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1914-2014 : "Les nations européennes ont été injustement discréditées et dévalorisées"


Jean-Pierre Chevènement était l'invité de "Au coeur de l'histoire" sur Europe 1, jeudi 6 mars 2014. Il répondait aux questions de Franck Ferrand.


1914-2014 : "Les nations européennes ont été injustement discréditées et dévalorisées"
jpc_au_coeur_de_l__histoire.mp3 Europe 1 - Au coeur de l'histoire  (21.39 Mo)

Verbatim express :

  • Je défends toujours la paix. Je ne suis pas un parangon de l'ingérence dans les affaires d'autres puissances. Je pense être assez fidèle à moi-même. Je pense qu'il ne faut pas confondre les patriotes et les nationalistes. Clemenceau, qui était un dreyfusard, était aussi un patriote, il l'a toujours été.

  • Le Kaiser Guillaume II était cyclothymique. Qui était le véritable Guillaume II, on ne le sait pas très bien.
  • Il est certain que les décideurs de l'Allemagne impériale – le Chancelier, le ministre des Affaires étrangères, et surtout l'état-major – étaient très influencés par un courant, le pangermanisme, qui s'est développé à partir des années 1890. Il me semble que dans le pangermanisme, il y a deux courants : ceux qui veulent un empire colonial en Afrique, et ceux qui veulent un empire colonial en Europe, en refoulant les Slaves et les Russes jusqu'à la Baltique et à la Mer Noire. Et, il faut le dire, les germes du nazisme sont présents dans l'avant 1914.
  • Toutefois, dans la première mondialisation libérale, il y a un patron, un hegemon, la Grande-Bretagne, qui fait respecter les règles du jeu. La Grande-Bretagne est maîtresse des mers, son empire colonial représente le cinquième de la superficie mondiale, en Europe elle est fidèle à sa politique traditionnelle : garder les mains libres, maintenir l'équilibre des puissances. Ce que ne veut surtout pas la Grande-Bretagne, c'est qu'une puissance prenne l'avantage et parvienne à la domination continentale.
  • Bien entendu, l'Allemagne commet des erreurs considérables. D'abord, carte blanche donnée à l'Autriche-Hongrie, pour mater l'Autriche-Hongrie. Ensuite, elle déclenche une guerre préventive, soi-disant contre la Russie, mais en fait elle se tourne d'abord contre la France, et elle se rue à travers la Belgique, violant un traité de neutralité dont l'Angleterre est garante. Et la Grande-Bretagne intervient parce qu'elle n'accepte pas plus en 1914 la domination de l'Europe tout entière par l'Allemagne impériale, qu'elle n'a accepté un siècle auparavant celle de l'empire napoléonien.
  • L'Allemagne avait un programme d'armement naval qui, à terme, menaçait la suprématie britannique, qui était le ressort de sa puissance mondiale.
  • L'Allemagne impériale a commis deux erreurs : elle a énormément exagéré la puissance russe (mais on le fait toujours aujourd'hui), et d'autre part, elle a sous-estimée les réactions de méfiance qu'elle allait susciter chez les anglo-saxons.
  • La Première Guerre mondiale n'est pas une guerre franco-allemande : elle est une guerre d'abord entre l'Allemagne impériale et l'Empire britannique pour l'hégémonie mondiale. Il faut comprendre cela.

  • Tous les historiens aujourd'hui constatent que les peuples étaient pacifiques. La mobilisation en France s'est fait certes avec une grande détermination, mais par des gens qui faisaient leur devoir. Il n'y avait pas cet enthousiasme qu'on a décrit. Les Allemands eux-mêmes, on leur a fait croire qu'ils étaient menacés, et même attaqués par la Russie, et qu'il fallait se défendre contre cette puissance autocratique. Tous les peuples au fond, étaient de bonne foi.
  • Ce ne sont pas les nations qui ont entraîné la guerre, même pas les nationalismes, mais un étroit cercle de décideurs, que je situe notamment à la tête du Second Reich. Ce sont des décisions hâtives, imprudentes, qui allaient contre l'intérêt de l'Allemagne elle-même. La surpuissance économique montante de l'Allemagne lui assurait une domination pacifique de l'Europe.
  • Sur le jeu des alliances (Triple Entente, Triple Alliance), je dirai que la mécanique transmet le mouvement, mais n'est pas à l'origine du mouvement. Malgré tout, le gouvernement français était pacifique : il avait ordonné aux troupes de reculer à dix kilomètres de la frontière.

  • Personne ne voit, et les dirigeants sont évidemment plus coupables que les autres, que la guerre va être longue. Les Allemands pensaient en finir avec la France en six semaines : c'était le plan von Schlieffen, élaboré dès 1905 et même avant, et la Grande-Bretagne est intervenue pour éviter que la France ne s'effondre, et les Russes ont attaqué dans des conditions d'impréparation tout à fait évidente, essuient une défaite à Tannenberg, mais c'était pour venir au secours de la France. Et d'ailleurs, un corps d'armée a été distrait de l'Europe occidentale vers le front oriental, où les Allemands n'avaient maintenu que des troupes de couverture.
  • Personne non plus n'avait envisagé les ravages de l'artillerie, responsable des 2/3 des morts et des blessés. Ce carnage, 11 millions de morts, personne ne l'avait envisagé.
  • Jaurès aurait-il pu empêcher la guerre ? Il n'était pas en position décisionnaire. Et la France n'était pas non plus en position décisionnaire – elle ne voulait pas la guerre.

  • Les nations européennes ont été discréditées, injustement dévalorisées, ce qui fait qu'on peut construire une Europe technocratique sans problème, puisque les nations n'ont plus leur mot à dire. Aujourd'hui, ce sont les Américains qui sont à la manœuvre, depuis longtemps. Mais comme la première mondialisation avait fait surgir l'Allemagne impériale (modification de la hiérarchie des puissances), la seconde voit advenir les émergents, et au premier rang desquels la Chine.
  • La Chine a décuplé sa production en vingt ans. Elle aura la même production que les États-Unis en 2020. La Chine, c'est 1400 millions d'habitants, c'est un renversement complet du monde.
  • Pour en tenir compte, les Américains ont opéré le pivotement de leur flotte qui majoritairement est passée de l'Atlantique au Pacifique. Ils ont une stratégie commerciale visant à isoler la Chine : le partenariat transpacifique, et le partenariat transatlantique. Il y a la volonté de contenir la Chine.
  • Il faut être très prudent dans cette période. Et je le dis toujours aux dirigeants chinois lorsque je les rencontre : « soyez très prudents, parce que nous avons une expérience, nous la vieille Europe. Ne la renouvelez-pas. Bien sûr, vous avez légitimement le droit de reprendre la place qui était la votre avant le XIXe siècle, mais suivez le conseil de Deng Xiaping ("avant de traverser le fleuve, tâter le fond de la rivière pour savoir où sont les pierres") ».
  • Il y a un nationalisme chinois aujourd'hui. Le Parti Communiste Chinois a hérité de toute l'histoire de la Chine. Je pense cela dit que la Chine ne vise pas l'hégémonie mondiale. Elle est soucieuse de trouver des codes, mais c'est difficile. C'est un autre monde. Il faut le comprendre, et trouver des compromis pour que la montée très rapide de la Chine n'induise pas des troubles que l'on ne pourrait contrôler.
  • Les Américains ont quand même former une alliance implicite, du Japon à l'Inde en passant par les Philippines, l'Indonésie, le Vietnam, etc, pour contenir la menace chinoise.

  • Dire que le traité de Versailles a échoué, c'est formuler une analyse superficielle. La grande faiblesse du traité de Versailles, qui était d'abord un traité politique, qui visait à redonner à certaines nations de l'Europe centrale et orientale leur liberté, c'est l'absence de soutien américain. Les Américains n'ont pas ratifié le traité de Versailles, rejeté à deux reprises par le Sénat. Les garanties que Wilson avait donné à Clemenceau, et pour lesquelles Clemenceau s'était arrêté le 11 novembre 1918, sont tombées à l'eau, et la France s'est retrouvée seule ! Totalement abandonnée, sans notre allié russe, sans l'aide américaine. Et on l'a payé cher en 1939-40, avec des Britanniques qui se préparaient déjà à la bataille d'Angleterre, parce qu'ils estimaient que la bataille de France était perdue.
  • Je voudrais relativiser aussi l'effondrement de 1940. La France était toute seule, divisée contre-elle même. C'est la racine, peut être, de cet effondrement.

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le Jeudi 6 Mars 2014 à 19:17 | Lu 2648 fois


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