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Hommage à Robert Chambeiron


Intervention de Jean-Pierre Chevènement prononcée aux Invalides, jeudi 8 janvier 2015.


Madame Chambeiron, que je salue et à travers vous, le fils, le petit-fils et toute la famille de Robert,
Monsieur le Sénateur, Secrétaire général du PCF, Madame et Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs, chers amis,

Robert Chambeiron était un clair repère et il le reste pour les temps difficiles que nous vivons. On sait qui est Robert Chambeiron, quelles fonctions il a exercées au sein du Conseil National de la Résistance et le rôle qu’il y a joué aux côtés de Jean Moulin dont il était l’un des proches depuis 1936. En effet, ils travaillaient ensemble au sein du cabinet de Pierre Cot, alors Secrétaire d’Etat à l’Air. Celui-ci avait vu dans la guerre d’Espagne le vrai début du Second conflit mondial. C’est dire que Robert Chambeiron était préparé à résister.

On sait aujourd’hui l’appui décisif que Jean Moulin, à travers le CNR et les organisations qu’il représentait - mouvements de résistance, partis politiques et syndicats - a apporté, à ce moment crucial, au général de Gaulle. C’était en 1943, quand les Etats-Unis balançaient entre De Gaulle, c’est-à-dire la rupture franche opérée avec le gouvernement Pétain dès sa constitution, et Giraud qui représentait, en Afrique du Nord, après la mort de Darlan, une sorte de « Vichy sans Pétain ». Jean Moulin avait compris que De Gaulle avait eu raison de rompre avec un gouvernement qui demandait l’armistice et capitulait, alors même qu’il venait à peine d’être constitué, véritable coup d’Etat, créant ainsi une rupture de légitimité, car celle-ci va avec la défense des intérêts supérieurs de la patrie. Et De Gaulle avait su voir, comme en témoignent ses déclarations des 18 et surtout 22 juin 1940, que l’honneur et l’intérêt même de la France lui commandaient de continuer le combat du côté de la Liberté.

Jean Moulin, le 27 mai 1943, a fait pencher la balance du côté de De Gaulle, en lui apportant le soutien de la Résistance intérieure et des organisations politiques et syndicales qui traduisaient le sentiment de l’opinion publique, dans la France occupée. C’est cela qui a emporté la décision de Roosevelt dont on connaissait les réticences vis-à-vis du général de Gaulle, alimentées par quelques hauts personnages de la IIIe République qui s’étaient réfugiés aux Etats-Unis après juin 1940 et que ce n’est pas le lieu de citer. Or, pour l’avenir de la France combattante, l’appui, ne serait-ce que matériel, des Etats-Unis était bien évidemment décisif. C’est à Jean Moulin et à un très petit nombre d’hommes groupés autour de lui qu’on doit ce service exceptionnel rendu à la France.

Ainsi Jean Moulin et ceux qui, comme Robert Chambeiron, l’ont servi dans ce moment capital de la Résistance ont-ils mis leur vie en jeu pour que la France reste un pays libre et souverain, à l’honneur sans tache, « dans une guerre de trente ans », disait De Gaulle, où elle avait toujours servi d’avant-garde et n’avait pas changé de camp. Tel était du moins le récit national qu’il voulait laisser après lui.

Ce n’est pas ce qu’on nous apprend aujourd’hui : un Président de la République nous a expliqué, en 1995, qu’en avril 1942 « la France – et non pas l’Etat français – avait commis l’irréparable », comme si Pétain et Bousquet avaient jamais été la France. Entre cette vulgate du moment et la vision lumineuse de la légitimité républicaine portée par le général de Gaulle et par la Résistance, l’Histoire tranchera … quand la France se réveillera.

En tout cas Robert Chambeiron, au moment du choix décisif, a pesé aux côtés de Jean Moulin. Celui-ci a offert sa vie à l’avenir de la France. Robert, lui, l’a risquée. Il était avec Pierre Meunier l’un des deux secrétaires généraux adjoints du CNR, avant que Georges Bidault ne remplace Jean Moulin. Naturellement le fait que Robert Chambeiron vînt du Front Populaire ne lui valait pas que des amis, car les haines politiques, qui renvoient aux haines de classes, n’avaient pas disparu à l’heure du plus grand péril. Si les élites et les privilégiés ont trahi en 1940, selon l’expression du général de Gaulle que rapporte Robert Chambeiron dans le livre d’entretiens qu’il a donné à Marie-Françoise Bechtel, « Résistant », chez Fayard, même parmi les Résistants les rancœurs d’avant-guerre n’avaient pas disparu, ni les calculs d’après-guerre. Et c’est ce qui explique la vindicte dont certains ont poursuivi Jean Moulin, odieusement calomnié et bien sûr ses proches, comme Robert Chambeiron. Les effluves de ces calomnies parviennent encore jusqu’à nous.

Le livre que j’ai cité, « Résistant », porte à cet égard un témoignage irremplaçable sur les immenses difficultés qu’il y avait, même dans la France occupée à rassembler les Français.

Robert Chambeiron a poursuivi son engagement après la Libération, dans l’Union progressiste et dans la mouvance du parti communiste français. C’était un homme qui voyait loin : il fut le premier parlementaire français à demander la reconnaissance de la République populaire de Chine, dix ans avant que le général de Gaulle y ait procédé.

Aujourd’hui, alors que le pays s’enfonce dans une crise économique, sociale et politique, aisément prévisible depuis qu’il a aliéné sa souveraineté monétaire, il y a vingt-deux ans, la nécessité de rassembler toutes les forces du monde de travail et au-delà toutes les forces vives de la France, n’est pas moins impérieuse, si on veut sortir la France et l’Europe de l’ornière où elles s’enfoncent.

On, ne peut comparer les époques trait pour trait. Mais ce qui était vrai à l’époque où Robert Chambeiron œuvrait dans la clandestinité à la Libération de la France, reste profondément juste aujourd’hui.

Je le cite :

« Le CNR a été un véritable lieu de rassemblement dans l’intérêt national. Or, qu’y a-t-il derrière cette idée de rassemblement ? L’attachement à la patrie, liée à des valeurs de progrès. C’est cela l’identité du CNR. Et si son programme a été le terreau de grandes réformes économiques et sociales, c’est qu’il a été aussi le fruit d’un compromis transpartisan. Il fallait sans doute que la France fut au bord du gouffre pour qu’une telle union puisse avoir lieu … »

Ce message de Robert Chambeiron à la veuve, au fils, au petit-fils et à la famille duquel j’adresse mes sentiments de profonde sympathie, reste aujourd’hui vivant. D’avoir transmis ce témoignage, les générations qui suivent la sienne lui sont redevables. La République est aujourd’hui menacée. Elle l’est par la violence des extrémismes, mais elle l’est aussi par le sommeil de la Raison appliquée à la politique, sommeil de la Raison dont il est bien connu qu’il enfante des monstres.

Que l’exemple de Robert Chambeiron nous inspire dans ces temps difficiles : les monstres doivent être combattus. De Robert Chambeiron, nous n’oublierons pas la grande leçon.


Mots-clés : 2002, cnr, robert chambeiron
le Samedi 10 Janvier 2015 à 14:42 | Lu 3042 fois


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