleurs des politiques de rigueur généralisées qui conduiront l’Europe à la récession et l’enfermeront encore plus dans la spirale des déficits et de la dette. Aucune initiative de croissance n’est prise à l’échelle de l’Europe et de la zone euro.

3. Enfin, l’encadrement des budgets nationaux se resserre. Après la souveraineté monétaire, c’est la souveraineté budgétaire et fiscale qui vont disparaître.

Monsieur Juppé parle de fédéralisme. Mais c’est le fédéralisme du pauvre qui se met en place, un fédéralisme purement coercitif qui vise à faire de l’Europe un espace essentiellement disciplinaire.

Il est temps de changer de route. Monsieur le Premier ministre, de réconcilier l’Europe avec le progrès et la démocratie. Cela passe par une révision d’ensemble de l’architecture de la zone euro et particulièrement du rôle de la Banque Centrale. Vous étiez bien partis. Il est dommage que vous ayez abandonné en route vos positions sur la Banque Centrale.

D’autres, je l’espère, sinon vous, les reprendront.

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Lire la réponse du Premier ministre François Fillon


Rédigé par Jean Pierre Chevenement le Jeudi 27 Octobre 2011 à 17:07 | Lu 3285 fois



1.Posté par Guillaume DELYE le 28/10/2011 02:34
Accord de Bruxelles : Quand le capitalisme s’en remet au communisme !

L’accord obtenu nuitamment le 26 Octobre dernier va fournir un ballon d’oxygène à la zone euros pour quelque temps mais les bases sur lesquelles il repose, pérennisent le cercle vicieux des déséquilibres commerciaux et financiers. L’absence de politique industrielle, le virage manqué des nouvelles technologies, le manque de solidarité budgétaire entre les Etats membres placent l’Europe dans une position économique durablement fragile dont les crises grecques, irlandaises, portugaises ne sont que des manifestations ponctuelles.

La faiblesse du site industriel européen explique que l’Europe affiche une balance extra communautaire déficitaire. En contrepartie, les grands pays émergents tels que la Chine dégagent des excédents importants. Avec l’accord obtenu, la Chine va pouvoir recycler ses excédents commerciaux et, ce faisant, d’instiller du pouvoir d’achat dans les économies européennes, dopant ainsi ses exportations futures. Du point de vue de la Chine, les facilités financières d’aujourd’hui sont ses exportations de demain et sa suprématie politique d’après-demain. Les appels de Nicolas Sarkozy en faveur d’une insertion du yuan dans le système monétaire international et de sa réévaluation ne sont que des vœux pieux. Comment les dirigeants chinois pourraient-ils consentir à placer des sommes colossales dans la zone euro s’ils faisaient l’hypothèse d’une dévaluation progressive de l’euro vis-à-vis du yuan ? La médiocrité de l’accord de Bruxelles tient à ce que les dirigeants européens ont préféré compter sur le soutien intéressé de l’Empire du milieu plutôt que de mettre en place un véritable plan européen de solidarité budgétaire avec la Grèce.

Un tel plan de soutien aurait dû prévoir deux volets : une garantie européenne accordée aux nouvelles émissions de l’Etat grec afin d’alléger le coût de sa dette et surtout une coopération industrielle renforcée de l’Europe vis-à-vis de ce pays avec à la clef, des investissements industriels sur l’archipel car la véritable force d’un pays tient à la création de richesses des entreprises opérant sur son territoire. A ce propos, l’intervention du chef de l’Etat était dépourvue de toute référence à une politique industrielle commune et de toute allusion à la relance de la croissance et de l’emploi dans l’archipel grec. Tant pis pour les grecs ! Il faut bien un mouton noir. Au lieu de cela, les responsables européens ont préféré laisser vendre les entreprises publiques grecques à l’encan à vil prix auprès des spéculateurs étrangers qui les ont parfois dépecées. Toutes les mesures envisagées ne sont que purement comptables ne font que déstructurer la Grèce et ne dessinent aucune perspective économique crédible à long terme.

L’adossement du fond de soutien européen à la zone euro n’a pas été retenu. A vrai dire, je pense que c’est une sage décision car le fait de se tourner vers des créances douteuses en tant que contrepartie à l’émission de monnaie me parait dangereuse pour la stabilité et la crédibilité de cette dernière. Je serai même encore plus radical que les allemands sur ce point. A l’issue de cette crise, il me semble qu’il faudrait scinder la BCE en deux entités : l’une serait en charge de l’émission de monnaie par monétisation de créances de bonne qualité (emprunts d’Etat ou créances bancaires) avec la double garantie de la pension livrée tandis que l’autre aurait en tant que banque des banques la faculté d’intervenir en tant que prêteur en dernier ressort. Cette scission permettrait de mettre l’euro à l’abri des faillites bancaires et de transférer vers les Etats les trésors de guerre détenus par leurs banques centrales sous forme notamment de stocks d’or non réévalués. C’est avec ces trésors cachés que les Etats pourraient alimenter leur fond de soutien aux pays européens en difficulté. Dans cette vaste restructuration de la BCE, la mission de soutien à l’emploi et à la croissance devrait bien sûr être ajoutée aux missions de l’institut d’émission.

L’autre scandale de cet accord tient à l’imposition de la règle d’or à l’ensemble des Etats membres de l’euro en tant que garantie accordée aux investisseurs chinois. La mesure pourrait n’être qu’une contrepartie à la situation spéciale de pays en situation de « redressement budgétaire », mais, curieusement, elle est envisagée pour l’ensemble des pays. Il y a assurément derrière cette mesure la volonté d’enferrer un peu plus les peuples d’Europe dans le carcan libéral de l’impuissance des politiques publiques. Après l’abdication du pouvoir monétaire, il s’agirait à présent d’abdiquer notre pouvoir budgétaire. Le remède sera pire que le mal car pour sortir de l’ornière dans laquelle se trouvent les économies européennes, il faudrait à l’évidence mener des politiques de soutien à la conjoncture. Les contradictions de Monsieur Sarkozy lors de son intervention sont révélatrices de l’impossibilité matérielle de mettre en place la règle d’or de l’équilibre budgétaire : un équilibre imposé dès 2012 sachant que le véritable équilibre ne serait pas attendu avant 2016 ! Et encore, il ne sera probablement plus là pour le voir !

En tout cas, l’ironie par laquelle un espace économique capitaliste et ultra-libéral trouve son sauveur dans l’aide d’un Etat autoritaire et communiste prouve au moins une chose : une économie de marché a besoin de repères fixes et d’engagements clairs qu’elle ne trouve pas en elle-même et qu’elle ne peut trouver que du côté des Etats. C’est pourquoi il me semble capital de développer une orientation « social-dirigiste » de l’économie aux antipodes du libéralisme qui a plongé l’Europe dans une décadence que seuls la complexité d’accords technocratiques nocturnes et les écrans de fumée médiatiques permettent de dissimuler pour un temps… électoral.

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