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De Gaulle et la gauche


Intervention de Jean-Pierre Chevènement au colloque « De Gaulle et la gauche » organisé par la Fondation Charles de Gaulle, 11 décembre 2015.


I – Question préliminaire : Comment le général de Gaulle se définissait-il lui-même ?

Le général de Gaulle avait une trop haute idée de l’Etat pour s’identifier à la droite ou à la gauche. Il s’est appuyé tour à tour sur l’une et sur l’autre, sans être prisonnier d’elles.

La gauche était majoritaire dans la Résistance et la droite dans les Assemblées de la Vème République, mais le général de Gaulle se voulait la France, c’est-à-dire à la fois l’une et l’autre, et même un peu plus que les deux réunies. Le général de Gaulle ne pouvait adhérer à un concept aussi sommaire et en même temps si chargé de significations multiples que celui de gauche ou de droite.

En 1791, année où prit forme pour la première fois cette ligne de partage fondatrice, la question du veto royal oppose la Gauche et la Droite. De Gaulle, selon moi, aurait certainement été parmi les députés qui défendaient les prérogatives du Roi, du côté de l’Etat. Mais en même temps, De Gaulle était un démocrate et il l’a montré par l’usage fréquent du référendum. Le Chef de l’Etat devait avoir la confiance du peuple. 27 avril 1969 : le texte soumis au référendum n’est pas un texte de droite (sa philosophie : régionalisation et participation des « forces vives » au Sénat est plutôt de gauche et anticipe largement sur la décentralisation de 1982). En l’absence d’une majorité, le général de Gaulle se retire.

De Gaulle se veut au-dessus des partis. Il opère une synthèse entre la tradition monarchique de la France et la tradition représentative de la République. Le Chef de l’Etat, dans la Constitution de 1958, est « l’homme de la Nation ». Tel est l’esprit du discours de Bayeux (1946) et cet esprit imprègne le texte de la Constitution de 1958. On a parlé de « monarchie républicaine ». En fait la Vème République est une combinaison de régime présidentiel et de « parlementarisme rationalisé » dont le point d’équilibre s’est constamment déplacé au gré de la conjoncture.

De Gaulle a pensé que l’élection du Président de la République au suffrage universel en ferait « l’homme de la Nation » et le mettrait naturellement au-dessus des partis. Y a-t-il réussi ? On peut soutenir deux thèses :

- cette élection au suffrage universel a recréé les conditions d’un système dominé par les partis, soit bipartite (de 1965 à 2012), soit tripartite à l’horizon 2017 ;

- mais on peut soutenir l’inverse : en faisant du Peuple l’arbitre suprême, il oblige le Président élu à agir comme s’il était non l’homme d’un parti mais l’homme de la Nation.

La IIIème et la IVème Républiques faisaient confiance à une élite parlementaire. La Vème confie à un homme le soin d’incarner la Nation. La Vème République se veut la synthèse de toute notre histoire politique et institutionnelle et le dépassement de ses contradictions. Je ne pense pas qu’il existe un système si parfait qu’il dispenserait un homme d’être à la hauteur du salut public, c’est-à-dire un homme d’Etat, si cette tâche lui a été confiée. Mais De Gaulle a pensé qu’il fallait identifier la responsabilité. François Hollande n’est pas dans la situation d’Albert Lebrun. De Gaulle a voulu dépasser les deux traditions de la vie politique française. Les institutions de la Vème République sont une synthèse, en la matière, de la droite et de la gauche. Le Président de la République incarne la continuité de l’Etat, la représentation nationale, à l’Assemblée, les tendances mouvantes de l’opinion. Mais c’est toujours le Peuple qui a le dernier mot. Il est l’arbitre suprême. La Vème République met l’Etat au-dessus des partis. Mais le Peuple est au-dessus de l’Etat.

II – La gauche et De Gaulle

1. Des hommes venus de la gauche ont apporté leur concours au général de Gaulle à partir de 1940. René Cassin, Président de la Fédération des anciens combattants, Boris et Weil-Curiel, anciens collaborateurs de Léon Blum dès juin 1940 à Londres, et surtout Jean Moulin, ancien chef de cabinet de Pierre Cot et premier président du CNR, sont les figures les plus emblématiques. Le programme du CNR en 1944 porte incontestablement la marque de la gauche. Les partis politiques de gauche ont, eux aussi, apporté leur concours sous la pression des évènements : procès de Riom pour la SFIO ou le parti radical, invasion de l’URSS par Hitler pour le PCF. Si les gros bataillons de la Résistance venaient plutôt de la gauche, grâce à l’apport des FTP, le noyau initial de la France libre était beaucoup plus à droite, voire à l’extrême-droite. Je pense à d’Estienne d’Orves bien qu’on puisse dire aussi que ces Français libres étaient d’abord mus par un patriotisme exigeant.

2. Il y a toujours eu des « gaullistes de gauche ». J’en ai connu beaucoup : Jacques Debu Bridel, Léo Hamon, Paul-Marie de la Gorce, Pierre Dabezies. Faut-il ranger parmi eux Etienne Burin des Roziers, Bernard Tricot, Pierre Lefranc, l’Amiral Flohic. C’étaient des gaullistes qui n’avaient nul sectarisme. Je puis en témoigner.

La gauche, même quand elle s’opposait, n’oubliait pas généralement que De Gaulle était aussi et d’abord l’homme du 18 juin 1940. Aujourd’hui l’alternance de 1981 a légitimé les institutions de la Vème République, comme c’était le projet du Ceres à sa création en 1964, même si le quinquennat institué en 2001 en a quelque peu modifié l’esprit.

3. Dans l’épreuve que nous traversons avec le terrorisme djihadiste, le Président de la République se doit d’être plus que jamais l’homme de la Nation, et non le chef d’un parti. Ces deux rôles peuvent évidemment se télescoper. Mais en dernier ressort, c’est au Peuple de juger. Et bien sûr, il faut que le Président apporte des réponses claires sur les buts politiques que nous poursuivons dans cette « guerre » qui nous a été déclarée. Le Président de la République doit fixer un cap à la Nation et s’il est à la hauteur de son rôle, on peut présumer que, même en cas d’alternance, le cap, s’il a été convenablement fixé, après mûre réflexion, ne changera pas.

C’est toute la question du logiciel qui se pose, le logiciel qui nous a conduit là où nous en sommes aujourd’hui est-il le bon ? C’est la différence entre l’union nationale et le salut public. La première est de forme. Le second est de fond.


III – La souveraineté nationale au cœur du débat

La gauche, comme la droite, a un problème avec la souveraineté, un concept qui est au cœur de la pensée du général de Gaulle. « La souveraineté et la démocratie sont, disait-il, comme l’avers et l’envers d’une même médaille ».

1. La gauche et la droite ont, en fait, voté ensemble en 1987 l’Acte Unique qui est le grand acte de dérégulation qui met l’Europe continentale à l’heure du néolibéralisme anglo-saxon. Le général de Gaulle aurait-il consenti à la libération des mouvements de capitaux, y compris vis-à-vis des pays tiers, et sans harmonisation préalable de la fiscalité de l’épargne ? J’en doute fort !

2. La gauche et la droite ont voté ensemble le traité de Maastricht qui transfère notre souveraineté monétaire à une Banque Centrale indépendante. Le général de Gaulle aurait-il consenti à ce transfert ? Evidemment non ! Il est ridicule de mettre De Gaulle parmi les pères fondateurs de l’Europe, au même rang que Jean Monnet et Robert Schuman. Ce sont deux conceptions différentes de l’Europe, « communautaire » derrière la Commission de Bruxelles, ou confédérale, c’est-à-dire intergouvernementale.

3. L’abandon de la souveraineté monétaire a entraîné celui de la souveraineté budgétaire. C’est le TSCG de 2012, négocié sous Nicolas Sarkozy et voté sous François Hollande. Avec le contrôle du budget, c’est le cœur de la démocratie parlementaire qui se trouve atteint. Il faut que le Président de la République intervienne pour dire que le pacte de sécurité passe avant le pacte de stabilité ! Qu’en résultera-t-il dans les faits ?

4. Le système de Schengen était fait pour des temps calmes. Dans l’épreuve, les Etats doivent à nouveau contrôler leurs frontières.

5. Les défis qui montent à l’horizon sont clairement au Sud. Or, le traité de Lisbonne confie à l’OTAN la défense européenne. C’est un système orienté vers l’Est. On le voit avec la crise ukrainienne. Grâce au « format de Normandie » un processus a été mis en route. Son volet politique est bloqué. Il l’est par l’Ukraine et non par la Russie. Mais c’est vis-à-vis de la Russie qu’on s’apprête, sous la pression des Etats-Unis, à reconduire les sanctions qui nous frappent d’ailleurs tout autant qu’elle. Face à la menace du terrorisme djihadiste, la France doit d’abord compter sur ses propres forces. La « défense européenne » est un « mythe mité ». Le Président de la République en appelle à la solidarité européenne. Celle-ci tarde à se manifester. Ainsi en va-t-il au Sahel où nous nous retrouvons bien seuls. Le défi migratoire ne pourrait être relevé que par une combinaison d’actions multiples : co-développement – reconstitution de forces régaliennes dans les pays d’Afrique. L’Europe telle qu’elle fonctionne n’est pas outillée pour faire face. Le sommet de Malte n’a pas apporté de réponses à la hauteur.

C’est là qu’il faut être gaulliste. Ressaisir les leviers de l’action ! Se mettre à la hauteur des défis. L’Europe telle qu’elle a été construite n’en est pas capable. Le Peuple le ressent : il se rassemble autour de la nation et de ses symboles : le drapeau, la Marseillaise. C’est sur une France ayant pris conscience des défis qui l’assaillent que le Peuple compte, y compris pour entraîner l’Europe sur la voie d’une politique nouvelle.

Le rapport de la gauche à l’héritage du général de Gaulle concerne aujourd’hui tous les Français. Nos élites politiques n’ont elles pas prématurément abandonné le cadre national comme cadre primordial de souveraineté, de démocratie et de citoyenneté, pour une conception abstraite et non opératoire de l’Europe ? Je veux être clair : il ne s’agit pas de rompre avec l’idée européenne mais de remettre l’Europe à l’endroit, de la rendre opératoire, à partir de ces « briques de base » que sont les nations. Là est le véritable sens de l’héritage du général de Gaulle.


IV – Défense et politique extérieure

Bien sûr je pourrais évoquer, y ayant été pour quelque chose, le ralliement de la gauche à la dissuasion nucléaire en 1978. Celle-ci reste au cœur de toute stratégie d’indépendance nationale. Un pays qui n’assume pas sa défense par ses propres moyens ne peut pas être un pays libre dans sa politique extérieure. Que signifie « l’indépendance » dans un monde où la bipolarité n’est plus celle qui prévalait entre Moscou et Washington, mais sera de plus en plus entre les Etats-Unis et la Chine ? J’ai souvent l’impression que nos élites, de gauche comme de droite, ont une peur vertigineuse de l’isolement par rapport à nos grands alliés, les Etats-Unis dans le monde et l’Allemagne en Europe. Elles ont abandonné l’indépendance nationale pour l’occidentalisme.

De Gaulle était libre, ce qui ne l’empêchait pas d’être réaliste, tant il est vrai que la prudence est souvent dans l’audace elle-même.

1. De Gaulle a imaginé une Europe européenne. Celle-ci reste à construire, avec la Russie bien sûr et non contre elle.
2. Il a voulu la coopération avec les pays d’Afrique. Celle-ci, plus que jamais nécessaire, doit changer d’échelle.
3. De Gaulle voulait réconcilier le Moyen-Orient et le monde arabe avec la justice et avec le progrès. Tout reste à faire à cet égard.

Conclusion

De Gaulle reste pour la gauche comme pour la droite le grand pédagogue, l’homme d’Etat qui domine la France du XXe siècle, l’homme qui, en 1940, lui a appris à ne pas renoncer et à préférer le chemin de la Résistance, de l’effort et s’il le faut, du sacrifice fécond. Cette ligne redevient d’actualité après les attentats qui nous ont frappés. Nous savons bien que l’épreuve est devant nous. Pour l’affronter, la France dispose de l’exemple et de la leçon de stratégie que le général de Gaulle a laissés à tous les Français.

Nous ne devons pas céder à l’engrenage des haines et du ressentiment. Nous devons montrer que le terrorisme ne peut venir à bout d’un grand peuple. Plutôt que de bavarder sur une hypothétique VIème République, l’heure est au rassemblement autour d’une idée exigeante de la République. Nous devons continuer la France, et continuer à « faire France ». C’est l’enjeu qui est devant nous : intégrer à notre nation les jeunes issus de l’immigration. Cela suppose que la France s’aime. La République et la France sont la cible des terroristes. Ne faisons pas leur jeu : le remède est d’abord dans la France et dans la République elles-mêmes.


Mots-clés : général de gaulle
Rédigé par Jean Pierre Chevenement le Lundi 21 Décembre 2015 à 16:11 | Lu 8072 fois



1.Posté par Olivier BRANDENBURG le 21/12/2015 18:35
De Gaulle a cherché à établir un régime dit "composé" ou "mixte",tel que prôné déjà par Aristote et Saint Thomas d'Aquin-et non une enième "république des républicains" qui se sont toutes effondrées devant l'épreuve du désastre de Mai 1940 à la révolte des buveurs d'anisette d'Alger en Mai 1958 ou aux pitreries vulgaires de Mai 1968:quels jolis mois de Mai pour les "républicains",des jean-foutre!Mais avec l'EI,c'est une autre paire de manche:on tire et puis on voit-comme les amerlocs!Conclusion de de Gaulle après son échec devant le enième "cartel des non"-de l'extrême droite à l'extrême gauche en passant par le centre:"La démocratie n'a jamais rien fait" et dernier pied de nez aux "républicains",sa visite à Franco!Voir sur "spiritualité,politique,économie.erlande.com:"Politique,le régime mixte" seul durable car "composant" harmonieusement et hiérarchiquement les trois immuables principes du politique,monarchique,aristocratique,démocratique-et "De Gaulle,l'homme du XX° siècle"-bien plus que Churchill,trop alcoolique quand même!

2.Posté par Serge MAUPOUET le 21/12/2015 19:19
Utilement, se reporter à Henri Lerner, De Gaulle et la Gauche, L'interdisciplinaire, Limonest, 1994

3.Posté par Denis GARNIER le 24/12/2015 09:20
Très bon rappel de ce que devrait redevenir la France. Redonner la souveraineté à chaque pays, l'indépendance monétaire, remettre le peuple au centre des préoccupations de notre "élite" . En ayant abandonné notre souveraineté nous avons fait la place à l'extrême droite. Or, "Nous devons continuer la France, et continuer à « faire France ». C’est l’enjeu qui est devant nous : intégrer à notre nation les jeunes issus de l’immigration. Cela suppose que la France s’aime. "
L'intelligence du rassemblement d'hommes de gauche et de droite pourra t'il triompher de la cupidité actuelle ? Rien n'est moins sur !

4.Posté par COURTILLE le 29/12/2015 12:28
Que pense l'excellent J-P CHEVENEMENT de la réponse faite par GISCARD au sujet de la confiscation des cordons de la bourse sous de GAULLE ?
C'est à la 11 eme minute de cette vidéo:
http://www.dailymotion.com/video/x27f79x_le-traite-de-maastricht-est-le-dernier-bon-traite-europeen_news
Le "journaliste GUETTA rappelle à GISCARD que le Président de GAULLE avait les manettes....
"Oui mais il avait la monnaie, les frontières Il avait le plan quinquennal ...il avait LES manettes ? "---
:"La monnaie était nationale ..."--
Puis GUETTA demande à GISCARD :
-"Est ce que les Présidents aujourd'hui ont vraiment les manettes du pouvoir ou euh euh sont ils vraiment différents de ce que vous avez pu être?"---
GISCARD répond à cette question en se pouffant de rire:
--" euh Noooon euh il avait pas les manettes euh il avait pas la monnaie... On peut pas dire qu'il avait la monnaie C'est MOI qui avait la monnaie ha ha ha en quelque sorte .."---
Que pense J-P CHEVENEMENT de la manière dont les GISCARD et POMPIDOU géraient les finances sous de GAULLE ? Peut on dire qu'ils trahissaient de GAULLE ou étaient ils tous les trois dans la combine?

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