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Dans le débat sur le G20, trois tabous à lever : la propriété des banques, la régulation du commerce international, une nouvelle monnaie de réserve


Intervention du sénateur Chevènement lors du débat du 30 avril 2009 consacré aux suites du G20 et de la crise financière internationale.


Dans le débat sur le G20, trois tabous à lever : la propriété des banques, la régulation du commerce international, une nouvelle monnaie de réserve
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,

Nous n’avons pas tous la même analyse de la crise. Les divergences d’analyses sur les causes de la crise n’ont pas empêché le groupe de travail de formuler à l’unanimité des pistes de réforme concernant d’abord l’assainissement des relations avec les paradis fiscaux, bancaires et réglementaires, ensuite l’architecture de la supervision internationale et enfin la régulation des produits et acteurs financiers.

Reconnaissons le d’abord, la réunion du G20 marque un progrès : car le G20 à la différence du G7, associe la plupart des grands pays émergents. Il reflète la nouvelle multipolarité du monde. Notre groupe de travail a souhaité le renforcement de son rôle politique et son institutionnalisation et cela paraît en bonne voie.

Sur le fond, le G20 du 2 avril 2009 a pris des positions qui vont souvent dans le bon sens mais qui sont insuffisantes, voire pour certaines inappropriées : ainsi, l’assainissement des relations avec les paradis fiscaux, problème important mais qui n’est pas à la racine de la crise, prendra du temps et demandera une résolution sans faille. Celle-ci manque souvent, comme l’a rappelé Mme Bricq, s’agissant des propositions de messieurs Barroso et le commissaire Mac Creevy. De même la limitation de la réglementation des hedge funds à ceux qui ont une importance systémique pourra être facilement tournée. Joseph Stiglitz, dans une interview aux « Echos » observe qu’il n’y a, sur ce point essentiel, aucun engagement du fait de l’influence dans le système des banques américaines. Il ajoute qu’il n’y a pas de volonté réelle de venir à bout des facteurs qui ont contribué à la crise. Il cite, comme l’a fait excellemment remarqué le Président Arthuis, en particulier le traitement des produits dérivés qui ont pourri le système.

(l'intégralité de l'intervention de Jean-Pierre Chevènement en vidéo)


A mes yeux le système financier est inséparable du système productif. Le document de travail distribué à la Commission mixte notait « une déformation du partage des revenus du capital et du travail », lui-même à l’origine du « développement irresponsable du crédit aux Etats-Unis ». La fuite en avant dans l’endettement, la titrisation et les produits dérivés a résulté de l’insuffisance de la demande liée à la déflation salariale, elle-même issue d’un libre-échange déséquilibré avec des pays dont les coûts de revient salariaux sont inférieurs de dix à vingt fois aux nôtres.

Les deux problèmes essentiels, celui de l’assainissement financier et celui de la relance économique sont donc étroitement connectés.

Il ne suffit pas d’injecter des capitaux dans le système bancaire pour l’assainir. Il est même choquant de voir le contribuable venir au secours de banquiers faillis qui ne souhaitent, une fois remis en selle, que recommencer le grand jeu de la mondialisation inégale, de la course à des taux de rentabilité exorbitants qui étaient censés justifier leurs extravagants bonus, et de reprendre leurs pratiques déresponsabilisantes de titrisation. Il faudrait au moins exiger que les banques conservent à leur bilan les risques les plus lourds et ne puissent titriser qu’une partie de leurs prêts, comme l’a suggéré le rapport du groupe de travail. Nos concitoyens ne peuvent accepter que la dette publique prenne simplement le relais de la dette privée, creusée par ceux-là mêmes qu’on maintient en place, alors qu’ils n’ont rien perdu de leur arrogance et de leurs prétentions financières. Oui, la question de la nationalisation des banques se pose, comme je l’avais suggéré, dès les 8 et 15 octobre 2008, dans le débat sur la crise financière et sur la loi de refinancement de l’économie. Elle se pose notamment pour Dexia et pour la banque issue de la fusion de la Caisse Nationale d’Epargne et des Banques Populaires.

La renationalisation de tout ou partie du système bancaire en France comme ailleurs, obéit à une double nécessité : politique d’abord : il est normal que celui qui paye commande. Economique ensuite : la reprise du crédit ne se fera que par une entente coopérative entre les banques. Comme l’a bien montré Jean-Luc Gréau, c’est à l’Etat d’organiser et de surveiller cette entente coopérative durant toute la période nécessaire au retour à la normale.

J’en arrive maintenant aux plans de relance économique. Dominique Strauss-Kahn a mis en cause la frilosité des pays européens. Certes un nouveau plan de relance axé sur l’investissement, la préservation du tissu productif, les revenus les plus bas, les chômeurs et les jeunes ne doit pas être exclu, mais il est légitime de s’aviser que l’injection de crédits publics n’aboutisse pas, comme on dit, à « arroser le sable ». Il est malheureusement trop évident que l’effort du contribuable a servi jusqu’ici, pour l’essentiel, non pas seulement en France, mais d’abord aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, à renflouer le système bancaire, en vertu du principe : « On prend les mêmes et on recommence ».

Un traitement insuffisant de la crise ne sera pas toléré, car aussi bien, cela ne marche pas : le risque principal aujourd’hui est dans le mitage du système « banque-assurances » par ses engagements irraisonnés (plus de 60 trillions de CDS – crédit default swaps) dit produits dérivés, sujet non traité par le Sommet de Londres. Il est vrai que le redressement de nos économies pose un problème d’une immense ampleur.

Pour redonner un horizon à nos démocraties et ramener durablement la confiance, il faut une perspective de progrès partagé : un progrès des rémunérations égal à celui de la productivité, un partage plus honnête des salaires et du profit. On m’objectera que ce progrès n’est pas compatible avec le libre échange généralisé, notamment vers les pays à très bas coût salariaux. Mais c’est cela qu’il faut revoir, en instaurant une concurrence équitable, je n’ai pas dit un repli autarcique, mais une régulation négociée des échanges internationaux permettant une sortie de crise à l’échelle mondiale et d’abord en Europe et aux Etats-Unis, à partir d’une revalorisation salariale substantielle, à l’abri d’une protection modérée, corrigeant les distorsions de salaires abusives.

Or le sommet de Londres se borne à fulminer une excommunication contre le protectionnisme au nom d’une lecture biaisée de l’histoire des années trente. Les mêmes qui ont failli veulent persévérer : alors que le commerce international devrait se contracter de 9 % en 2009, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le protectionnisme, ceux-là mêmes qui ont présidé à une mondialisation qu’ils disaient « heureuse » mais qui s’est révélée catastrophique, entendent à nouveau et encore plus « libéraliser » le commerce international à Doha, en juillet prochain. Il n’y a aucune guérison à attendre de ces mauvais médecins. Il faudrait, au contraire mettre en place une régulation par grandes zones économiques, regroupant des pays de niveau comparable en termes de salaires, sans se fermer à une raisonnable concurrence des pays à bas coûts, ceux-ci étant fortement incités, en contrepartie, à développer leur marché intérieur, leur système de sécurité sociale, et la protection de leur environnement. Une nouvelle régulation des flux commerciaux à l’échelle mondiale nécessaire, dès lors que les écarts salariaux vont de 1 à 20, devrait bien évidemment faire l’objet d’une grande négociation internationale entre les pays du G20. Je me réjouis encore une fois à cet égard des progrès effectués pour institutionnaliser ces sommets, que ce soit au niveau des ministres des finances ou à celui des chefs d’Etat et de gouvernement.

Le FMI, dont l’action a été si critiquable vis-à-vis des pays du Sud endettés, voit tripler le montant de ses moyens financiers. Mais cela ne remédiera pas aux déséquilibres fondamentaux dont souffre l’économie mondiale du fait notamment du déficit abyssal de la balance commerciale américaine et de la fragilité du dollar.

Le problème du système monétaire international n’a pas été abordé à Londres par le G20, alors même que le Federal Reserve Board, la Banque centrale américaine n’a pas seulement pris en charge dans son bilan des actifs douteux colossaux, comme l’ont relevé messieurs Arthuis et Marini, mais elle a commencé à monétiser la dette publique américaine, en achetant 300 milliards de dollars de bons du Trésor. Le Président de la Banque Centrale de Chine a mis le doigt sur un problème essentiel en proposant de créer un nouveau système de réserves monétaire constitué, comme les DTS émis par le FMI, d’un panier de monnaies. Qu’en pense le gouvernement français, qui se souvient peut-être de la mise en cause par le général de Gaulle, en 1964, du privilège du dollar ?

Il n’est pas normal que le monde dépende des émissions de monnaie des Etats-Unis. Ceux-ci doivent sortir du modèle rentier dans lequel ils se sont enfermés. Tout montre que cet objectif est inaccessible sans une remise en cause d’un libre échange généralisé et dogmatique qui, en comprimant les salaires dans les pays anciennement industrialisés, est, avec le privilège du dollar, à l’origine de la crise actuelle. Le G20 sera très utile pour négocier les transitions nécessaires.

La réforme du système monétaire international doit être mise à l’ordre du jour du prochain sommet du G20.

Le travail du groupe sur la crise constitué au sein du Parlement français n’a aucune raison de s’interrompre. Bien au contraire, nous devons multiplier nos échanges, comme l’a d’ailleurs suggéré le Président de la République, avec les Parlements voisins et les institutions européennes. Nos propositions doivent nourrir le débat public : c’est aussi ce qu’attendent du Parlement nos concitoyens.


Rédigé par Jean-Pierre Chevènement le Jeudi 30 Avril 2009 à 18:10 | Lu 6658 fois



1.Posté par Hadrien le 07/05/2009 17:46
Monsieur le sénateur,

Votre jugement introductif sur les positions du G20 "qui vont souvent dans le bon sens, mais qui sont insuffisantes, voire pour certaines inappropriées..." ressemble fort à un understatement britannique, cette habitude des gens trop bien élevés. Jacques Attali, qui aime se faire iconoclaste, a trouvé pour une fois la formule qui a fait mouche dans l'opinion, mais aussi chez les connaisseurs, pour qualifier l'issue du G20 en regard des enjeux. Jean-Luc Gréau, que vous citez fort à propos, y allait tout aussi franchement dans son ouvrage sur "la trahison des économistes". Pourquoi donc faut-il que vous mettiez la pédale douce qui empêche votre voix de porter plus loin?

Lors d'une dernière interview, François Mitterand avait commis un lapsus révélateur ("J'aime le mouvement qui déplace les lignes") en citant la métaphore de Baudelaire ("Je hais le mouvement...")

En ces temps de crise où tout peut être remis en cause, JL Melenchon n'a pas hésité à former un "Front de Gauche" qui déplace quelques lignes; A quand un plus vaste "Front Républicain" qui s'appuierait sur ces vraies oppositions, à gauche comme à droite?

2.Posté par BA le 09/05/2009 13:02
Puisque le MRC ne va pas à la bataille des élections européennes, pour quelles listes le MRC appelle à voter ?

3.Posté par Muriel Fontaine le 21/10/2010 13:45
C'est bien dommage, il est dommage que nous n'avons pas régulé le statut des banques pour une activité commerciale plus centrée sur l'économie réelle que financière...Peut être à remettre au débat sur le débat du taux de change.

Muriel,
http://www.rachatducredit.com



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