Carnet de Jean-Pierre Chevènement

Des intérêts qui ne sont pas les nôtres



L’URSS existe-t-elle toujours ? On pourrait le croire en lisant la « une » du Monde du 10 janvier 2007 : « Le chantage au pétrole de la Russie inquiète toute l’Europe ». De quoi s’agit-il ? En fait d’un conflit entre la Russie et la Biélorussie au sujet d’une taxe douanière instaurée par cette dernière sur le transit du pétrole russe par l’oléoduc « Droujba » qui dessert aussi la Pologne, l’Allemagne, la Slovaquie et la Hongrie. Les deux protagonistes se rejettent la responsabilité de la fermeture de cet oléoduc.

Minsk prélevant le pétrole en contrepartie de la taxe que les Russes refusent de payer, ceux-ci ont réduit leurs livraisons. Une rupture d’approvisionnement s’ensuit. L’affaire est montée en épingle comme si nous étions encore au temps de la guerre froide. Le Commissaire européen à l’énergie, M. Andris Piebalgs a demandé des explications aux deux parties. Tout laisse penser que, comme l’a indiqué le ministre allemand de l’Economie, M. Michaël Glos, une reprise rapide des approvisionnements interviendra.

Pourquoi donc cette montée d’adrénaline ? Serait-ce pour justifier une diversification des voies de transit du pétrole et du gaz à travers le Caucase et la Turquie à la veille d’un sommet européen sur l’énergie, au prétexte de l’indépendance énergétique de l’Europe ? Cette agitation ne serait pas raisonnable : il n’est pas sûr en effet qu’il y ait assez de gaz dans les ex-Républiques soviétiques d’Asie Centrale pour rentabiliser le projet Nabucco censé « ouvrir à l’Europe de nouvelles sources d’approvisionnement » (Le Monde du 30 décembre 2006) L’essentiel du pétrole continuera à venir du Golfe par voie maritime. Idem pour le gaz du Qatar et de l’Iran. Deux gazoducs existent déjà en provenance de l’Algérie. D’autres pistes bien plus prometteuses sont à explorer pour assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques de l’Europe : nucléaire – charbon – biomasse – économies d’énergie.

Qui a intérêt à faire monter la tension entre l’Europe et la Russie ? Poser la question, c’est y répondre : les relais de l’Hyperpuissance font tout pour empêcher que se noue un partenariat économique et politique solide entre les deux parties de notre continent. Certains qui se veulent « européens » et nous rebattent les oreilles de « l’Europe puissance » leur emboîtent inconsciemment le pas.

Il n’y aura en fait d’Europe puissance qu’à travers un étroit partenariat entre l’Europe et la Russie. On voit bien l’intérêt qu’ont les Etats-Unis de s’y opposer. On voit moins bien l’intérêt de pays comme la Pologne ou la Roumanie qui devront bien découvrir un jour qu’ils vivent en Europe.

Quant à un certain Establishment médiatique français, qui a toujours retardé d’une guerre et qui, en l’occurrence, vit encore à l’ère de la guerre froide, il se laisse dramatiquement mettre à la remorque d’intérêts qui ne sont pas les nôtres.


Mots-clés : russie, énergie
Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Mardi 9 Janvier 2007 à 21:17 | Lu 5378 fois



1.Posté par rajeev le 10/01/2007 11:11
J.P Chevènement propose une analyse tout à fait sérieuse sur le sujet qui rompt en effet avec ce que l'on entend depuis quelques jours. Cela montre que son soutien à Ségolène Royal ne lui a nullement oté sa liberté de parole et de ton. Sur ce sujet comme sur bien d'autres, ils seront nombreux à vouloir attirer Mme Royal sur des orientations non conformes aux intérêts de la France et de l'Europe. Raison de plus pour JPC s'exprime avec force sur touts les sujets.
Rajeev

2.Posté par yann le 12/01/2007 12:27
"Il n'y aura en fait d'Europe puissance qu'à travers un étroit partenariat entre l'Europe et la Russie"
Voila une bien étrange affirmation...470 million d'habitant, c'est largement suffisant pour faire une europe puissance face à une Inde puissance/ une chine puissance/ des USA puissance/ une russie puissance...
Par contre, pour faire cet Europe là (Fédérale...), il faut défaire un peu de France et renoncer à un peu de souveraineté...

3.Posté par François Descamps le 12/01/2007 17:00
Comme part hasard, le conflit entre la Russie et la Biélorussie renforce l'intérêt de la construction dans la Baltique du gazoduc nord-européen.
Les critiques Polonaise et Roumaine traduisent leur crainte de devoir payer beaucoup plus cher leur énergie via la Russie quand cette dernière aura la possibilité de vendre « à la tête du client » son gaz ou son pétrole.
Certes on peut comprendre l’Allemagne dans sa volonté de multiplier ses sources (dans ce cas sa route) d’approvisionnement en énergie mais elle devrait être plus attentive aux intérêts de ses partenaires européens de l’Est qui dans quelques années devront négocier seuls leur approvisionnement, car « Droujba » aura moins d’intérêt pour le gros utilisateur d’aujourd’hui qui est au bout du tuyau.
Enfin l’Allemagne devrait considérer un peu mieux la demande Biélorusse en acceptant de payer un partie du droit de passage qui servirait à cette dernière pour acheter des biens européens et se rapprocher peut à peut de nos standards et rêvons : rentrer dans très longtemps dans l’Europe ! !

4.Posté par bouchard le 13/01/2007 23:49
C'est à la demande de l'OMC que la Russie doit augmenter les prix du gaz et du pétrole pour son marché intérieur et pour les anciennes républiques sovietiques. Traiter la Russie comme l'Irak ou l'Iran est d'une prétention qui laisse perplexe.Il serait temps de choisir entre l'OTAN et la construction européenne , les deux approches étant incompatibles. Je rève d'un Jean Pierre Chevènement expliquant cela à nos partenaires.Cela serait bien plus convaincant que Douste Blabla.

5.Posté par Claire Strime le 15/01/2007 11:25
Les biélorusses sont une des quelques républiques à n'avoir jamais voté leur indépendance par référendum... (sous Gorbatchev, mars 1991, ils s'étaient prononcés pour une URSS rénovée).

Aucune frontière naturelle avec la Russie (pas plus qu'avec la Pologne d'ailleurs). Les cartographes allemands pointilleux du XIXème siècle rattachent les dialectes biélorusses du Sud (entre Brest et Pinsk) aux dialectes ukrainiens et ceux de l'Est (Gomel, Vitebsk) aux dialectes russes voisins.

A l'approche du nouvel an orthodoxe la Raison (et l'Histoire) l'ont emporté.
La Biélorussie est une terre de marécages et de forêts où le blé ne pousse pas (la base de la ration alimentaire-si elle reste livrée à ses propres forces sont les pommes de terres et le blé noir-sarrasin).

Aux temps soviétiques cette région a compensé ces faiblesses naturelles par une haute qualification de sa population, notamment dans les domaines militaire et électronique.

A un Français, terre d'invasions de guerres et de destructions, elle rappelera certaines régions du Nord et de l'Est, avec un oeil sur la puissance allemande.


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